JEAN DARCET

par

L'Abbé Raphaël Lamaignère

Curé de Saint-Aubin

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1947

  [Sommaire Doazit]
  [Raphaël Lamaignère]
 [Jean Darcet]

Recopié d'après le manuscrit de l'auteur, par Philippe Dubedout.


Jean Darcet

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1725 - 1801

 

D'après une étude documentaire publiée en 1901 dans "Nos Cahiers" du Grand Séminaire d'Aire par l'abbé Joseph Dupouy, de Doazit, aujourd'hui missionnaire de Bétharam.

Ont également servi à la rédaction de ce travail, quelques indications données par M. Dufourcet, dans son livre: "Les Landes et les Landais" (page 495), et par M. Larroquette dans son "Histoire des Landes" (page 170).

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En quet peys oun tout berdéye,

Oun, chen nat trum lou blu dou cèu courdéye,

De soubenis lou co jamè blasit

Glóris, quoan pouch, que canti de Doazit.

Terre de choès, aqui qu'an boulut bade

Brabes yéns de tout péu qui meriten l'aubade.

E, mêmes, se debi desclucha lou bersét,

Que brusleri d'abord hum d'encéns au Darcet.

Aquét noum dous Ancièns coum la broye flouréte

Toustem clarous qu'arreberdéch:

Doazit pot ha-n pugneroun-pugneréte,

E, co balén, qu'ou benedéch.

R. Lamaignère
curé de St-Aubin
de l'Ecole Gastou Fébus

Traduction:

En ce pays qui garde ses vertes frondaisons, et où le bleu du ciel se profile sans nuages, mon coeur, toujours vivant de souvenirs, chante quand il le peut les gloires de Doazit.

Sur cette terre de choix, ont voulu naître des gens de toute condition, qui méritent l'aubade; mais si je devais entonner le verset, je brûlerais tout d'abord mon grain d'encens à Darcet.

Ce nom de nos Anciens, telle la jolie fleur des champs, refleurit toujours pour nous, dans sa lumineuse clarté; Doazit peut se le passer de main en main, et le bénir, l'âme vaillante.

R. L.

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Jean Darcet naquit à Doazit, le 7 septembre 1725, d'Antoine, lieutenant-général du baillage de Gascogne, homme intègre et jamais discuté, et de Demoiselle d'Audignon, femme aux profondes vertus, et de tous admirée.

C'est au "Proulh" qu'il vit le jour, en cette maison toujours debout, et qui se pare au milieu des riches et verdoyantes campagnes que domine le "Mus".

Les parents, façonnés aux fortes leçons du devoir, regardèrent comme un honneur d'inculquer de bonne heure à l'enfant, ces immuables principes qui trempent les coeurs et forment les caractères. Mais, il fallut bientôt songer à l'avenir; et en 1737, le petit Jean fut dirigé sur le Collège d'Aire, alors dans tout l'éclat de sa juste renommée. Il eut tôt fait d'y gagner la confiante amitié de ses maîtres; et, un moment, il rêva d'entrer au Petit-Séminaire, la maison toute voisine, où des professeurs éprouvés portaient eux aussi bien haut, à l'époque, le nom et le prestige de l'établissement. Mais cette pensée fut bien vite effacée, et l'élève manifesta à son père son intention d'étudier la médecine. Antoine, qui avait toujours rêvé du barreau pour son fils, ne cacha pas sa mauvaise humeur, et, par acte notarié, lui enleva son droit d'aînesse, reportant tous les avantages sur un second fils qu'il venait d'avoir d'un nouveau mariage. - Jean, s'inclina sans mot dire; et, après une visite et une prière qu'il alla faire, au cimetière du Mus sur la tombe de sa mère, il dit adieu à Doazit et au "Proulh" où il n'avait plus d'attaches, et partit pour Bordeaux, en 1740, poursuivre ses études. Il allait avoir ses quinze ans.

Le garçonnet n'était pas riche; et, pour faire face à sa situation, il donna, çi de-là, des leçons de latin. Son amabilité lui gagna vite la sympathie de ses camarades; et son nom commença à émerger dans les milieux scientifiques de la ville. Il fut même présenté à Montesquieu, qui, frappé par son talent précoce et ses qualités d'esprit, lui confia l'éducation de son fils.

Deux ans plus tard, en 1742, nous le voyons à Paris, à la suite de son protecteur, dont il devait, un jour, devenir non seulement le secrétaire, mais encore le confident et l'ami. C'est même dans ses bras que mourut, en 1755, l'illustre publiciste. - En 1756, Jean sortait avec ses grades de la Faculté de Médecine de Paris, et, en 1762, y emportait le titre de Docteur régent. Un avenir brillant s'ouvrait désormais devant lui, avec toutes ses perspectives.

Mais, renonçant soudain à l'art d'exercer, il se tourna hardiment vers l'étude de la chimie, science qui, de ce temps, n'était encore que très rudimentaire. Sous la conduite de maîtres éclairés et instruits, le jeune doazitien devint bien vite en cette branche du savoir humain, un des élèves les plus brillants et les plus réceptifs. Son maître même, Rouelle, le prit en si profonde estime, qu'il lui promit sa fille en mariage: et tous deux, se firent les protagonistes d'une science qui devait révolutionner bientôt le monde des savants. A ce milieu de choix devait donner son nom, un jeune militaire, le comte de Lauragais, qui prit Darcet pour guide de ses recherches, et avec qui il se lia, par la suite, d'une solide amitié.

En 1755, l'appel aux armes disloqua le petit club des scientifiques; mais, la guerre finie, Jean et son compagnon retournèrent à Paris reprendre leurs études en y apportant les connaissances qu'ils avaient acquises sur la terre étrangère, relativement à l'industrie céramique et à la fabrication de la porcelaine.

Comme le Japon, la Chine et la Saxe ne pouvaient nous envoyer leur kaolin, Darcet réussit à constituer un produit français avec les argiles du terroir, et il reproduisit ainsi les porcelaines exotiques, et plusieurs autres substances analogues. Mais, ce n'était qu'un pas vers la création de l'industrie des objets en terre cuite.

Devant l'Académie des Sciences, il soutint et il prouva que le diamant était destructible, alors que sous l'action d'un feu violent, le rubis, le topaze et l'émeraude assimilés au diamant, étaient d'une structure différente.

En 1774, il alla faire un voyage et un séjour prolongé dans les Pyrénées, d'où il revint pour présenter au Collège de France, un rapport montrant les catastrophes et les bouleversements successifs qui agitèrent les montagnes.

Professeur pendant vingt-sept ans, Darcet conquit tous les suffrages, tant du côté de ses élèves que de ses collègues dans l'enseignement. Ceci, lui valut d'être nommé par acclamations, directeur de la Manufacture de Sèvres. Le choix ne pouvait être meilleur; et, là, il donna un nouvel essor à la fabrication de la porcelaine et des émaux en couleur, en améliorant la construction des fours à cuisson.

Le temps ne faisait que le conduire à de nouvelles destinées. C'est ainsi qu'après 1782, on le nomma inspecteur-général des Monnaies, puis inspecteur à vie de la Manufacture des Gobelins. - Son esprit inventif était sans cesse en activité; et, il découvrait alors le moyen d'extraire la soude du sel marin, la fabrication du savon, l'extraction de la gélatine des os, ainsi qu'un procédé spécial pour les teintures en couleur. - Nous lui devons encore cette merveilleuse création du métal fusible qui porte son nom, et dont l'imprimerie devait plus tard tirer parti pour la stéréotypie, ou art de convertir en planches solides les caractères mobiles de la composition.

Toujours en éveil, il essaya de remplacer le fer importé d'Angleterre, par de l'acier fondu, et demanda aux hauts-fourneaux de Pontenx et d'Uza d'entrer dans ses vues. Malheureusement, l'insuffisance des transports paralysa les rendements, et le manque d'ouvriers réduisit à néant les résultats d'une aussi intéressante découverte.

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Vinrent les époques troublées de la Révolution de 1789. N'ayant jamais abdiqué la foi de son baptême, Darcet fut nommé électeur à la Constituante, mais n'eut pas l'heur de plaire à Robespierre qui le fit jeter en prison. Il devait justement porter sa tête à l'échafaud, quand au matin même de son exécution, le farouche jacobin fut renversé par le coup du 18 brumaire. Echappant à la surveillance des gardiens, il mit immédiatement les voiles sur Doazit, chercher une atmosphère de repos et de sécurité.

Sa première visite fut pour l'église où, dit-il lui-même, "il répandit sur les dalles froides du sanctuaire toutes les larmes de son coeur". A l'Archiprêtre Mora et à ses deux vicaires traqués par le conventionnel Dartigoeyte qui terrorisa notre Chalosse, le fugitif indiqua un plan d'évasion du presbytère qui, sans éveiller les soupçons des patriotes, devait leur permettre de demeurer cachés dans la paroisse. (A "Lèbe" disent les archives paroissiales de Doazit).

Revenu à Paris après la tourmente révolutionnaire, Darcet fut fait sénateur: les mémoires de l'époque nous apprennent qu'il fut, à la Tribune, d'une fougueuse et patriotique éloquence.

C'étaient les temps où, sous l'impulsion de Lavoisier, la chimie française évoluait sur des bases nouvelles. Sans rien répudier des théories qu'il avait jusque-là enseignées, notre doazitien abonda dans le sens des méthodes du jour, et s'en fit même l'ardent propagateur.

Le 13 février 1801, Jean Darcet s'éteignait doucement, soutenu par un de ses amis, Dizé, aturin d'origine. Il venait d'entrer dans ses 76 ans.

Un demi-siècle plus tard, Paris reconnaissant voulut honorer sa mémoire, et décidait de donner son nom à une rue de la capitale.

Pourquoi Doazit qui fut, jadis, son berceau, ne s'honorerait-il pas à son tour, en baptisant du même nom la rue qui traverse son bourg, et qui dut certainement retentir autrefois du pas et des joyeux ébats de l'enfant du "Proulh" ?

R. Lamaignère
 

Décembre 1947