Auch 1872
Le journal de Henri de Laborde-Péboué de Doazit (1638-1670)
Léonce COUTURE
RELATION VERITABLE des choses les plus mémorables passées en la Basse-Guienne depuis le siège de Fontarabie qui fut en l'an 1638, et particulièrement des désordres et troubles arrivés aux sièges de Saint-Sever, Tartas, Ax ou Dax depuis ledit jour, par Henri de Laborde-Péboué de Doazit, publiée et annotée par le baron de Cauna. (Extrait de l'Armorial des Landes, t. III, (p. 455-583) Bordeaux, typ. Vve Justin Dupuy. 1869.
I
J'ose présenter le journal de Laborde-Péboué comme l'idéal de la chronique naïve et sans apprêts. M. Guizot ou quelque autre illustre professeur a parlé curieusement de ces annales écrites dans les couvents du moyen âge et où l'on trouve, mêlées au récit des plus grands événements, des mentions de ce genre : Frère Bruno est mort. Il y en a de telles sans doute ; pourtant je préviens les amateurs de ces sortes de singularités que les documents historiques du moyen âge sont pour la plupart moins naïfs que cela. Mais s'ils désirent un témoin simple et sans artifice, un chroniqueur dont aucun bagage littéraire ne gêne l'allure primitive, qu'ils lisent ce journal.
C'est en 1638 que Henri de Laborde, voyant passer à travers les Landes bon nombre de gens de guerre, courut aux informations et apprit qu'ils appartenaient à M. le prince de Conti et allaient mettre le siège devant Fontarabie. Le bonhomme, que la nature avait fait curieux et conteur, ne put se tenir de prendre note de ce fait. Et cette note prise, ...
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... il résolut de coucher également par écrit tout ce qu'il verrait ou apprendrait par la suite qui lui parût digne de mémoire : grêles, tempêtes, tremblements de terre, prix des denrées, pluie et beau temps, épidémies, prédications, vols, assassinats, miracles, passages de troupes, etc...
L'excellent gentilhomme campagnard savait à peine écrire. Ses connaissances en orthographe étaient des plus élémentaires, et son français, déjà bien suranné puisqu'il le tenait tel quel de son père et de son aïeul, admettait à très haute dose un amalgame de pur gascon. Ses renseignements en histoire, en géographie, en politique, étaient encore au-dessous de tout cela. Rien, dans cet écrivain d'un nouveau genre, ne dépassait la limite du dernier médiocre, excepté sa probité, sa religion, et aussi sa curiosité. De la rencontre d'un tel homme avec une telle tâche, il est résulté la chronique vraiment amusante et vraiment utile que notre savant correspondant, M. le baron de Cauna, a eu l'excellente pensée, de publier.
Elle est curieuse, en effet, dans toute la force du terme. L'auteur est l'exactitude même, c'est évident, pour tout ce qu'il a vu et entendu. Je conviens qu'il ne voyait pas de haut ; mais il témoigne juste pour sa portée et pour son coup d'œil, et ce témoignage, que l'histoire la plus sérieuse ne saurait dédaigner, a gardé toute sa saveur originelle. Rien de plus piquant, de plus appétissant que cette prose incorrecte ; un vrai régal de pain noir, d'âpre piquette et de noix fraîches ! Il se peut, et pour ma part je suis très porté à le croire, que Laborde-Péboué fût de son vivant un bavard ennuyeux. Mais ses caquetages en demi-français offerts au public plus de deux siècles après sa mort ont tout le charme d'une révélation imprévue, d'une résurrection.
Que d'anecdotes à recueillir pour notre histoire locale ! J'en saisis quelques-unes, au hasard du souvenir et au courant de la plume.
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Etes-vous quelque peu collectionneur de monnaies françaises ? Vous aurez rencontré peut-être certaines pièces entamées sur tout leur pourtour par une opération fort suspecte. Voici un petit fragment du journal de Laborde-Péboué sur cette industrie :
Au commencement de l'an 1640, il y eut bien décri d'argent, et c'est à cause qu'une partie de l'argent se trouva rogné. Il y eut plusieurs personnes d'accusées et à Pau furent accusés un prêtre et un orfèvre. On commença alors à peser l'or et l'argent et continua longtemps.
L'industrie des rogneurs se propagea largement, en effet, et on en fit justice exemplaire en plusieurs lieux. Le poète auscitain Bedout cite quelque part :
Lous rougnurs qui sorten de pene
(1) ;et l'historien condomois Scipion du Pleix a consacré un des plus curieux chapitres de son Histoire de Louis XIII à raconter l'origine, les progrès et la fin de la rognerie (2).
Vous préférez aux recherches monétaires les histoires de sorciers ? Voici une note qui aura son charme pour vous :
En ce temps (1643), l'on parla grandement de faire mourir les sorciers, et arriva un commissaire en Chalosse qui en fit mettre grande quantité en prison. Mais ce fut une grande affronterie qu'il n'en mourut pas aucun.
Je laisse à Henri de Laborde-Péboué la responsabilité de cette appréciation sommaire, dont on ne saurait, du moins, contester la parfaite franchise. Cette croyance énergique m'agrée moins dans ses excès de zèle que dans le naïf récit d'un événement merveilleux, comme, le suivant :
M. Dufau de Castetis m'a dit, estant à Peboué le 16 avril 1668, qu'à Pau y avoit un homme de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui estoit accusé d'estre faux monnoyeur, et estoit condamné à Pau à estre pendu et estranglé. C'estoit au commencement du caresme 1668 ; et ...
(1) Lou Parterre gascoun, éd. A. Ph. Abadie (1850), p. 38. On sait que la première édition est de 1642.
(2) An 1639, p. 203 de la Continuation du règne de Louis le Juste, éd. 1640.
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... estant mis entre les mains du bourrèou pour le pendre, un pere exhortoit le criminel. Le criminel dit au pere qui l'exhortoit : Mon pere, j'ai sur moi l'habit de l'escapulaire. Eh bien ! Dit le père, cela te serbira pour mieux mourir. Et après estant monté sur l'échelle avec le bourreou, l'échelle se rompit, et tombèrent tous deux à terre. Ils eurent une autre échelle, et comme le bourreou attachoit la corde de la potence, il donna la boulade au pauvre criminel pour le pendre et l'estrangler. Mais d'aussitôt, la corde se rompit et le criminel tomba à terre sans avoir aucun mal. De sorte que les amis du criminel lui délièrent les mains ; et se sauva heureusement. Et donnerent quelques bastonnades au bourreou, qui fut bien aise de s'enfuir. Et on attribue cela à un miracle, à cause de la vertu de l'habit d'escapulaire, grâces à Dieu.
Les anecdotes ecclésiastiques ne manquent pas dans un journal tenu par un excellent chrétien qui avait quatre prêtres dans sa famille. Toutes ne sont pas parfaitement édifiantes. En 1656, bruit entre les prêtres pour la paroisse de Saint-Aubin, que se disputent deux titulaires, nommés l'un par le patron de la cure, M. de Bénac, l'autre par la dame du lieu, Mlle de Navailles. L'un des compétiteurs a chassé, battu, maltraité son rival, jusqu'à effusion de sang, "dont l'église de Saint-Aubin a été entredite, qu'il n'y a eu messe de huit jours."
La dévotion de Notre-Dame de Maylis, qui naquit sous les yeux de notre chroniqueur, lui fournit elle-même un nouvel exemple de ces funestes querelles entre les ministres d'un dieu de paix. Ici d'ailleurs le mal n'alla pas si loin, et il dura peu.
Je bous ai parlé ci-devant des desordres de la debotion de Maylis ; mais à present par la grace de Dieu, M. Despouy, curé de Larbey et dudit Maylis, est fort bien d'accord avec M. Dufau et aussi avec les autres chapelains. La paix a été faite le 15 janbier en 1663, par l'entremise de bons amis, et la debotion reussira avec la grace de Dieu, graces à Dieu.
Ce M. Dufau avait fondé Maylis vers 1658. M. Labarrère,...
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...qui nous a fait connaître les vertus du saint homme (1), n'avait pas indiqué avec précision son lieu de naissance, que je trouve dans le journal de Laborde-Péboué. " C'est, dit-il, un missionnaire, fils de Gondrin... "
On peut faire dans ce journal des trouvailles d'un tout autre genre. L'histoire de nos eaux-de-vie du sud-ouest est encore à faire, je crois, et assurément on l'essaiera quelque jour. J'indiquerai aux intéressés une mention d'eaux-de-vie faites à Aulès en septembre 1657. A cette occasion on donnait " du bon bin à 12 livres la barrique rendue à Aulès, et du pourri à 8 livres. " Plus tard (1 666) on faisait de l'eau-de-vie à Saint-Aubin " avec six chaudières qui brusloient sans cesse. " A quoi le bon Laborde ajoute l'histoire d'un accident survenu dans l'opération et qui cessa à la suite d'un exorcisme et d'une messe du curé du lieu.
Les moindres choses attirent l'attention de notre chroniqueur et prennent sous sa plume un relief curieux : la fondation du moulin de Cames, par exemple, en 1664. C'est M. de Sanguinet, curé de Caupenne, et, fils du baron de Doazit, qui l'a fait bâtir avec toutes ses appartenances. Mais, hélas ! Un jour d'hiver, " tout l'empied dudit moulin tomba et roumpit l'arroudet " les constructions mêmes chancelèrent. Cependant tout est réparé, comme le bon Laborde est allé s'en assurer de visu. " Je le bis moudre tout de bon et faire bonne farine, pourbu qu'il aye bon grain. On n'est pas plus judicieux !
II
Mais pourquoi chercher dans cette chronique landaise de pures historiettes, au lieu d'y suivre les courants principaux de l'histoire du temps ? Les événements qui ont troublé ou modifié notre existence provinciale, dans cette période si agitée...
(1) Dans un charmant petit livre sur Notre-Dame de Maylis (1864). Voyez Revue
de Gasc. , t. v, p. 582.
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...du XVIIe siècle, se reflètent assurément dans les pages d'Henri de Laborde. Ils ne s'y présentent guère pourtant qu'à l'état de réduction et surtout au point de vue de la Chalosse en général et de la paroisse de Doazit en particulier. Je ne veux pas insister sur ses grands faits qui s'étalent comme ils peuvent dans ce journal rustique, à tout instant interrompus par le prix des denrées, l'état de l'atmosphère et les menus incidents de la vie du chroniqueur.
La partie du journal qui va du siége de Fontarabie (1638) à la paix des Pyrénées (l660) et qui est de beaucoup la plus chargée (quoique rédigée avec plus de concision et ne fournissant guère que la moitié du volume), présente un triste et monotone spectacle. La grande affaire qui préoccupe et désole le pays est assez marquée par ces notes marginales souvent répétées : "passage de troupes, ravages de guerre ; " et par cette exclamation qui coupe à tout instant le récit, comme un refrain funèbre : " Oh ! La grande misère du pauvre puble ! "
Ce long tableau des mouvements des troupes dans les paroisses de la Chalosse et des pays voisins est un peu confus, mais riche de détails neufs et curieux, que les historiens consulteront avec intérêt. Ce qui me touche particulièrement, au milieu de ces pilleries et de ces cruautés, c'est le dévouement du baron de Doazit, et l'émotion sincère du bon Laborde quand il vante la vaillance et la bonté de ce noble seigneur Dès janvier 1653, il se constitue prisonnier près du terrible Balthasar. " Et le peuple de Doazit dut avoir une grande douleur de monseigneur de Doazit ; car j'en ai eu en mon particulier un grand regret. Ledit monseigneur de Doazit se va rendre prisonnier pour soulager la paroisse de Doazit, et, sans comparaison, il m'a fait souvenir de la passion de mon sauveur Jésus-Christ, qui voulut mourir pour nous. "
C'est encore cette naïveté de sentiment et d'expression qui donne un véritable prix au témoignage, d'ailleurs peu précis,...
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...de Laborde-Péboué sur Balthazar, le plus renommé des aventuriers militaires de l'époque, et durant de longues années la terreur de nos contrées. On le connaîtra mieux en lisant sa Guerre de Guienne, publiée par M. Moreau dans la Bibliothèque elzévirienne. Mais après le relevé exact des faits et des dates, on notera utilement, ces naïfs échos de l'opinion landaise sur le redoutable routier :
Ledit Balthasar est si puissant et si cruel que tout le monde le craint. Il est allemand et non point noble, sinon pour ses armes. Il n'a point aucune religion de bonne. On dit qu'il est magicien. Il ne parle jamais familièrement à personne, mais parle toujours de tuer et de pendre. Il est un grand homme fort farouche et a environ 45 ans, à ce qu'on m'a dit...
Ceux qui sont sortis des prisons de Balthasar disaient qu'ils ont été au purgatoire. La pluspart des bons paysans n'osent dormir en leurs maisons de la grande peur qu'ils ont à Balthasar... Ledit Balthasar fait couper le blé par la lande et le fait donner à ses chevals ; et, ce qui est bien grande pitié, il n'y a plus moyen de resister aux grands dommages qu'il fait tous les jours.
Notez bien que les cavaliers de MM. de Candalle et d'Aubeterre traitaient les manants avec presque autant d'inhumanité, et que ces exactions, passages et logements de troupes étaient continuels dans ce pauvre pays. À ces récits lamentables s'ajoutent des détails non moins navrants sur l'abandon des terres, la mendicité presque générale, les épidémies multipliées, les pestes, les famines. À chaque page il faut s'écrier avec le bon Laborde : 0 la grande misère !
Voici pourtant, vers le milieu de son journal, une éclaircie. Le bruit a couru que la paix se prépare entre la France et l'Espagne. Elle est faite, et même cimentée par un mariage ! 0n assure que M. le cardinal Mazarin, qui gouberne le roi de France, vient à Bayonne traiter ces grosses affaires. Ce n'était pas un conte ; il arrive, il va passer à Dax. Qui aurait volontiers fait le voyage pour le voir ? C'est sans doute notre historien. Pourtant il ne l'a pas entrepris, je ne sais pour...
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...quelle cause. Mais après coup, il s'en félicite, parce que les gentilshommes qui s'y sont rendus en ont été pour leurs frais.
Ils s'en retournèrent presque tous sans le pouvoir voir, à cause de la grande quantité des gens qui estoient avec lui ; et il alloit toujours en carrosse, et descendoit, ou pour mieux dire se faisoit descendre, auprès de la porte du lougis qu'il devoit louger ; et estant dedans il faisoit fermer bien ledit logis. On m'a dit qu'il estoit incommodé de la goutte et estoit agé d'environ soixante ans. Dieu par sa sainte grace le beuille conduire à exploiter bien son entreprise selon la boulonté de Dieu !
La prière du bonhomme est exaucée. Le mariage s'est célébré par procuration le 3 juin 1660, " jour de l'ouctave du Corpus Christi. " Le 6 du même mois les deux rois se visitèrent, et "noste roy de France fit boir au roy d'Espagne la noblesse de France, fort bien habillée et en belle ordonnance, dont le roy d'Espagne s'en est fort emerveillé de boir si bien et en si bon estat la noublesse de France..." Enfin le roi, revenant à Paris, passe à Dax et à Tartas. En bon français, notre chroniqueur ne saurait manquer une si belle occasion :
... Et si (le roi) estoit à Tartas ledit jour (16) de juin 1660. Là où je fus exprès et Present, et j'eus l'honneur Moi-Même de boir le Roy, et la Reyne sa femme, et aussi la Reyne sa mere, et M. le frere du Roy et toute la cour de France et tous En Ma Présence (!!). Et environ le midi s'en partirent vers le Mont-de-Marsan. Je ne desire plus sinon boir le roy des roys, au ciel. Dieu m'en fasse la grace ! Alors faisoit grand chaud.
Je crois entendre encore le franc rire de l'historien de la Gascogne, le bon chanoine Monlezun, quand il récitait ce petit fragment qu'il savait par coeur et qu'il n'a pas manqué d'enchâsser dans son livre. Ce rire épanoui était, du reste, à peu près comme celui d'Andromaque, accompagné d'une larme furtive. Où trouver, en effet, expression plus touchante, dans sa naïveté, de ce sentiment à la fois royaliste et chrétien, qui était le fond solide et généreux du patriotisme de nos pères ?
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Il faudrait peut-être maintenant donner une idée de la seconde partie du journal, depuis le mariage de Louis XIV jusqu'à l'année 1670, où notre bon historien a posé la plume. Mais j'y renonce, en avertissant que le fond de la chronique landaise ne change pas beaucoup durant cette période. Toujours des passages et des logements de troupes. Il y a même quelque chose de plus : une sorte de guerre civile, occasionnée par l'établissement de la gabelle. Les populations du sud-ouest furent sur le point de se soulever en masse pour la liberté du commerce du sel. Force resta au privilège royal, non sans de déplorables excès. Laborde-Péboué commence à prendre note, en mai 1661, des courses des gabaleurs, qui se tiennent à Aire et font des pointes en tout sens pour saisir les porteurs de sel. Du reste ils prennent un peu partout, à leur guise, du fourrage et des bestiaux ; ils ont incendié, tué, pillé, et personne ne les contredit. " Je ne crains, ajoute sournoisement le bonhomme, qu'ils sont favorisés des grands !"
C'était bien mieux que cela, comme il ne tarda pas à l'apprendre ; ils étaient gens du roi. A ce titre, Laborde-Péboué leur fait même une sorte d'amende honorable pour la façon dont il a parlé d'eux. " Comme j'apprends qu'ils ne veulent pas estre gabaleurs en aucune façon, parce que cela les échoque en quelque façon, mais ils se disent et nomment gens du comboy du roy, et pour ce je ne les nommerai plus que gens du comboy du roy."
Mais pour porter un nom plus honorable, ils n'en deviennent pas plus commodes ; et malgré sa parfaite innocence, le pauvre Laborde tremble dans sa peau :
Je bous assure que du temps de ces desordres moi-même, sans estre criminel en aucune façon, ni coupable, ni comprins en aucun de ces desordres, mais encore j'abois une grande peur, parce qu'ils tuerent du commencement tous ceux qu'ils puboient attraper. De sorte que durant quinze jours je n'osois pas demurer chez nous à Péboué, mais je lougeois dans les cabanes des vignes et dans de paubres...
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...maisonnettes. Et la pluspart du temps je demeurois du cousté de Saint-Cricq et Marquebielle, car en ce lieu tout le monde m'honoroit comme si j'eusse esté leur supérieur. Et pour lors ma neboude Anne estoit à la Masquère, etc.
Il faut le dire aussi, les gens du roi avaient fort à faire. Le soulèvement contre les gabelles était général, et ce soulèvement lui-même était pour plusieurs une occasion de mauvais coups et de brigandages. Des inconnus, dont Laborde-Péboué parle d'un ton sinistre, faisaient ça et là d'effroyables exécutions. Ici se place l'épisode d'un noble landais, Audigeos, devenu chef de bande, et qui, après avoir mis sur les dents la justice et l'armée, finit par obtenir l'absolution du saint évêque d'Aire, Fromentières, et de Louis XIV des lettres de rémission et un brevet de colonel. Du reste, il n'y a pas de détails très neufs sur Audigeos dans le journal d'Henri de Laborde.
Vers la fin, ce journal abonde surtout en détails de famille. Le 7 novembre 1666, la néboude Anne, qui est la dame du manoir de Péboué, a mis au monde un enfant mâle, fort heureusement " grâces à Dieu." Or, dans la maison se trouvait alors " en logement " un capitaine de guerre, M. de Lavaissière. A force courtoisie cet officier réconcilie presque avec ses pairs notre peu belliqueux historien :
Et le 9 novembre 1666, M. ledit capitaine m'a fait l'honneur à moi d'entrer dans mon petit lougis de Labourdette, et est allé jusqu'à la porte du jardin, et y a fait collation en compagnie de M. de Ladou, et m'a donné deux morceaux de buffle pour une paire de gants...
Je vous puis assurer que ledit M. Labezière est fort honnête homme ; il est de religion prétendue reformée, et est de noblesse, etc.
N'allez pas croire que ces compliments adressés à un huguenot partent d'une conscience tiède en fait d'orthodoxie. Henri de Laborde avait un frère curé de Lanneplan, en Béarn, qui recevait de temps en temps sa visite. Et à cette occasion, " j'ai bu soubent, dit-il, le puble à grandes troupes en la bille d'Ourthez sortir et entrer au temple des huguenots,...
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...dont j'ai grand mal au cœur ; car la plupart du peuple du Béarn sont des huguenots." Ce souvenir lui a même suggéré une longue disgression (p.531-537) sur le protestantisme, dans laquelle ses bévues d'historien illettré n'enlevent rien de leur prix à un bon nombre d'anecdotes locales.
III
Mes citations et mes analyses n'ont pu donner une idée suffisante du contenu de ce journal. J'ai négligé, par exemple, les mentions qui reviennent le plus souvent : celles qui regardent l'état des récoltes et le prix des denrées. Il suffit de dire qu'elles s'offrent à toutes les pages et constituent une statistique fort précieuse pour les sciences physiques et l'économie. Je me contente en cette matière, où je me sens peu compétent, de copier une remarque du savant éditeur, M. le baron de Cauna, sur le haut prix du vin en Chalosse au XVIIe siècle. " En évaluant l'argent en 1640-1660 à quatre fois le taux de 1869, la barrique de vin à 6 livres (vil prix) fait 24 Fr. ; à 24 liv. en 1663, elle vaudrait aujourd'hui 116 Fr. ; à 30 liv., 120 Fr. ; à 44 liv. en 1640 (fort cher), 176 Fr. "
Mais si j'ai peu réussi à extraire du curieux journal de Laborde-Péboué la substance historique qu'il renferme, je m'en console par l'extrême difficulté d'une tâche pareille, que du reste je ne m'étais pas imposée. J'aurais plus de regret de n'avoir pas fait connaître et apprécier l'auteur lui-même, le plus aimable des conteurs, au moins après sa mort. De peur que tous mes extraits n'en disent pas assez sur ce curieux bonhomme, je demande la permission de copier encore trois de ses pages, où vous le verrez tout entier.
J'intitule le premier fragment : Une éclipse de soleil. Je regrette d'avoir à l'abréger quelque peu. Il suffira pour montrer au naturel la profonde ignorance de l'excellent chroniqueur...
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...landais et aussi sa piété profonde, trésor plus précieux que toute la science de Cassini.
Ores, bous faut savoir que au mois de juillet 1664, il arriva une nouvelle fort affligeante, disant que le 12 août 1664 il adviendrait une grande obscurité et que le soleil seroit éclipsé l'espace de trois heures. L'armanach en parle et nous menace de grands dangers. De Paris et aussi de Bordeaux est venu l'arrêt ( ? ) disant qu'il y a un prophète en la ville de Paoun (?) en Allemagne, lequel a prophetisé depuis vingt-huit ans et que ce qu'il a dit est quasi tout arrivé ; il se nomme Andreas. Ces noubelles sont dans tout le pays et je vous assure que tout le monde a grand peur et apprehension...Car les uns disent que ce jour fera de grands vents et tonnerre ; d'autres disent que tout l'air sera pestiféré ; d'autres se craignent qu'il mourra grande quantité de monde et bétail ; d'autres disent que nous serons accablés de guerre, comme déjà elle est commencée ; d'autres disent que nous serons attaqués de religion contraire ; d'autres disent que nous sentirons ce jour une grande frayeur ; d'autre disent que la terre fera ouverture en quelques endroits à cause du grand benin de ce jour. Tout le monde en parle ainsi avec une grande crainte. J'entends déjà (qu') on a fait partout probision d'eau pour ce jour, comme aussi d'herbes et de fruitage, afin d'empêcher le benin de ce jour. Je ne sais ce qu'il en adviendra ; j'en remets tout à la boulounté de Dieu, et lui prie qu'il nous beuille à tous faire pardon et miséricorde, et que sa crainte boulounté soit faite ! Mettons-nous tous en sa sainte garde, et ne perdons pas courage, car le bon Dieu est tout puissant pour remédier à tout danger.
Adonc, estant à la honzième jour d'aoust, beuille dudit jour de l'éclipse, tout le monde redoute cette eclipse ; tous font provision pour trois jours d'oint, d'herbes et de fruits, comme nous l'avons dit ; tout le peuple prie Dieu en attendant sa sainte boulounté...
Et estant benu ledit douziesme jour d'aoust 1654, c'estoit un jour de mercredi, marché à Hagetmau, je me levai d'assez bon matin et fis une promenade d'environ un quart de lieue, et en m'en retournant je regardais le soleil qui estoit assez beau, et le ciel clair, et le temps fort patient ; je me livrai en attendant à la boulounté de Dieu auquel je prie qu'il aye pitié de nous.
O Jesus-Christ, mon redempteur, etc...(Je supprime une douzaine de lignes d'oraison.)
O glorieuse bierge Marie, mère de Dieu ! Je sais que bous estes la...
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...Reine du ciel, et avez un tres grand credit auprès de mon seigneur Jesus-Christ boustre fils ; je vous prie tres humblement, Ô grande Dame du Paradis, qu'il vous plaise prier et interceder pour tout le peuple. O sainte Dame, monstrez, monstrez à mon Saubur Jesus-Christ les mamelles avec lesquels vous l'avez allaité, et par ce moyen vous obtiendrez pardon et misericorde pour nous...
O glorieux saint Joseph, il a deja longtemps que je vous ai choisi pour mon particulier avocat et bous invoque tous les jours ; je vous prie, priez et intercedez pour nous, mais principalement à l'heure de noustre mort et au jour du jugement.
O glorieux saint Laurent, le premier jour du present mois, je bous ai prins et choisi pour mon avocat durant ce mois present. Je vous prie donc, etc...
Et environ les neufs heures, une brume s'est mise en l'air ; et le soleil a commencé à s'esclipser, et a esclipsé environ la moitié du cousté du nord. Mais dans peu de temps le soleil se remit en son entier et le temps a esté aussi beau comme auparavant, grâces à Dieu, sans aucun accident que l'on sache.
Le second morceau va nous montrer notre chroniqueur à l'oeuvre. Il est allé à Tartas voir le roi de la terre, comme l'a dit plus haut. Mais il n'était pas un assez gros personnage pour s'aboucher avec les princes et les grands de la cour. Et pourtant jamais commère piquée du taon de la curiosité n'a senti un plus irrésistible appétit d'interroger et d'apprendre. Donc, il se rabat sur un gentilhomme landais, M. de la Taulade, qu'il sait avoir été reçu très privément par le Roi. Et il fait si bien qu'il reçoit sur cet heureux seigneur... les confidences d'un valet. En voici le plus curieux :
Or vous veux parler du noble M. de Lataulade, seigneur de la juridiction de Marquebielle. Mais avant passer outre, je beux vous dire l'estat dudit M. de Lataulade. Il vous faut croire que estoit un fort grand gentilhomme et de fort noble extraction ; sa renommée estoit si grande qu'il estoit cognu par toute la France, d'autant qu'il a demeuré à la cour du Roy de France l'espace de vingt-sept ans. Un sien domestique qui a demeuré à son service l'espace de trente-deux ans m'a assuré avoir esté present pendant toutes ses belles actions...
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...de guerre. Ledit sieur estoit capitaine au regiment de Picardie, en grande reputation, pendant le temps des belles occasions de guerre qui sont passées. Il faut remarquer que ledit sieur fit paroistre son courage à Tonneins, où il fit de grands combats, et ent'autres un jour (que) le marechal de la Force qui tenoit le parti de la religion, y bint avec deux mille hommes pour secourir la bille...Il emporta le fort de ses ennemis, mais on lui tua vingt-deux sourdats et deux sergents, et ledit sieur Lataulade y fut blessé de trois mousquetades, l'une qui lui perça toute la jambe et les deux autres fort legerement blessé. Et laditte ville Tonneins se rendit le jour même, et ledit sieur de Lataulade se fit porter à Navarrenx dans un brancard, où il demeura deux mois dans le lit, et fut réduit de pourter les potences l'espace de deux ans entiers...
Il a esté en Italie, en Allemagne, en Flandre avec les armées. Et aujourd'hui, qu'il se porte fort bien, et en bonne santé, et en grand repos d'esprit, il est en age de soixante ans...Mais il est devenu si gas et si gros qu'il ne se peut pas truber en ce pays un cheval capable de le porter, tant il est pesant,et surtout il a le vendre fort grand. On m'a assuré qu'il pese de quatre à cinq quintaux. Mais avec tout cela il est homme de grand crédit. Mais d'autant qu'il est pesant, il se fait conduire dans son carrosse par un gros et bon pair de boeufs. Il a deux de ses fils auprès du roy, tellement qu'il est un grand seigneur.
Il est parti de son beau chateau de Lataulade le 15 dudit juin 1660, et alla entendre une messe à Maylies, et passa à Hauriet et à Leyrit (Labeyrie), parce que tous ces messieurs estoient ses parents. Et après, il alla tout droit au Mont-deMarsan, et toujours avec ses boeufs et carrosse... Mais il est homme si puissant et en la bonne grace du Roy, qu'il entroit dans la chambre où le Roy estoit lougé audit Mont-deMarsan, à toute heure que bon lui sembloit. tellement que l'on peut dire que M. de Lataulade est un grand grand gentilhomme et en grand estime... Ledit domestique m'a aussi parlé, etc.
Enfin, pénétrons dans l'intimité même de notre bon chroniqueur. Nous l'aimons assez maintenant pour prendre part à ses moindres affaires et pour écouter avec une entière sympathie le pitoyable récit d'un larcin dont il fut victime, dans le réduit le plus muré de la vie privée. Ceci n'est plus de l'histoire, ...
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... peut-être ; c'est encore de la curiosité humaine : hominem pagina nostra sapit.
Je vous dirai de plus que la nuit du samedit du 8 octobre 1664, moi-mesme etant couché dans moun lit en la chambre de Labourdette, j'entendis quelque petit bruit dans ladite maison ; et croyant que ce fût le chat et me craignant qu'il ne fît quelque désourdre, je me leve. Et ayant trubé que mes armoires estoient fermées et croyant que ce ne fut rien, je m'en retourne coucher et m'enferme dans la chambre. Et ce pendant que j'ai esté sourti, un larron avoit rompu une parois, et entré dans la maison, et mesme dans ma chambre. Et moi croyant qu'il n'y eust personne que moi, me mis dans le lit et demeurai longtemps sans dourmir. Mais cependant le larron m'a prins deux demi-louis dans mon pouchet. Et oubrant la porte pour s'en bouloir sourtir, je l'entendis ; et me leve bitement tout en chemise, et attrape ledit larron, et le fis prisonnier corps à corps ; et appelai au secours à mon frère Ramond et à ceux de Péboué et de Peyran et de Coudicanne et Coudassot. Et tous y bienderent sur l'heure, embiron la minuit, pour boir le larron, lequel declara sans aucune contrainte ce qui s'ensuit :
"Pierre Dupouy a confessé avoir desrobé de nuiet à Henri de Laborde dans sa chambre de Labourdette : en premier lieu 26 louis lorsqu'il demeuroit baylet en la maison de Péboué qui estoit enbiron les festes de Noêl de l'an 1663 ; plus, enbiron un mois, de nuit, en rompant une parois, lui a prins 42 livres argent, une paire de souliers tout neufs et un bonnet aussi tout neuf qui baloit 50 sous, plus une pièce de drap de l'atrama (?) qu'il porta à un homme nommé Jean Chinon, metadier de M. Darricau ; plus a prins quatre rabats et 4 sous de clous de sabot, plus 7 sous de clabets (clous de girofle), et sept muscades, et un pain noir un peu commencé, et 2 sous de pain blanc, et une cuisse d'oie cuite, et bu du bin tant qu'il en boulut ; de plus, ladite nuit au 8e novembre 1664, il confesse avoir rompu la meme parois, et entrant dans la maison de Labourdette et dans la chambre de Henri de Laborde, auroit prins deux demi-louis dans le pouchet dudit Laborde et le pain et un couteau qu'il a trubé dans l'armoire..."
Je supprime une bonne moitié de ce procès-verbal, qui rappelle la confession de scapin, sauf les formes juridiques dont...
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...les aveux du larron sont revêtus ici ; et j'arrive au dénouement de cette grave affaire :
Et advenant le 13 novembre 1664, ledit larron s'est échappé (de la prison de Doazit où on l'avait enfermé), et a droumi deux nuits (?) ; est benu à Labourdette rompre la meme paroi. Mais il n'a point pu entrer à cause que j'avois attaché des lattes par dedans, et s'en est allé je ne sais en quelle part.
Je puis bien dire comme disoit le roi Charlemagne quand il avoit pris Maugis, et s'échappa, lors le roi lui dit : " Ha ! larron Maugis, je n'ai guere gagné à t'attrapper ;" car il emportoit la couronne du roy et les épées des douze pairs de France. J'en puis dire de même de mon larron : il m'est échappé, je n'y ai rien gagné, j'y ai eu des frais et despenses. Je prie Dieu qu'il soit homme de bien.
Ce dernier trait achève, je crois, le portrait de notre chroniqueur. C'est l'érudition la plus triomphante que l'on rencontre d'un bout à l'autre de son journal. Il est clair que s'il a estudié l'astronomie dans l'almamach, ses études sur l'histoire de France se sont bornées à la lecture des Quatre fils Aymon.
Du reste, il ne connaissait pas beaucoup mieux les affaires et la politique du temps courant que l'histoire du passé. On croit avoir sa mesure en lisant, dès la première page de son journal, que " le roy de France etoit pour lors conseillé par M. le cardinal de Richelieu, QUI ETOIT UN FORT BON ESPRIT. " Mais, vers la fin, on apprend avec ébahissement que Louis XVI, depuis la mort de Mazarin, avait pour conseiller "un certain nommé M. Cazabert, fils de France, à ce q'on m'a dit." Le nom de Colbert n'était pas entré dans la tête du brave chroniqueur landais.
Tel qu'il est, je le préfère pourtant à une foule innombrable d'historiens lettrés. Il est plus sincère, il est plus modeste, il est plus original, sans y viser ! Ne vous en tenez pas, je vous en supplie, à mon jugement. Portez le vôtre en toute connaissance de cause, après avoir lu d'un bout à l'autre le journal publié par M. de Cauna. Donnez-vous cette...
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...peine, ou plutôt procurez-vous ce plaisir, et je me croirai trop récompensé du labeur que j'ai mis à coudre bout à bout mes notes et mes remarques sur cette naïve relique du passé. Il y avait dex ans entiers que je reculais devant cette tâche. Il est vrai que, dans cet intervalle, j'ai été distrait beaucoup trop puissament des souffrances des Landais du XVIIe siècle par celles de la France du XIXe, et que je n'ai pas eu besoin d'ouvrir le journal d'Henri de Laborde-Péboué pour m'écrier souvent comme lui : " O la grande misère ! " Ma dette est payée. Mais mon but sera atteind seulement quand mes lecteurs, alléchés par ces quelques échantillons, voudrons jouir de la pièce tout entière. Je suis sûr qu'après cette épreuve, ils ne m'en voudrons pas du conseil que je leur adresse ; je suis encore plus certain qu'ils remercieront avec moi le studieux éditeur du service qu'il a rendu à l'histoire provinciale par cette intéressante et curieuse publication.
Léonce COUTURE
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