Superstitions et Croyances Populaires de Chalosse 

par Raphaël Lamaignère

[Sommaire Doazit]
[Endic de las poesias deu R.Lamanhèra]

 

        Nous vivons dans un siècle désaxé et d'agitation perpétuelle. Le monde actuel se cherche après les effrayants et coûteux conflits qui l'ont secoué deux fois, en moins de trente ans. Et la guerre n'a pas non plus été profitable aux âmes, qui perdent chaque jour davantage la vraie notion du bien et du devoir chrétien. Ce que tout esprit réfléchi redoutait, est finalement arrivé, à savoir, que notre société, se détournant de Dieu et de ce qui a toujours fait la noblesse du cœur, est tombée dans le matérialisme le plus grossier et le plus décevant. Et il s'en est suivi une erreur qui, si elle n'est pas nouvelle, n'en constitue pas moins une déformation sensible de l'esprit religieux, et que nous appelons : la superstition. 

        Quoi qu'elle dise ou qu'elle fasse, l'humanité ne peut s'empêcher de regarder vers le ciel ; car, il est dans sa nature de croire à quelque chose ou à quelqu'un. Ainsi, les peuples grec et romain qui, dans l'antiquité, firent si magnifique figure dans le monde d'alors, se tournaient vers leurs divinités, tantôt pour les honorer aux heures du plein soleil de leur puissance et de leur renommée, tantôt pour se les rendre propices, aux jours sombres et douloureux de leur décadence. Plus tard, Athènes et Rome, ayant vu tomber le paganisme comme religion d'état, embrassèrent toutes les magies des pays d'Orient ; mais, elles durent s'incliner devant le christianisme triomphant, venu planter la croix sur le Panthéon et le Capitole, et balayer toutes les idoles de la superstition. 

        Si nous considérons maintenant notre société du vingtième siècle, qu'elle le veuille ou non pétrie par nos ancêtres aux leçons de l'Evangile, il nous faut constater que sous les dehors, devenus si communs, du sceptique et de l'athée, perce toujours un sentiment religieux dont on ne peut se défendre, et qui continue à ébranler toutes les forces vives de la personne humaine. Beaucoup, hélas ! ont vu leur foi sombrer dans le tourbillon des préoccupations terrestres, dans la recherche et la satisfaction des instincts grossiers. Ils ont même répudié, ils le disent du moins, jusqu'à l'idée de Dieu, et secoué le joug de toute loi morale ; mais, sous cet air qui cherche ridiculement à ce faire provocateur, ils sont les premiers à mettre leur confiance dans les oracles, les amulettes, les fétiches, et ces mille inventions, plus grotesques les unes que les autres, et répandues par l'esprit du mal dans le monde, pour mieux tromper les masses. Et voilà pourquoi, nous pouvons bien dire maintenant, et sans crainte de nous leurrer, que nos contemporains ne sont devenus superstitieux, que parce qu'ils ont, d'abord, applaudi à toutes les malfaçons du christianisme, et qu'ils sont tombés, ensuite, dans l'incrédulité pratique. 

        On a dit avec emphase que la science avait fait tomber toutes les barrières de l'ignorance. Ne généralisons pas. . . Si la science a réussi, sur certains points, à dominer certains systèmes qui ne cadrent plus avec l'évolution de l'esprit moderne, il ne lui a pas été donné pour autant de niveler ces autres barrières de la bêtise humaine. Et, où que nous allions, nous trouvons encore des gens, et non des moindres, qui se laissent prendre au mirage de l'irréel, routiniers qu'ils sont, ou incapables de se faire un jugement à l'échelle de la foi. 

        On raconte qu'un jour, un curé fût prié par ses paroissiens de dire une messe à rebours, pour faire cesser le mauvais temps. Celui-ci, qui ne manquait ni d'à - propos ni de fie malice, leur répondit, de l'air le plus sérieux du monde : "Oui, je veux bien, mais à condition que tout aussi soit à rebours. Et comme vos esprits y sont déjà, vous n'aurez qu'à vous y mettre vous-mêmes : tête en bas et pieds en l'air…". La leçon fut comprise ; et les quémandeurs n'allèrent pas plus loin. 

        Il n'est pas rare de rencontrer dans notre Chalosse, pourtant encore imprégnée de foi et attachée à ses traditions, des gens tombés dans le ridicule de la superstition ; si bien, qu'ils ne savent plus ni ce qu'ils veulent, ni où ils vont. Et c'est là, pour nous, la preuve de la plus désolante déviation de leur esprit chrétien. 

        L'abbé Moumiet, mort curé de St-Aubin en 1911, écrivait vers 1892, dans son "Cahier de Paroisse" : - On est facilement porté ici à donner un caractère surnaturel à tous les accidents fâcheux qui surviennent, surtout aux maladies, soit des personnes, soit des animaux. Aisément, on y voit un maléfice. Dans ces cas, quelques familles se hâtent de s'adresser au prêtre, et de réclamer le secours des prières de l'Eglise. Mais, beaucoup d'autres recourent à certains individus de la région, qui font office de sorciers, prétendant ainsi guérir toute misère, et découvrir les objets perdus. Nos paysans se laissent aussi duper très facilement dans les marchés et dans les foires par de prétendus somnambules. Ils vont même jusqu'à Dax et Mont-de-Marsan pour les consulter" 

        Le fait n'est donc pas nouveau. Et, comme au temps de M. Moumiet, on n'hésite pas à venir nous trouver pour que nous "conjurions" les sorcières, et remettions sur pied les animaux d'étable ou de basse-cour…Nous n'avons pas le droit de leur refuser nos services, puisqu'aussi bien, dans sa sagesse, l'Eglise nous a donné son "Rituel", avec ses multiples bénédictions. Mais toutes ces gens sont-elles réellement convaincues de l'efficacité de nos prières ? Il est permis d'en douter, quand nous les entendons nous dire, ces paroles qu'immanquablement nous retrouvons sur toutes les lèvres : "Se ne hè pas benh, ne pòt pas har mau…" 

        Qui devons-nous incriminer dans ces sottes pratiques ? la mauvaise foi ? Elle peut certainement intervenir. La bêtise humaine ? Oui, généralement parlant. Mais, que ce soit l'une ou que ce soit l'autre, nous ne pouvons que les condamner, parce qu'il y a là bien souvent des influences étranges, et dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elles obéissent à une main diabolique. 

 

        Qu'est-ce-que donc la superstition, ou plus exactement les superstitions ? 

        On donne vulgairement ce nom à certaines croyances qui ne reposent sur rien de sérieux, et qu'on appelle encore : préjugés. Exemple : la malfaisance du chiffre 13, et de la chouette qui hulule. 

        Ces superstitions font revivre à leur façon ces folies païennes dont l'histoire nous a laissé le souvenir, et nous permettent de peser le degré d'abêtissement dans lequel peuvent tomber les hommes, lorsque ceux-ci ont fait abandon de toute vérité religieuse. Car, la superstition est un excès de croyance ; et Dieu s'arrange quelquefois, pour qu'elle soit une punition infligée à celui qui renie la vérité catholique. C'est un fait d'expérience, que plus l'âme refuse soumission à Dieu, plus elle tombe sous l'esclavage du démon et dans des excès ridicules ; tellement et si bien, qu'on a pu constater que la plupart des incrédules sont de grands superstitieux. 

        Et maintenant, si nous regardons autour de nous, nous devons reconnaître sans peine que les superstitions s'y sont multipliées à l'infini. Sans doute, on a de tout temps applaudi à leurs pratiques ; mais si, aujourd'hui on croit moins qu'autrefois aux loups-garous et aux sorcières, il n'en reste pas moins navrant de voir dans quelles aberrations on peut encore tomber. Et le mot de l'Ecriture, n'a point perdu de sa saveur : Infinitus est stultorum numerus ; "les imbéciles ne se comptent plus !" 

        Il serait intéressant de rechercher les causes de cette mentalité. Sans approfondir autrement la question, l'esprit que n'aveuglent pas les idées partisanes, reconnaîtra avec nous, que le laïcisme y est pour quelque chose. Car, c'est lui qui a jeté le malaise dans les âmes par ses négations et le faux surnaturel, celui-là même qui a pris la place de l'autre, le vrai, et qui, seul, donne un sens à la vie. 

        Nous le répétons : la Chalosse ne s'est jamais bien libérée de ces absurdités ; et nombreux sont encore ceux qui, s'honorant du titre de chrétiens, préfèrent cependant au Credo de leurs pères, toutes les élucubrations de leurs cerveaux désaxés. Au lieu de rendre hommage aux lois immuables de la Providence qui gouvernent le monde, et de chercher une explication naturelle aux faits qui parfois déroutent, nos bons paysans affirment, avec une entière assurance, qu'une main invisible prend plaisir à torturer les hommes, et à semer le malheur sous leur pas. On ne saurait dire comment toutes ces extravagances se sont accréditées dans l'esprit de nos populations ; mais, force nous est de reconnaître, qu'elles demeurent invétérées dans nos campagnes, parce qu'il ne s'est jamais trouvé des hommes à la foi assez trempée pour les repousser, ou à la raison assez forte pour les couvrir de ridicule. 

 

 

        Ceci dit, et la question étant désormais éclaircie, j'aborde maintenant de face, les divers aspects de la superstition. Je parlerai donc des croyances et des idées qui courent par le peuple, et de ces étranges préjugés que tout bon chalossais ne se croit pas autorisé à répudier, tellement ils font toujours partie des traditions de famille. Je m'empresse de dire que je ne place ici les faits ni sur le plan théologique, ni sur celui de l'histoire. Mon intention est, uniquement, de jeter dans le domaine de notre folklore chalossais, ces vieilles légendes du passé qui, chez nos ruraux, ne savent pas vieillir. 

 

*   * 

 

        De toutes les superstitions répandues parmi nous, le sortilège (lo mau dat), est certainement celle qui est le plus fort ancrée dans les masses. 

        C'est ainsi que nos gens voient un génie malfaisant, ou l'intervention d'un sorcier, dans presque toutes les afflictions qui viennent les visiter. Les volailles, les bœufs, refusent-ils de manger, qu'en voilà assez pour qu'on entende la maîtresse de maison s'exclamer : "Açí qu'i a mei o mens !" lisez : c'est le diable qui s'en mêle !. Un enfant tombe-t-il brusquement malade ; une grande personne se trouve-t-elle soudain incommodée, immédiatement, c'est le voisin fâché avec vous, ou la femme suspecte que vous aurez rencontrée sur la route, qui en seront les responsables. Et cela aura suffi, pour que désormais on ne vive plus que dans l'épouvante, ou qu'on ne se croie plus nulle part en sécurité. Du moment qu'on s'imagine être en butte aux forces du mal, c'en sera fait de l'harmonie qui régnait jusque-là entre familles, et une haine tenace empoisonnera tout, amenant parfois avec elle les pires vexations. 

        Mais c'est surtout dans les paillasses (les coittes), que se rencontre le sortilège. Là, vous dénicherez des poupées de plumes, appelées monacas, des formes d'animaux ou d'oiseaux agencées avec art, et liées avec des fils de couleurs différentes, cause de tous les maux qui retiennent les personnes dans leur lit, ou les bêtes à l'étable. Malheur à vous, si ces mannequins sont complètement formés ! Vous êtes sûr de votre affaire… Aussi, est-ce la chasse impitoyable, à tout ce qui, de près ou de loin, trahit le moindre indice du sortilège supposé… 

        On vint, un jour, m'apporter une espèce de couronne de plumes, trouvée dans une de ces coittes ; et j'avoue avoir été quelque peu surpris, en présence de ce bibelot, quand, par curiosité, je voulus le défaire. J'essayai d'en dégager l'interminable cordonnet rose qui l'avait confectionné ; mais, ce fut peine perdue ; et, en désespoir de cause, je me vis obligé d'envoyer flamber le tout, dans l'âtre pétillant : "-Malurós ! me dit la femme qui était venue me trouver, n'atz pas donc paur au sorcièr ?"
-"Naní, naní ! lui répondis-je ; que me'u saurèi virar !"
Et ma visiteuse ne se retira qu'a demi rassurée, bien que finit de brûler, la fameuse monaca… 

        D'autres fois, les sorciers marquent leur passage, en déposant devant la porte des maisons, la preuve tangible de leur malveillance. Ce sont des saletés que l'on devine, espèce de mousse jaunâtre, et que le vulgaire appelle lo poson… On se débarrassa au plus tôt de ces produits indélicats, d'abord en se signant, et puis en suspendant à la crémaillère, ou en allant porter avant l'aube à une croisée de chemins, le porte-malheur de la famille, en disant : "Que lo diable brusli las sorcièras !" 

        Parlons des revenants… Cet être fantastique, s'annonce par un bruit lourd de chaînes qu'on promène, de vaisselle cassée, de coups frappés sur les murs et les portes, et même quelquefois par des cris plaintifs dans la nuit, ou des appels angoissés. Une peur irrésistible vous prend aussitôt ; et dans la maison c'est un branle-bas général ; les uns se lèvent pour allumer le cierge de famille ; les autres s'enfoncent sous leurs couvertures, osant à peine respirer ; et, pendant ce temps, la sarabande continue. 

        Je me rappelle qu'étant enfant, chez ma grand' tante Barbe, à Doazit, j'entendais chaque soir, de 9 h. à minuit, comme des piaffements, semblant venir de l'écurie du menuisier voisin. J'avais beau me raisonner, je ne parvenais pas à prendre le sommeil. Une nuit, n'y tenant plus, la sueur me perlant au front, je partis, le matelas en mains, demander à Carmelle, de me donner asile en sa chambre. A peine en avais-je franchi le seuil, que trois coups formidables ébranlèrent la cloison. -"Eh bien, dis-je à la tante, qui toujours jusqu'alors était demeurée sceptique, vous avez entendu cette fois ? " Et, toute tremblante, celle-ci se leva, s'agenouilla avec moi devant le cierge allumé, et me dit : "Demain matin, tu iras me chercher à Maylis, ton oncle le supérieur, et tu lui raconteras l'aventure…" Et l'oncle vint ; et sa prière fut efficace. 

        En 1918, soldat permissionnaire du front de Verdun, j'étais venu passer la nuit dans la même maison, gardée par une sainte femme, Henriette Lamarque, de Doazit. Comme jadis, à l'heure fatidique, mais cette fois jusqu'à l'angélus du matin, j'entendis comme le bruit d'un berceau qu'on balance, venant de la maison du "Tarigoch", et se répercutant sur le plancher du grenier… La locataire n'avait rien entendu. 

        En 1910, à Poyanne, la Maison-Longue, annexe de notre Grand-Séminaire, était devenue un véritable repaire d'esprits frappeurs. -"Ce sont les rats !" ne cessait de nous répéter le supérieur Lafargue, au fond aussi ennuyé que nous l'étions nous-mêmes… Drôles de rats, en effet, que ceux qui, une nuit, à 3 h. du matin, vinrent ébranler la cloison qui séparait ma chambre de celle de l'abbé Jules Durou, si bien que toute la communauté fut réveillée en sursaut, incapable de se rendre compte de ce qui venait d'arriver. 

        Une autre fois, - toujours dans la Maison-Longue -, Jean Lacroutzet (devenu curé du Sen, glorieusement tué à l'ennemi pendant la guerre 14-18), montait l'escalier central pour la distribution hebdomadaire de l'eau bénite dans nos cellules, quand arrivé au premier palier, trois formidables coups de massue retentirent sous ses pas. Le malheureux, pris de panique, laissa tomber la cruche, et, à toutes jambes, regagna le château, pour raconter sa troublante aventure… Le supérieur, cette fois, finit par ouvrir les yeux, et crut bon de faire appel aux bons offices du R. P. Pontneau, notre directeur spirituel, pour l'exorcisme de la maison… 

        L'abbé Lafitte, curé de Montaut, m'a raconté que des coups étranges, rappelant ceux du forgeron qui frappe sur l'enclume, ne cessaient de s'entendre dans une maison du bourg. Une première intervention du vicaire d'alors, n'eut d'autre effet que jeter en celui-ci une de ces frousses dont on n'oublie pas le souvenir. Un autre soir, le curé et son auxiliaire, l'un revêtu du surplis, l'autre portant le goupillon, montèrent au grenier, précédés du maître de céans, cierge allumé à la main… On entre… Vacarme infernal… Un souffle mystérieux passe sur la chandelle… On allume à nouveau… En hâte, le curé bénit les combles, pendant que les coups redoublent d'intensité… "ça va bien, dit-il ; descendons…" E, onques plus, le bruit ne s'entendit, pour inquiéter les humains. 

 

        La croyance aux loups-garous, superstition tout -à- fait ridicule, celle-là, ne trouve bientôt plus d'écho dans nos campagnes de Chalosse…Cependant, on y rencontre encore de bonnes femmes qui, sur les routes, se détournent au passage de certains hommes, supposés malfaisants. 

        Ce loup-garou était un sorcier, capable de se métamorphoser en chien ou en bête quelconque, et qui, la nuit, attaquait les gens sur les chemins. Si, pour s'en garer, on venait à le blesser et à répandre son sang, celui-ci retrouvait sa forme d'homme ; mais, s'il était tué, on apprenait, le lendemain matin, qu'un tel était mort subitement dans son lit. L'action du loup-garou était si redoutée, qu'il avait le don de faire sécher celui qui osait se dire son ennemi. 

        On raconte à St-Aubin, qu'un individu de Brocas passait, un soir, à travers champs, lorsqu'il rencontra un gros chien qui fit mine de le mordre. Un combat s'engagea, à l'issue duquel l'animal reprit sa forme humaine. -"Qu'ès tu, en aqueth estat ?" dit le paysan… Et les deux hommes se mirent à causer. -"Tè, dit alors l'ex-loup-garou, un de Hauriet, tè, hè-te ua cigarréta !.." Et l'on se sépara, sous la pâle clarté de la lune ; mais jamais il ne fut fait allusion, entre eux deux, de la tragique rencontre. 

        Toujours à St-Aubin, on se rappelle avoir entendu dire qu'un être étrange, venait, à certaines nuits d'été, plonger et se débattre dans les eaux de "Peyradère", faisant de toutes parts gicler l'eau, de ses ailes puissantes. Une battue fût organisée, et l'un des plus adroits tireurs de la bande, fit feu dans la direction indiquée. Et voilà qu'aussitôt, une voix sortit des rives de la Gouaougue, qui disait : "Mercí ! Que m'as guarit ! 

        Une autre espèce de loup-garou, était la cama-cruda, appelé encore lo sopa tot ser, être non moins fantastique qui ne sortait que la nuit, pour rôder autour des maisons, et dévorer les enfants. 

        Les mioches redoutaient ce vampire, et pour rien au monde ils n'auraient osé quitter le toit paternel, quand étaient tombées les ténèbres. 

        Que n'ont-ils, aujourd'hui, cette crainte salutaire, nos adolescents des deux sexes, qui s'enfoncent dans la nuit pour mieux passer leur temps, loin du regard du père et de la mère !… Et que ne l'ont-ils aussi, ces malheureux parents, pour qui la vertu et l'honneur de leurs enfants ne sont bientôt plus qu'article désuet ! 

        Je ne parlerai que pour mention des feux follets, ou globes lumineux, qui voltigent pendant les nuits d'été dans les cimetières et sur les tombes des défunts. 

        La superstition populaire y voit un retour des âmes du Purgatoire, venant demander des prières aux vivants, alors qu'en réalité ces flammes fugitives ne sont que des émanations chimiques prenant feu au contact des matières animales qui pourrissent sous terre. 

 

        Parlons maintenant du pouvoir mystérieux, attribué aux sorciers et guérisseurs, et que nos paysans de Chalosse appellent lo don

        Il y a des dons, qui sont tout à fait naturels, comme par exemple, celui des rebouteurs. Ces individus possèdent des secrets, utilisent des herbes médicinales et d'habiles pratiques qui, ordinairement, sont le résultat d'une longue expérience. Leur nom est en vénération ; et on vient parfois de très loin, leur demander la guérison des fractures, des entorses, des brûlures, des eczémas, et de mille autres maux qui fondent sur les pauvres humains. 

        J'ai connu à Doazit, un de ces thaumaturges de campagne, au demeurant un excellent chrétien, et qui jouissait d'une popularité de bon aloi. On l'appelait lo Marcha-mala…Le nom dépeignait l'homme. L'une de ses jambes était comme écartelée, et il n'avançait qu'avec peine, appuyé sur sa canne. Il n'en opérait pas moins des cures merveilleuses ; celle, entre autres, du médecin de l'endroit, M. Branzeau, qui, tombant de voiture, s'était démit le pied, et ne trouva son salut qu'en venant frapper à sa porte. 

        Qui n'a entendu parler des guérisseurs d'écrouelles, (lo mau de Sent Loís), de la rate (la meussa), ou du zona (lo cindre) ? Ces hommes et ces femmes jouissent d'un renom d'autant plus grand, qu'ils sont rares à trouver. Car, n'est pas guérisseur qui veut… Ainsi pour "toucher" la rate, il ne faut jamais avoir connu son père ; pour guérir écrouelles ou zona, il faut être le septième enfant mâle de la famille. Et c'est peut-être cette rareté qui fait… la cherté ! Jamais, ces médecins d'occasion ne demandent paiement , car alors leur intervention demeurerait inefficace ; mais, ils ne dédaignent pas pour cela les cadeaux qu'on leur passe en sous-main, et qui, parfois valent leur pesant d'or. 

        Inopérant serait cependant leur geste à l'égard des malades, si celui-ci ne s'accompagnait de prières, de formules cabalistiques, de signes de croix multipliés, toutes choses qui sentent la superstition la plus indiscutable. Pour le zona, par exemple, le guérisseur prend son client en croupe, faisant sept pas en avant et sept pas en arrière, avec une oraison spéciale. Pour les fièvres malignes, il fait un petit paquet du bout des ongles qu'il coupe aux mains et aux pieds du patient ; et celui-ci doit s'en aller, à l'aube jeter derrière lui le contenu, à la croisée de quatre chemins. 

        Mais le don peut aussi venir du diable ; et alors, nous sommes en présence du véritable sortilège. Comment le déjouer ? Ce n'est pas difficile : il suffit d'insérer son pouce entre le majeur et l'index, en disant tout bas, quand passe la posoèra, ou sorcièra : "Au diable que't dàu !" 

 

 

        Les fées, ont aujourd'hui perdu la place qu'elles occupaient, jadis, dans l'imagination populaire. Nos vieux grands-pères leur attribuaient un pouvoir sans limites, mais voyaient d'habitude en elles des êtres uniquement malfaisants, et faisant tout trembler sous leur baguette magique. Plus bénignes parfois, elles se contentaient de taquiner les hommes, de se moquer de leurs manies, en s'installant sous le manteau de la cheminée, d'où elles prenaient un malin plaisir à les contrefaire. Il y avait aussi les bonnes et bienfaisantes fées, protectrices des maisons, et qui venaient pendant la nuit commencer le travail, fixé pour le lendemain, par les gens de l'endroit. Ce sont ces dernières qui, d'après la légende, auraient bâti la Tour de Poyaler, en se jetant mutuellement truelles et mortier, depuis le moulin de la Gouaougue, en Larbey. Les mêmes qui, toujours en Larbey, quittaient leur solitude dorée des bords du Louts, pour aller visiter et combler de faveurs, les maisons où venait de naître un enfant… 

 

        Cette étude serait forcément incomplète si nous ne disions un mot des sorcières. 

        La sorcière était représentée comme une femme voûtée, disgraciée de la nature, bègue, l'œil de travers, revêtue de la longue cape à raies rouges, la plupart du temps inconsciente. Elle avait le pouvoir de rendre fou le chien de la maison ; malade, le porc devant son auge ; de faire tourner le lait, etc…etc… Elle portait sur elle la malédiction publique ; et chacun poussait un soupir de soulagement, quand on apprenait qu'elle s'en était allée mourir à l'hospice, ou qu'on l'avait trouvée morte à un détour de chemin. 

        On la reconnaissait aux yeux roux… mais surtout à l'impossibilité où elle se trouvait de quitter l'église quand, le prêtre oubliait de fermer le missel après le dernier évangile. A ce sujet, on en raconte une bien bonne, qui arriva au P. de Caupenne (1), un jour de Noël. Celui-ci, par mégarde, était revenu à la sacristie, ayant précisément laissé le livre ouvert, après sa troisième messe. Les hommes étaient déjà sortis, quand se produisit dans le lieu saint, un vacarme épouvantable. La curiosité aidant, plusieurs d'entre eux revinrent sur leurs pas, et qu'est-ce qu'ils virent ? Les sorcières, surprises à l'intérieur de l'église, marchant à reculons, mais ne pouvant, quelque bonne volonté qu'elles y missent, dépasser le bénitiers… Il fallut aller quérir le bon religieux, pour le prier de réparer sa distraction ; et les pauvres malheureuses purent, cette fois, retrouver sans difficulté, le chemin de la porte. 

        Une seconde manière de reconnaître les sorcières, c'était de jeter dans le bénitier de l'église, une gousse de petits pois à neuf grains. La sorcière qui venait tremper sa main, était clouée sur place ; et, seul, le curé avait le pouvoir de la tirer de cette fâcheuse posture. 

        On ne saurait parler de sorcières, sans évoquer en même temps le souvenir du sabbat. C'était le fameux conciliabule qu'elles tenaient, la nuit, dans un lieu solitaire, et d'où elles jetaient, ensuite, leurs maléfices sur les bêtes et sur les gens. On ne manque pas de montrer, dans nos localités de Chalosse, l'endroit où les "posoèras" se réunissaient ; et ce n'est jamais sans une certaine frayeur, qu'on parle de leurs assises solennelles. Car, c'est là, messire Satan présidant la séance, qu'on ricanait contre les prêtres et la religion, qu'on tournait les cérémonies en ridicule ; c'est là que la sorcière recevait l'emploi de son temps, une fois revenue à la maison. Jamais ne devait être dévoilé le secret de ces assemblées mystérieuses ; et malheur à celle qui, par démangeaison de parler, en faisait la moindre mention ! 

        A St-Aubin, dit une vieille relation, le sabbat se tenait au bois de Poyaler, où les sorcières du pays, voltigeant à califourchon sur un manche à balai, se rendaient après s'être laissées dégringoler par le fameux trou de la Tour, fait par le diable, pour organiser ensuite leur procession nocturne, un chandelon allumé à la main (2). Mais, le grand rendez-vous des sorcières de la Chalosse, était au "yert" de Pomarez-Estibeaux (3). Elles avaient bien choisi leur lieu de réunion ; et dans ces landes désertes, que rien ne vient troubler, sauf le cri rauque du corbeau ou de la chouette perdue, elles pouvaient aisément dérouler leurs fantasques élucubrations. 

 

 

Et je terminerai ces données, par l'énoncé des "présages" ou des croyances populaires, contre lesquels le temps n'a jamais pu prévaloir, et que nous devons bien nous garder de contredire si nous ne voulons passer pour suspects devant nos chalossais. 

 

1o Il y a tout d'abord la chouette (la cagèca), dont le cri caractéristique annonce le malheur. Pour chasser l'importune et se prémunir contre l'adversité, la maîtresse de maison s'en vient précipitamment jeter au feu une poignée de sel, en disant :
                        "Salica, salèca
                        "Au cuu de la cagèca…"
Ce qui, évidemment, n'a pas l'air de beaucoup troubler l'innocente visiteuse… 

 

2o Le chiffre 13 a toujours été regardé par nos populations comme portant la malfaisance avec lui… Pourquoi pas le 12 ou le 14 ? On prétend que le 13, rappelle aux superstitieux le souvenir de Judas, le treizième du collège apostolique, le Christ compris, et maudit par celui-ci pour son horrible trahison… Dès lors, ne vous trouvez jamais 13 à table, car il est dit que l'un des convives décédera pendant l'année ; ne vous mettez jamais en route un 13 du mois, moins encore si ce jour tombe un vendredi, vous n'arriverez pas au terme du voyage ; si vous allez dans une chambre d'hôtel, n'acceptez pas celle portant le numéro 13, car vous seriez loin d'y faire des rêves doux pendant votre sommeil.
Mais, en revanche, n'hésitez pas à porter à votre cou, de riches amulettes avec un 13 bien en évidence : cela portera bonheur, à vous d'abord, et puis à tous les vôtres… Comprenne qui pourra ! 

 

3o La femme qui vient de s'accoucher et qu'on laisse seule à la maison, se gardera bien de répondre à l'étranger qui vient frapper à sa porte ; sans quoi, l'enfant sera "ensorcelé". Elle aura soin, par contre, de laisser un cierge allumé dans sa chambre, jusqu'après le baptême de la créature, pour écarte tout maléfice possible.
Gare à l'enfant dont le baptême n'aura pas été carillonné ! Il sera sourd désormais.
Enfin, que la mère se garde bien de paraître en public, tant qu'elle ne sera pas venue aux relevailles ; car, elle pourrait bien trouver sur sa route, une quelconque "jalousie", pour lui jeter un sort. 

 

4o Surveillez-vous pour ne pas renverser votre salière à table, et casser un miroir ; mais, si à un repas de noces, vous brisez un verre ou une assiette, félicitez vous-en, car les époux seront heureux en ménage. 

 

5o Ne faites jamais votre lessive pendant la semaine Sainte, si vous ne voulez pas ensuite voir votre linge moisi. Ne tuez pas non plus votre porc, un vendredi ; sans quoi, les vers se mettront aux jambons. Ne mettez pas enfin, votre pain au four pendant les rogations, de peur qu'il ne moisisse. 

 

6o Si vous voulez passer sans encombre les quarante jours du Carême, assurez-vous que tous vos chats aient bien quitté la maison, le soir du Carnaval. 

 

7o Vos bœufs éviteront les maladies et seront immunisés contre les coups des sorcières, si vous allez, le matin de la Saint-Jean, le 24 juin, bénir vos étables, avec un bouquet de laurier que vous aurez attaché à votre pied gauche, et promené ainsi quelques instants, dans la rosée de votre prairie.
Et si, par aventure, vos bêtes se montrent tracassières, vous les guérirez bien vite, avec un onguent composé comme suit : prenez de l'ouate trempée dans de l'eau de vie, mêlez-y le noir de vos ongles des mains et des pieds, et frottez-en l'intérieur des oreilles des animaux ; le moyen est infaillible !…
L'acheteur d'une paire de bœufs n'emportera jamais "l"agulhada" du vendeur, s'il veut pouvoir faire suivre ses bêtes ; et, arrivé chez lui, il les introduira à reculons dans l'étable, sans quoi elles feront ensuite des difficultés pour sortir. 

 

8o Pour avoir de beaux ails, attendez que la rosée de St-Jean Baptiste, soit tombée sur vos jardins. 

 

9o Vous désirez réussir dans vos affaires et avoir abondamment de l'argent ? faites des crêpes pour la Chandeleur (2 février), et lancez la première qui sort de la poêle, sur la porte de votre vaisselier en l'y laissant sécher. 

 

10o Méfiez-vous des poules qui imitent le chant du coq : ce sont des porte-malheur dont il faut vous défaire de suite. 

 

        Et voilà jusqu'où peut aller la pauvre bêtise humaine ! Et dire qu'il y a encore des quantités de gens qui croient, dur comme plâtre, à ces nombreux présages ! Ils ne soupçonnent même pas qu'ils offensent leur foi, comme en tout ce qui est de la superstition, et qu'ils se rendent ridicules auprès des bien pensants. Mais, allez donc raisonner des cervelles, obstinément embourbées dans la sottise et l'illusion ! 

 

        Avant de clore ces pages, je dirai que tous ces contes de sorcellerie, joints à certains prodiges qui parfois nous déroutent, ne sont bien souvent que le fruit d'imaginations simplistes, qui trouvent autour d'elles plus simplistes encore, pour y applaudir sans réserves. A tout prendre, n'y a-t-il pas là d'amusantes anecdotes racontées par ces bon aïeux qui savaient si bien rire, et dont la verve féconde agrémentait d'habitude les soirées d'hiver passées en famille devant la bûche flambante ? N'y a-t-il pas aussi des histoires charmantes, sorties, entre deux vins, de ces autres chalossais dont l'imagination toujours en travail, était si souvent relancée par le piquepoult pétillant ? 

        Le vrai chrétien, lui, se laisse uniquement mener par la Providence, et il se dit que sa destinée est entre les mains de Dieu qui mène le monde, et en qui seul il place ses espoirs et ses craintes. C'est là pour lui le parti le plus sage. Le reste ne lui paraît que supercherie ou mensonge. 

 

R. Lamaignère, septembre 1946. 

 

 

        Ce n'est pas qu'en Chalosse qu'on trouve des croyances populaires : car, partout il y a des esprits égarés dans la superstition. Je n'en veux pour preuve que ces autres "échantillons", puisés dans un vieux livre de sciences occultes, et qui couronneront admirablement ce que nous en avons dit plus haut : 

1o Si vous voulez avoir un abondant et savoureux persil, faites-le semer à un toqué ou un fou. 

2o Pour éviter à un moribond une trop pénible agonie, mettez son lit dans le sens des soliveaux du plafond. 

3o Vous empêcherez vos poules de sortir du poulailler en faisant une croix dans votre cheminée. 

4o Votre malade échappera sûrement à la mort, si vous le faites reposer sur un lit de plumes de perdrix. 

5o Une femme en mal d'enfants sera plus vite délivrée, si elle chausse les bas et les souliers de son mari. 

6o Ne vous mariez ni en mai ni en août, si vous voulez éviter un malheur en famille. 

7o Ne taillez pas de chemises, et ne vous peignez pas le vendredi : vous ne serez pas incommodé par les poux. 

8o Pour avoir une heureuse couvée, faites donner les œufs à la glousse, le mardi-gras par une personne prise de vin. 

9o Lavez bien vos enfants le vendredi-saint pour les préserver de la gale. 

10o Evitez de faire au four, de Noël au premier de l'an, pour échapper au malheur. Mais, laissez pendant ce temps, jour et nuit, votre pain sur la table, dans le cas où la Ste Vierge aurait décidé d'y venir prendre ses repas. 

11o Vos animaux échapperont aux maléfices, si le 1er avril, vous allez porter du sel aux quatre coins de votre prairie. 

12o Si, à la grand'messe, le prêtre lit l'évangile selon St-Marc, vous pouvez être sûr qu'il pleuvra toute la semaine. 

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 [Raphaël Lamaignère]
[Endic de las poesias deu R.Lamanhèra]


(1) Le P. de Caupenne, capucin (de son vrai nom, l'abbé Farthoat) était né à Brassempouy, en 1763. Avec l'abbé Dupérier, curé de St-Aubin, il donna pas mal d'ennuis aux patriotes, mais eut toujours l'heureuse chance de leur échapper. 

(2) D'après une brochure, sans désignation d'auteur, intitulée "Sorcières et loups-garous dans les Landes". (N.D.L.R. : L'auteur de la brochure est Vincent Foix. Réédité par 'Ultreïa, en 1988) 

(3) Terrain vague, traversé par la route de Habas.