Sommaire Doazit

Généalogie de Laborde Péboué

 

-          Texte extrait de « Nos Cahiers » (Grand Séminaire d’Aire-sur-l’Adour), 15ème fascicule; février 1906 ; pp.29-54.

-          Auteur : Alphonse Peyroux, originaire de Doazit ; ordonné prêtre en 1906.

-          Avertissement : D’après cette communication, l’auteur de la généalogie serait Charles de Laborde, mais elle doit plutôt être attribuée à son frère Raymond de Laborde.

 

 

 

Souvenirs d’autrefois (1)

 

 

            Nous devons à l’obligeance d’un des descendants de la famille de Laborde de Péboué

communication d’un manuscrit inédit du dix-huitième siècle.

            Ce vieux grimoire fait songer aux Mémoires de Henry de Laborde de Péboué, que tout le monde connaît depuis que M. le baron de Cauna les a insérés à la fin de son troisième volume de l’Armorial des Landes. Mais il n’est peut-être pas aussi intéressant ; il s’adresse surtout aux amateurs de généalogie.

            La date du manuscrit est certaine ; il a été commencé en 1728 et terminé en 1742. Quel en est l’auteur ? Ici l’hésitation commence.

            C’est un familier de la maison ; en 1742, il a vu « dans une feleure de poutre, les dents de Pierre de Laborde, qui avait soin de les y placer à mesure qu’il luy eu tomboit quelqu’une. »

            Il y a même lieu de croire que l’auteur est de la famille ; une généalogie n’intéresse jamais que ceux qui en font partie ; d’ailleurs il recommande à ses descendants de continuer son œuvre, ce qui eût été inadmissible s’il n’eut pas été membre de cette famille.

            Il parle « de contrats de mariage qu’on conserve dans la maison et que je prie les descendans de conserver avec grand soin. » Plus loin il ajoute « en ramassant les noms et les aliances de nos ancêtres, a quoy je me suis attaché. » Et en-

 

 

 

(1)   Travail lu en communauté.

 

 

 

30

 

core « j’ay cru rendre office à ceux qui nous suivront dans la famille, si Dieu leur continue la multiplication et la croissance. » Et enfin : « je n’estois pas assez instruit pour rapporter le caractère cy les événements de nos premiers ancêtres. » C’est donc un membre de la famille des Laborde Péboué qui a écrit ce manuscrit.

      Né le 22 janvier 1692, avec une santé très délicate, Charles alla étudier à Saint-Sever, Mont-de-Marsan, Agen et Aire, où il fut ordonné prêtre. Successivement vicaire de Benquet et de Campagne, dans le diocèse de Dax, il obtint plus tard la cure de Capbreton et de Labenne, et enfin celle de Vicq avec Cassen, pour annexe, où il mourut  le 8 janvier 1746, quatre ans après avoir mis la dernière main au manuscrit.

      Quoi qu’il en soit de l’authenticité de l’auteur du manuscrit, on ne peut révoquer en doute la véracité des événements qui y sont rapportés ; pour écrire, l’auteur a mis tant de soin à déchiffrer les manuscrits domestiques « si vieux à la vérité, si déchirés et si difficiles à lire, les uns escrits en latin, d’autres en gascon, les autres enfin en françois, qu’à peine ai-je peu avec le secours des gens stilés dans ces sortes de recherches » qu’on ne peut même pas soupçonner sa bonne foi, ni la véridicité des faits qu’il raconte.

      Aussi s’est-il crus permis de recommander expressément à ses descendants « de le transcrire en entier, sans y rien adjouter ny diminuer... afin de le pouvoir continuer, si Dieu bénit la famille par la multiplication ». Ces intentions ont été en partie remplies ; nous trouvons dans le manuscrit la trace de deux mains.

      L’auteur veut que son travail ne soit pas œuvre de pure curiosité ; il engage ceux qui le liront à en tirer des enseignements : « Les descendants peuvent prendre des précautions, y est-il écrit, et craindre les meaux qui ont attaqué

 

31

 

leurs ancêtres et sur tout par une pieuse émulation, tacher d’imiter leurs vertus et d’éviter leurs vices, pour vivre saintement et mener un régime de vie, pour éviter les meaux dont ils ont été attaqués. »

      Nous rangerons sous trois rubriques les extraits que nous tirerons du manuscrit :

      1.- On verra quels fléaux s’abattirent sur le peuple en ces temps.

      2.- On mentionnera les saints prêtres sortis de la maison de Laborde de Péboué.

      3.- On donnera une idée des mœurs de l’époque.

 

 

I

 

      Depuis la Révolution les historiens ont tout dit sur la misère du peuple vers la fin du règne de Louis XIV ; plusieurs ont exagéré ; cependant ce grand siècle au milieu de ses gloires a été témoin de beaucoup de souffrances.

      Déjà, en 1692, tandis que les armées victorieuses du Grand Roi repoussent la troisième coalition sur toutes nos frontières, la misère se fait sentir dans le peuple.

      « Depuis 1692, lisons-nous dans le manuscrit, les saisons furent pendan trois ans si renversées que la terre devint estérille et le peu de fruits qu’elle donnoint, estoint si peu alimentés qu’on ne pouvoint se rassasier ; il y périt de faim et de misère une infinité de peuple ; on ne pouvoint sortir de sa maison sans trouver des cadavres par les chemins ; les maisons un peu apparentes estoint investies des gens qui combattoint avec la mort, mangeant des fruits d’herbes et des plantes. »

      En même temps l’impôt de la gabelle, toujours majoré à cause des guerres continuelles et surtout par suite des campagnes désastreuses de la guerre de Succession d’Espagne, excitait les mêmes troubles dans le pays. L’arrivée des sergents royaux inspirait à nos pères la même terreur ; on en a trouvé plusieurs échos dans les Mémoires de Henri de Laborde Péboué nous en retrouvons aussi dans notre manuscrit :

 

32

 

      « Dans le mois de juillet 1705, monsieur le viconte d’Aurice, conseiller au parlement Guiene, aiant fait passer la terre de Doazit  au décret, envoya une trentaine de sergens et recors pour s’en mettre en pocession.

      « Monsieur le chevallier de Candalle, dernier garçon de la famille et encore jeune homme, leur fist fermer les portes qu’ils n’osèrent forcer, et s’estant mis en chemin pour aller enlever la moisson dans quelque métérie du costé de Caupene, monsieur le chevallier de Candalle, monta à cheval en veste, prétextant une chasse quoy qu’il eût les pistolets et aiant ramassé quelques peysants qu’il sçavoit résolus, il courut avec sa troupe après les sergens, qui se voyant poursuivis, ils se réfugièrent dans la basse-cour d’une maiterie, appeléé au Basque, sur le bord du grand chemin de Larbey. Ce fust là le champ de bataille.

      « Monsieur le chevallier de Candalle menassa d’abord les sergens et leur demanda leurs armes, qu’ils refusèrent de rendre et firent tous la décharge sur luy. Il eut son cheval tué entre ses jambes et luy-mesme fort blessé, si cruellement que ce fust un miracle, ou pour mieux dire une chose inespérée de le voir deux ans après entièrement remis, aiant eu son bras gauche massaicré et ses cuisses rompues.

      « Les peisants à la veue de triste espectacle et voyant leur conducteur terrassé, firent leur décharge et en tuerent cinq sur place et poursuivirent les austres par les taillis, champs et vignes, tuant ceux qu’ils pouvoient joindre, qu’ils jetoient dans les fossés.

      « Ce qu’il y eut de positif, que peu de cette troupe de sergens et de recors se retirèrent chez eux, sans qu’on ai sceu ce qu’ils devinrent à la réserve de cinq qui restèrent sur le champ de bataille, que la justice de Saint-Sever et celle de Doazit vinrent visiter successivement il est vray que quelques jours après.

      « Les chiens du voisinage du Basque aportèrent chez eux des lambeaux de cadavre qu’ils trouvoient dans les focés. Un des six contrefit le mort jusques à l’arrivée de la justice ; il fut traduit aux prisons de Doazit, où il resta deux ans, puis on le laissa échaper ; cette action resta impunie et ne s’en dit plus rien que si elle avoit esté entre des souverains.

 

33

 

      « Monsieur le chevallier de Candalle  s’en fus quelques années après au service et moureut de la fièvre ; il estoit intime amy d’Antonin de Laborde Péboué et son contemporain ; ledit Laborde estoit au service ; il n’aurait pas manqué de se trouver à cette action, s’il avoit esté dans le païs. »

      A partir de l’année 1707 notre pays est affligé par des fléaux continuels :

      « Le 14 juin 1707, dernière feste de la Pentecoste, vers les trois heures du soir, il gresla dans tout ce païs et la gresle estoit si grosse et si abondante, avec un si furieux vent et orage, que la moisson fut ensevelye si profondément sous la terre qu’il ne paraissoit  pas le moindre vestige.

      « Tout sembloit un gerest ; les tuiles furent toutes brisées, les vignes et les taillis pelés et massacrés, les arbres arrachés et coupés sur le milieu, et les plus gros furent transportés par l’orage et le grand vent, si loing qu’on ne sait où.

      « Ce fust là l’origine des processions que les paroisses voisines font chaque année à Mailis, pour y réclamer la protection de la Ste. Vierge, pour estre préservés d’un pareil flau. »

      Cette pieuse tradition s’est conservée jusqu’à nos jours ; aujourd’hui encore, après deux cents ans, les paroisses environnantes de Maylis, se rendent processionnellement dans ce vénéré sanctuaire, pendant les jours qui précèdent Pentecôte, pour mettre les récoltes de l’année sous la protection de Marie. Doazit accomplit toujours son vœu le jeudi le plus rapproché du 14 juin, pour rappeler sans doute la grêle de l’année 1707.

       A ces malheurs, qui avaient déjà plongé dans la misère la plus grande partie des familles, vinrent s’ajouter, deux ans plus tard, les horreurs de l’hiver de 1709. Tout le monde connaît l’état lamentable de la France à cette époque ; il ne sera pas sans intérêt pour nous de connaître aussi l’état de notre petite patrie/ Voici ce que nous lisons dans le manuscrit :

      « Jeanne Marthe de Capdeville d’Arricau avoit trois frères et trois sœurs, dont l’aîné fust marié dans la maison et a laisé un garçon et une fille. Le second fust prestre et curé de Benquet, ensuite de Hagetmau, puis d’Argelos, où il est mort fort vieux.

      « Le troisième fus capitaine d’infanterie et eut pour apa-

 

34

nage, le bien et la maison de Bertaut, maison située en Segaret, et fust marié à la Gruère de Hagetmau et a laissé une fille et six garçons.

      « Comme il avoit été blessé à la teste au service, il moureut l’année 1709 de mort précipitée  et presque soudaine, qu’on a attribuée à la glace extraordinaire, qui s’ouvrit la mesme année, le jour des Roys, sur le soir, avec des neges si abondantes pendant trois semaines, qu’on creut périr de froid.

      « Même bien des pauvres gens moururent ; les maisons se seroint affecées, si on n’avoit eu soin de les décharger de la nege. Ceux qui se trouvèrent dépourveus de bois furent obligés de brusler les planches, poutres et soliveaux.

      « On passoint les rivières à cheval et mesme les charretes sur la glace ; on faisoint sur Garonne à Agen, où je le vis par moy-même y estudiant en théologie. Le vin estoit si glacé dans les barriques, qu’on ne pouvoint en tirer sans les fers chauts ; on coupoint le pain avec la hache ; de le tenir auprès du feu c’estoit brusler la superface, sans déglasser le centre. L’espèce de toute sorte de gibier périt presque toute ; on vit dans cette occasion dans ce païs des oiseaux qu’on n’avoint jamais veu. »

      Charles de Laborde de Péboué ajoute :

      « Ce pays fut encore affligé par la gresle bien cruellement en 1712 ; le 2 juin 1714, à la pointe du jour ; et encore le jour de l’Assention 1719, vers les trois heures du soir et cette gresle nous vint du costé de Lescar, ce qu’on n’avoit jamais veu ; et la veille de St. Pierre 1728 et la veille de S. Jacques 1731 ; et le 26 Aoust 1732 il gresla aussi. Que la main de Dieu s’apeusentit sur ce païs ! Car nos ancestres ne connoissoint presque pas ce flau. »

      En même temps, la banqueroute de Law achevait de ruiner nos pères :

      Mgr le duc d’Orléans, allors regent du roiaume de France s’avisa l’année 1720, pour attirer tout l’argent et l’or, de faire marquer des billets en si grande quantité de toutes sortes de sommes, avec défence de négotier qu’avec les susdits billets et aux notaires d’estipuier sous des grosses amendes que sur des billets.

      « Et chaque jour il paroisset des nouveaux edits pour

35

hauser et diminuer l’or et l’argent monoié ; l’écu qui ne valoit avant que ce cinq livres et que les roiaumes estrangers ne prenoint qu’a quatre livres, valut jusques a quinze livres.

      « Cette révolution et l’inconstance de François fit  que tout le monde souhaitoit des billets de banque pour son argent. Crainte d’autre costé qu’il ne diminuant dans leurs mains et pour animer ce désir aux François, monsieur le duc d’Orléans avoit des agioteurs affidés, qui achetoint sur son compte les billets et en donnoint en argent jusques au double de la somme qu’ils contenoint.

      « Cette démarche de ces gens affidés excita la cupidité de tous ceux qui se trouvoint a portée de faire ce négoce, ce qui fust répandu dans tout le roiaume. La banque fust ouverte dans toutes les recettes et au authels de monoie où l’on avoint envoié des milions de billets pour faciliter l’échange aux provinces. Voyant tant de révolutions du haussement et de diminution sur les espèces, tout le monde les aportoint en foule, aussy bien que la vaisselle plate, pour prendre des billets ; il y en eut très peu qui n’en fussent la dupe.

      « Ceux qui devoint paierent du commencement en billets, que les créanciers aimoint mieux que des espèces ; peu de temps après, nul créancier ne vouloit accepter le paiement, parce qu’il estoit défendu dailleurs de faire aucune affaire avec de l’argent ; les débiteurs empruntoint des billets qu’ils trouvoint à des conditions très gracieuses, pour les consigner à leurs créanciers. Les parlements cassèrent toutes les consignations et les débiteurs se trouvèrent avec une double depte, ce qui bouleversa tout le roiaume. Ce que dailleurs on fabrica de ces billets en Angleterre, qu’ils firent passer secrètement en France, d’où ils emportèrent un argent immense pour du papier. Ce commerce de papier dura tout au plus un an et quelques mois et furent entièrement discrédités en 1721.

 

36

      « Quoique la famille de Laborde de Péboué deut allors prendre six à sept mille livres a rente constituées, Antonin de Laborde fist si bien avec ses débiteurs, que personne ne le paya, tellement que les billets de banque ne luy causèrent pas du domage, la famille ne s’en trouva paschargée d’aucun dieugraces. »

      En 1738, au mois de Novembre, nos pères furent les témoins de spectacles étranges, qui furent d’ailleurs remarqués un peu partout :

      « Il parut, vers les huit heures, des phenomes, pendant cinq ou six soirs ; on pouvoint y voir à lire ; les plus anciens m’assurèrent qu’ils n’avoint jamais veu si clairs, si grands, ni qui durassent tant de tems que ces phenomes qui furent veus dans toute l’Europe, ce que je remarqué dans les gazettes de France et d’Holande ; mais on n’expliqua jamais ce que cela nous predisoit. »

      Nous ne voulons pas évidemment tirer des prédictions de ces phénomènes étranges, qui furent probablement quelque averse d’étoiles filantes si nombreuses pendant les premiers soirs de novembre ; nous ferons cependant remarquer que les deux années qui suivirent furent marquées par de nouveaux fléaux.

      « Cette mesme année 1739, la récolte du grain fust fort retardée ; on ne coupa le froment que vers la demie aoust aussy le seigle et milloc fust hors de prix ; la mesure de seigle de Saint-Sever se vendoit jusques à trois livres dix sols ; le milloc trois livres ; la famine commençoit a estre dans le païs ; la récolte fust si retardée a cause des pluies continuelles, qu’il fist pendant le printemps et esté ; les saisons estoint entièrement renversées.

      « Cette année 1740, les gelées commencerent vers la demie septembre, et continuerent jusques au 6 de may 1741. On ne put vendanger que sur la fin d’octobre ; il faloit avoir de l’eau chaude pour fouler les raisins, tant il faisoit froid, il negea pendant les vendanges quasi continuellement avec de grandes gelées ; le vin fust très vert et fort mauvais ; on le vendit pourtant assez bien ; il n’y eut que fort peu de vin ; le milloc se gatta et pourrit dans les greniers, à cause qu’on le ramassa avec les neges du moins en grande partie.

 

37

 

      « Depuis la fin du mois de janvier 1741 jusqu’au mois de septembre de la même année ; nous numes pas des pluies, qu’un seul orage au commencement de may ; il grela d’une si grande force qu’on perdit tous les fruits. Doazit ne les perdit point par la greslée , mais la secheresse ; le grain fust fort cher et fort rare ; il y eut aussy une grande mortalité des gens, des plurésis et du flus de sang ; il y eut plusieurs familles éteintes ; nous numes quasi pas aucune sorte de fruits, ni pomes, poires, ni d’autre sorte. »

 

II

 

        En 1660, Henry de Laborde écrit dans ses Mémoires qu’il y a quatre prêtres dans la famille ; nous trouvons aussi dans son récit le souvenir de la vieille tradition, qui veut que toute la famille partage des agapes fraternelles, lorsque l’un des siens vient lui-même de confectionner pour la première fois le pain divin des agapes eucharistiques :

      Je veux vous présentement parler de notre maison de Péboué ; il y a longtemps qu’il y a trois prestres : un mien frère et deux de mes neveux ; mais par la grâce de Dieu, il y en a à présent quatre ; car un autre mien neveu, le plus jeune, nommé Laborde de Chinon, a dit sa première messe à Maylis, le lundi de la Pentecouste, 26 du mois de may 1670, où il y avoit grand peuple.

      « M. de Cès et archiprestre de Doazit estoit le maître de cérémonies, et un mien neveu, surnommé M. le Gouverneur estoit diacre et M. de Ribes, frère de nouste neboude Anne, estoit sous-diacre, et M. Despouys, curé dudit Maylis, fils de Cassiet, fit alors un beau sermon. Et tous ces messieurs avec nos parents et nos amis après avoir entendu la Messe, allèrent tous dîner à Péboué où nous fimes assez bonne chère, là où il y avait 50 personnes ou davantage.

      « Mon frère Raymond et mon cadet estoit parrain, et ma

 

38

 

neboude qui est mariée à Bic estoit la marraine ; et mon neveu le premier et maître de péboué avec sa femme nouste Anne de Ribes se mirent au lieu de père et mère, et tous ceux que mon dit frère et moi offendimes les premiers après que les prestres eurent offert et nous tous ceux dits de Péboué avons mis à l’offrande chacun un louis blanc de trois livres et chacun un flambeau et nous réjouimes tout le jour à Péboué, grâces à Dieu. »

      Parmi les prêtres qui durent assister à cette cérémonie, il y en a un qui a sa biographie dans le manuscrit.

      « Il fust curé de la ville de Mondemarsan ; mais comme il estoit très dérangé il permuta contre le curé de la Molère, où il mourut dans la dernière pauvreté ; il estoit si charitable, qui le réduisit à cette extrémité. Il donnoit à des mandiants la chemise qu’il tiroit de sur son corps et à des pauvres honteux leur donnoit jusques à des louis d’or entier. »

      Dans la génération suivante nous trouvons encore deux prêtres et une religieuse ; nous ne parlerons que de l’un de ces prêtres, Pierre de Laborde ; ce récit nous donnera une idée des difficultés qui accompagnaient presque toujours autrefois l’acquisition d’un bénéfice.

      « Lorsqu’il y eust des neveux dans la famille de Laborde, en âge d’occuper des bénéfices il commença a en requérir en vertu de ses grades ; et la première année de sa réquisition, se trouvant le plus ancien gradué d’Aire et de Dacqs, la cure de Saint Vincents et Saubion, son annexe, vaqua dans un mois de rigueur.

      « Ensuite la mesme année dans un mois de faveur le doiéné ou abbeie de Saint Girons, diocèse d’Aire, vaqua aussy ; et aiant pris titre et pocession  de l’un et de l’autre, il les plaidoit, l’un à Tartas, et l’autre à Bordeaux.

      « et aiant refusé un canonicat pour le droit du doiéné et la cure de Saint Vincents sur une pension de cent livres, quoyque le doiéné eust vaqué dans un mois de faveur, le droit fust acquis aux gradués de rigueur, à cause de la mésintelligence du chapitre, qui vouloint tous l’estre, quoyque replets par leur canonicat.

      « Et s’estant mal només à ce doiéné, ils devoint dans les

 

39

 

règles en perdre le droit pour cette fois, ce qui seroit arrivé si Dieu n’avoit disposé avant le tems de Pierre de Laborde, leur adversaire, qui moureut curé de Benquet, dans la paroisse, le 28 juin 1716 d’une fausse plurésis, avec la douleur de n’avoir pas le tems de rien résigner à ses neveux, comme il le disoit luy mesme pendant la maladie ; perte très considérable pour toute la famille, à laquelle il fust toujours sollidement attaché.

      «Ces deux droits estoint si clairs pour luy que monsieur Cœsar d’Abadie dit d ‘Espaunic, son contendant, pour y adjouter droit sur droit demanda en cour de Rome le doiéné vaquant par la mort de Pierre de Laborde, qui fust généralement regreté de tous ceux qui l’avoint connu, s’estant toujours concilié par son zèle et par sa probité l ‘estime des évêques ; s’estant d’ailleurs comporté en bon prestre et d’un rare exemple, de façon que la médisance ny la calomnie ne trouvèrent jamais de place, pour luy donner la moindre atteinte. C’estoit un noiraut, d’une taille avantageuse et très bien fait. »

      Parmi les douze enfants qui naquirent du mariage de Jean-Pierre de Laborde et de Jeanne-Marthe de Capdeville, cinq embrassèrent l’état ecclésiastique, deux dans le clergé régulier et trois dans le clergé séculier ; l’un de ces derniers, Charles de Laborde, est l’auteur de ce manuscrit.

« Christophe de Laborde prist l’habit de capucin à Marmande le 27 avril 1702, où il fit son noviciat, fist sa profession l’année suivante. Il a toujours vécu en grand  et bon religieux, fort estimé dans son ordre. On voulut l’amener deux ou trois fois à Rome en leur chapitre général ; il ne voulut jamais y aller estant un mauvais piéton.

      « Pendant plus de 25 ans, il n’a jamais manqué d’aller aux chapitres provinciaux et intermèdes. Il a resté très longtemps à Auch avec le père Bernard de Mansonville, son grand et intime amy ; ensuite à Bordeaux et Bayonne très longtems estimé et considéré, même respecté de tout ce qui y avoit de mieux en Bayonne.

      « C’estoit un noiraut d’une taille avantageuse et très bien fait, très agréable dans la conversation, aymant fort a se réjouyr sans altérer en rien l’oreille la plus chaste et aymoit

     

40

fort sa famille ; ses frères estoint bien comptans de l’avoir avec eux, ce qui n’arrivoit que rarement.

      « Le 18 may 1740, il tomba en parilisie, jour de saint Félix, vers les six heures du soir, aiant gagné ce jour là les indulgences qui sont attachées à cette solennité. Il tomba tout d’un coup, mais sans perdre la raison, n’y entièrement la parolle  de paralisie de la moitié de son corps du costé gauche. Il eut en moins de demie heure tout le secours qu’un roy auroit pû avoir.

      « Il fut seigné en l’instand par le pied ; on luy donna plusieurs doses de metic, qui enfin operèrent par haut le soir même ; il ne restoit qu’a le vider par bas. On ne put y réussir que le vendredy après.

      « Depuis lors se connessant toujours, aiant même la parolle assez libre, le samedy fit sa confession généralle, receut le dimanche matin le saint viatique ; on le croioint hors d’affaires ; le mardy à trois heures du matin survint une apoplexye, on luy donna l ‘extremontion, on luy fit la recommandation de l’âme et moureut le 24 may 1740, vers les six heures du matin, agé de 55 ans, 8 mois et 12 jours ; en aiant passé 38 ans, 16 jours en capucin ; il mourut à Bayonne fort regreté de tout ce qu’il y avoit de mieux ; Dieu veuille que nous le retrouvions au ciel.

      Pendant ce temps un autre frère était entré dans l’ordre de St. Dominique ; nous relevons dans le manuscrit quelques notes biographiques à son endroit :

      « Raymond de Laborde estudia les humanités à Pau, en Béarn,au Mondemarsan, à Aire et à Saint-Sever où il prit l’habit des frères prêcheurs le 6 novembre 1707 ; et fit son noviciat à Cahors et revint l’année suivante à Saint-Sever.

«    « Il fust de communauté à Bayonne où il fust lpngtems un des aumoniers de Marie Anne de Neubourg, reine première doüarere d’Espagne ; elle resta trente deux ans résidente dans cette ville.

      « Il fust obligé de quitter cette aumônerie, par des grandes maladies q’il y eût, causées par la grande peine qu’il y avoit estant obligé de dire tous les jours la messe à deux heures après midy. »

      De Bayonne, Raymond de Laborde alla quelques temps

 

41

 

dans le couvent de Périgueux et revint enfin à Saint-Sever, à la demande des dominicains de cette ville, où il mourut le 13 mars 1743.

      Nous ne ferons que mentionner un autre frère du chroniqueur, Jean de Laborde, mort curé de Hostens, dans le diocèse de Bordeaux, où nous verrons bientôt passer un de ses frères, l’archiprêtre d’Amou. Nous ne citerons qu ‘un détail.

      « Jean de Laborde, estoit septième garçon nais de suite ; il avoit la fleur de lis sous la langue et estant vicaire à Larbey ; il y toucha des malades deux différentes fois aux festes solennelles ; et quoy que l’on assurât que quelques uns en estoint guairis, il ne voulut plus toucher, persuadé que les septièmes n’ont d’autre vertu pour gayrir des écrouèles, que celle qu’une erreur populaire leur attribue. »

      Nous avons hâte d’en venir à Jean-Jacques de Laborde, archiprêtre d’Amou, que l’on peut présenter comme le modèle accompli du prêtre de tous les temps. Nous citons le manuscrit :

      « Il estudia les humanités au Mondemarsan, à Aire et Pau ; il fist son cours de théologie à Bordeaux,où il prist le grade de bachelier nommé sur le sexcennium, ensuite se retira au séminaire d’Aire et fust ordonné preste dans l’église des Dames Religieuses Ursulines de la ville de Saint-Sever, le 6 juin 1716. Il fust vicaire à Nervis, où il attira Pierre de Laborde de Lamasquère, son parent, pour luy donner les principes du latin avec Jean-Jacques de Laborde Péboué son neveu filleul.

      « Il se concilia de là, la bienveillance de monseigneur Abbadie d’Arboucave, évêque de Dacqs, qui l’obligea à insinuer ses grades dans son diocèse et la cure de Lesperon venant à vaquer dans un mois de faveur, il la luy présenta. L’air du Maransin, sa petite constitution et le conseil de monsieur Anselme, abbé de Saint-Sever, qui lui assuroit le premier bénéfice vaquant dans son abbeie, l’obligèrent à refuser cette cure de Lesperon. Monseigneur l’Evêque d’Acqs, ches le quel il alloit fort souvent voulut l’engager à impétre sur monsieur de Borda la cure de Saint-Jours d’Auribat et quoy que ce fust le bénéfice du diocèse de Dacqs le plus gracieux il n’en voulut pas en avoir par cette voye.

 

42

      « Monsieur de Lataulade , son ami et condissiple, capitaine au régiment de Navarre le pressa vivement pour aller élever les messieurs de Caupenne d’Amou, fils de Dame de Bedourede, héritière de Gayrosse, veuve de fue monsieur le marquis d’Amou Saint-Pée et administeresse du bien et de leurs enfants.           

      « Ce qu’aiant refusé, ne veulant pas renfermer ses soins à une famille particulière, quoy que très illustre, la dame marquise d’Amou et monsieur de Poudenx, abbé commendataire de l’abbeie de Poutault, son oncle maternel, escrivirent à monsieur l’abbé Anselme, qui résidoit à Souprosse, afin qu’il déterminat ledit Jean-Jacques de Laborde d’accepter les soins de l’éducation de Messieurs d’Amou.

      « S’en estant accordé avec luy pour le refus, la dame marquise et monsieur l’abbé de Poudenx s’adressèrent à messeigneurs de Momorin et d’Abbadie, évêques d’Aire et de Dacqs, pour l’obliger à accepter la condition. En conséquence des ordres de ces deux seigneurs évêques, il l’accepta avec des lettres de regendo de vicaire ad honores pour Amou sans rétribution...

      « L’archiprestré et cure d’Amou estant venue à vaquer, il y fust présenté par le seigneur marquis, sous le bon plaisir de madame sa mère, le 21 décembre 1729 et en prit pocession le 25 du même mois et au jour de Noël. »

      Arrivé dans son poste la première chose qui s’offrit au zèle du nouveau pasteur, fut l’œvre des catéchismes, toujours très importante ; on est heureux de retrouver les lignes suivantes dans un manuscrit du XVIIIème siècle :

      « Dès le moment qu’il fust archiprestre et curé d’Amou, il n’ust pas de plus grand empressement que de s’acquitter de son devoir. Il crut qu’un des plus essentiels estoit de sçavoir si son peuple estoit instruit de la doctrine chrétienne ; il le mist tout de suite en exéqution.

      «Il eut le mal au cœur de voir que les grands et les petits l’ignoroint entièrement ; pour les obliger à l’apprandre bien vite, il leur déclara qu’il n’en obmetroit aucun à la première communion qu’ils ne fussent préalablement instruits du cachétisme. Il déclara aussy, qu’il n’impartiroit non plus la bénédiction nuptiale à personne, qu’ils ne fussent bien

 

43

instruits de la doctrine chrétienne, qu’il leur donnoit trois ans entiers avant d’en examiner aucun. Les trois ans entiers finis, voyant qu’ils n’estoint pas encore bien instruits, il leur donna encore tout un an entier ; pendant les dits quatre ans, il ne les obmit au sacrement de mariage, sans en accepter aucun.

      « Il s’appliqua avec une grande assiduité à leur apprendre le catéchisme ; il le leur faisoit luy-mesme trois fois par jour, les dimanches et festes, sçavoir : entre les deux messes, à une heure après midy jusques à vespres ensuite après vespres, et tous les jours pendant l’advant et le caresme.

      « Il exorta plusieurs fois toute la parroisse de faire tous les soirs le dit catéchisme à ceux qui sçauroint lire et d’y convier les voisins, et pour y parvenir avec plus de facilité, il leur donna et distribua quantité d’exemplaires du catéchisme de monsieur Fleuriau d’Armenonville, ancien évêque d’Aire qui fust transféré d’Orléans, du quel il se servit pendant tout son tems. Il avoit encore le soin de faire faire le dit catéchisme par le regent de la paroisse aux jeunes gens qui alloint à l’école deux fois par jour ; il veilloit pour qu’il se fist exactement.

      « Les quatre ans expirés, ceux qui vouloint se marier, il leur faisoit dire le catéchisme ; ceux qui ne le sçavoint pas, il les renvoiet sans miséricorde, de quelle condition qu’ils fussent, pour l’aller apprendre. Plusieurs s’adressèrent à monseigneur l’évêque, qui ne voulut jamais odmettre aucun que lorsque le curé le trouveroit à propos.

      « Il y en eut plusieurs de ceux qui n’épousèrent jamais de son tems, d’austres, après avoir esté refusés, s’appliquèrent à l’apprendre. Il estoit très délicat là dessus, ce qui fist un très grand bien dans la parroisse. Ils se trouvèrent en cinq ou six ans très bien instruits ; je l’ay vu moy même, j’avois un grand plaisir de leur faire dire le catéchisme très souvent. »

      En même temps le zélé pasteur ne négligeait pas un autre devoir aussi sacré pour le prêtre, celui de la prédication :

      « Il avait le don de la parole, d’ailleurs il avoit fort bien estudié ; il estoit fort versé dans la théologie morale, il en faisoit son estude particulière dans la quelle il avoit fort bien réussy. Il n’ignoroit pas non plus la théologie scolasti-

 

44

 

que. Il estoit savant et habille homme, lisant, estudiant continuellement lorsqu’il n’estoit pas occupé à l’instruction de la parroisse. Il passoit une bonne partie de la nuit à l’estude ni ne prenoit quasi pas de récréation ; escrivant avec grande essance et facillité ; on ne pouvoint mieux dire par lettre qu’il faisoit ; il a laissé plusieurs manuscrits des choses qui se sont passées de son tems, qui sont encore dans la maison e qui sont assez curieuses, dont les curieux seront bien aise d’avoir et de lire dans la suite du tems...

      « Il préchoit tous les dimanches et festes des sermons et exortations patétiques et très instructifs ; à la première messe après l’évangile, de mesme pendant la dernière et très souvent à vespres  avant le magnificat ; ce qui dura plus de six ans jusques à ce Mgr son évêque luy deffendit estant venu voir madame la marquise de Saint Pée, à Amou. Il luy ordonna de ne prêcher qu’une fois de quinse en quinse pour le soullager. Il suivit l’ordre de l’évêque pendant quelques mois.

      « Son zèle ne luy permit pas plus longtems de s’abstenir de travailler à la vigne du seigneur ; il reprit dons les exercices ordinaires. L’évêque en fut encore instruit, qui luy écrivit pour le prier de suspendre ses prédications et instructions, ou du moins de ne parler tout au plus un quart d’heure uniquement, disoit-il, par raport à sa petite complesion. Rien ne put l’empêcher de suivre les mouvements de son cœur pou l’instruction de son peuple.

      « Il estoit toujours en mouvement por aller voir les malades et leur administrer les sacrements ; il ne vouloit se confier qu’à luy même de ce qu’il pouvoit faire, il ne le renvoiet pas à monsieur son vicaire.

      « Il n’avoit nulle occupation, qui luy fist plus de plaisir qu’à instruire son troupeau. Pour y mieux parvenir, il appela auprès de luy toute sa famille et leur pria d’accepter les soins de l’administration du temporel de son revenu pour s’appliquer plus furieusement à l’espirituel et pour vaquer avec plus de soin au bien spirituel de sa parroisse. »

      Tant de qualités ne pouvaient que lui mériter l’estime et l’affection de son troupeau et de tous ceux qui l’entouraient.

      « Il fust généralement refretté de tous ceux qui l’avoint

 

45

 

jamais connu, s’estant toujours concilié par son zèle et par sa probité, l’estime de trois évêues conséqutifs de Dacqs, sçavoir : monsieur d’Arboucave, d’Aubigné et Suarez d’Aulan. Ce dernier le regréta fort et en fit compliment à la famille sur sa mort, disant aussy qu’il avoit perdu un grand sujet, qu’il ne pourroit remplacer de bien du tems.

      « Il eut aussy l’avantage de se concilier l’estime de tous les grands seigneurs du païs, tout le monde se faisoit un plaisir de l’avoir. S’estant d’ailleurs comporté en bon prestre et d’un rare exemple de façon que la médisance ni la calomnie ne trouvèrent jamais place pour lui donner la moindre atteinte.

      « Quoy que son naturel très badin, railleur, d’un esprit gay, agréable et réjouy, avec tous excepté avec les gens de la paroisse, avec lesquels il estoit très retenu et d’une prudence qui n’estoit pas ordinaire et d’une grande circumspextion non pareille non pareille, pour leur inspirer du respect et de la vénération, prêchant toujours par exemple comme desfest. »

      Une vie si bien remplie devait être couronnée par une belle mort ; laissons encore parler le chroniqueur :

      « Il s’alita entièrement vers le mois de janvier, 1739, dans sa parroisse à Amou. Il fist venir un fameux médecin de la ville de Tartas à une pistole par jour, qui ne le soulagea pas beaucoup.

      « Comme il se vit condamné par les médecins du pays, alors il écrivit à son frère le jacoubin, qui estoit de famille à Saint-Sever pour lui donner ses soins pour la parroisse et pour luy, où il l’avait été voir plusieurs fois pendant sa maladie ; ses deux frères estoint d’une étroite liéson. Il le pria de rester avec luy, et de l’abandonner pas jusques après la mort. La famille ne pouvoit luy donner des grands secours, attendu que l’ainé des frères estoit très malade, qui moureut mesme avant luy comme nous le dirons sy après.

      « Le dit curé prist résolution de s’aller mettre entre les mains de mrs les médecins de Bayonne, mais son frère le capucin luy marqua qu’il estoit inutile qu’il y fust de l’avis des médecins. Enfin vers le mois de juillet il se détermina

 

46

 

à partir avec son frère le jacoubin pour Bordeaux et fist emprunter la litière à mr le chevalier de Capdeville de Pouy, son cousin germain, qui luy presta très agréablement pour tout le tems qu’il vouderoit.

« Avant d’entreprendre le voyage, il se confessa et on luy porta le saint sacrement de l’Eucaristie ; il s’y assembla une foule de peuple ; avant de communier, il leur fist de son lit estant une exortation, qui auroit touché les cœurs les plus endurcis ; il n’y en avoit aucun qui ne versat des larmes amèrement. Monsieur son vicaire qui luy porta le bon Dieu pluroit de mesme que son frère le jacoubin, tant les paroles estoint touchantes et édifiantes. Il parla près de demie heure avec autant d’action comme s’il n’avoit pas sulement esté malade. Après avoir communié, il reparla ; jamais il n’avoit exorté avec plus d’éloquence, ni avec tant de zèle.Il demanda pardon à toute la parroisse et leur assura qu’il n’avoit jamais eu en veue que le salut de leur âme.

      « Enfin le 16 juillet vers les huit heures du soir en 1739, le jacoubin et luy partirent. Il s’y assembla une foule de peuple infiny ; deux hommes le portoint sur les bras pour le coucher sur la litière.

      « En sortant de la maison, il pra lesdits deux hommes de le porter à l’église sur les bras ; il y fust faire manchonnorable, salluer le St. Sacrement et demander pardon à Dieu de toute les fautes qu’il avoit commises dans cette église, et parroisse. Il demura bien demie heure dans l’église, accompagné d’une grande foule qui le suivirent ; ensuite ils partirent.

      « Tous les chemins où ils passoint, durant sa parroisse, les gens y accouroint, pour le venir salluer et luy souhaitoint mille bénédictions et prompt retour. Il avoit toujours le chapeau à la main ; sy je n’avois pas esté témoin de tout cella, je ne l’aurois jamais crû.

      Ils furent dinner et coucher à Pouy ; ils partirent le lendemain matin ; ils passèrent ches madame de Lataulade, ne firent que s’arrêter un moment et furent ches leur frère ainé dinner ; ils y retèrent dix à douze jours. Juste ciel ! quel plaisir n’eurent-ils pas les deux frères malades de se voir et se dire un adieu éternel !

 

47

 

      Ils partirent de Péboué le 28 juillet de la mesme année ; sa belle-sœur luy fist un lit dans la litière où il se coucha ; ils furent diner et coucher à la Mothe ches monsiur le vicomte d’Aurice, où madame la marquise de Saint-Pée estoit. On leur fist toutes les politesses imaginables, on luy témoigna le grand regret qu’ils avoint de le voir si malade.

      « Le lendemain matin ils partirent pour Eygos où ils couchèrent ; ensuite ils furent coucher  ches monsieur le curé de Bellehade, où ils séjournèrent et arrivèrent enfin à Hostens, où jean Laborde de Péboué estoit curé, leur frère . Nous arrivames donc le 2 aoust, jour de dimanche.

      « Le jacoubin partit le lendemain pour Bordeaux pour consulter les médecins et en amena un à Hostens à 24 livres par jour ; ce médécin lui conseilla d’aller à Bordeaux, ce qu’il fist ; le jacoubin fist faire une assemblée des médecins et chirurgiens ; on le visita et examinèrent la cause de son mal ; on luy donna quelque bonne espérance, mais elle ne dura pas logtems ; cependant on le mist aux remèdes sans qu’aucun pust opérer.

      « Ma belle sœur fit écrire par monsieur de Capdeville d’Aricau au jacoubin, pour le prier de venir incessamment assister à la mort de leur frère ayné et pour l’aider à faire son testament et autres choses. Le dit jacoubin ne reçut cette lettre que le 28 aoust et le frère ayné mourut le 29 aoust, jour que le jacoubin partit de Bordeaux pour Péboué.

      « Il resta quinze jours chez luy, ensuite il retourna à Bordeaux où il trouva son frère, le curé d’Amou, beaucoup plus mal. Il le fist confesser et porter viatique. Pendant toute sa maladie il disoit par tems cette antienne à l’imitation de Saint Martin : Domine, si adhuc sum populo tuo necessarius, non recuso laborem ; fiat volontas tua.

      « Enfin il moureut le 4 octobre 1739 ; il se confessa encore le jour qu’il moureut, receut ce matin l’extrémontion et la recommendation de l’âme en aussi bon sens qu’il estoit avant d’estre malade ; il demanda luy mesme tous les sacrements et un demi quart d’heure avant de mourir il s’exorta luy mesme il leva les yeux au ciel et dit : in manus tuas, Domine, com-

 

48

 

mendo spiritum meum, il tomba la teste du costé gauche et ne respira plus.

      « Le jacoubin ne luy trouva que 60 livres il fournit le reste pour l’honnorere de son enterrement ; qui fust un des plus beaux que l’on fasse en Bordeaux aussi en coutat-il à son héritier 290 livres.

      « La première cause de son mal estoit un sang épais, qui fournissoit  des rariments de même nature ; son estomac ne pouvoit fondre les alimens que très imparfaitement, il faloit necessairement que le chile qui en partoit fut épais et capable peu à peu d’augmenter l’épessissement de son sang ; le hasard fit que les glandes de la partie inférieure du ventricule vers le pilore s’engorgèrent et cet arrest augmentant chaque jour, la tumeur parut sans peine dont il souffrit pourtant très fort. Il avoit aussi les glandes à l’orifice de son estomac qu’on ne put jamais dissoudre, et qui augmentoint chaque jour qu’insensiblement luy fermoint quasi le passage. Il avoit toujours les jambes enflées, avec un peu de fièvre, qui pourtant disparessoit par tems ; ensuite les cuisses et ventre devinrent aussy fort enflés ; elle disparut pendant quelques tems ; elle revint avant de mourir et ne pouvant se soutenir jamais de ses pieds, ny debout.

      « Il souffrit toujours avec une patience, qui n’est pas ordinaire à un malade de sa façon ; jamais homme n’a eu un cœur plus ferme qu’il avoit ; il nous parloit de la mort comme d’un voiage, que nous fairions naturellement d’une ville à une autre ; rien ne me surprenoit tant que cette constance et fermeté qu’il avoit à s’entretenir si famillièrement de cette mort. »

 

III

 

      Pour donner une idée des mœurs de l’époque, il nous suffira de dire, en nous servant d’une expression du chroniqueur, comment « Dieu bénit par la multiplication cette famille, » pendant les quatre générations qui se suivirent dans la maison des Laborde de Péboué.

 

49

 

      Du mariage de Jean de Laborde et d’Annes de Ribes sont issus 13 enfants, dont deux prêtres et une religieuse.

      L’aîné de cette famille Pierre de Laborde, le père de l’auteur de ce manuscrit, eut de son union avec Jeanne Marthe de Capdeville d’Arricau 12 enfants, dont cinq se consacrèrent à Dieu : deux dans le clergé régulier et trois dans le clergé séculier.

      Huit enfants naquirent de leur fils aîné avec Marguerite de Lassale-Bordes ; Dieu enfin bénit l’union de Jean-Jacques de Laborde avec Marie Portets en lui donnant 14 enfants.

      Ces exemples témoignent de la foi, de l’éducation profondément chrétienne dont se faisaient  honneur les familles de ces temps. Hélas ! les mêmes régions de la Chalosse ont bien dégénérées. Voici ce que l’auteur du manuscrit écrit au sujet de son père :

      « Jean Pierre de Laborde fust très bien élllevé par son père ; son oncle, curé de Sainte-Suzanne, l’attira ches luy pour le principier sur les humanités du latin et fust à Paris pour ses exercices. C’estoit un blondin d’une taille avantageuse, très bien fait, de bon sens mais fort court de veue. L’estit le médiateur banal des différens du canton et passoit pour unt rès parfait honnête homme ; il fust capitaine de la compagnie de Doazit, aiant servi quelques tems comme officier. »

      Le fils de ce dernier, Antonin de Laborde ne fut pas élevé avec moins de soins par sa mère Jeanne Marthe de Capdeville et par son oncle paternel, Pierre de Laborde, curé de Benquet. Nous lisons dans le manuscrit :

      « Il estudia les humanités et la philosophie au Monde marsan, et fist son cours de droit à Bordeaux. Ensuite il s’en fust aux gardes du corps du roy avec un valet qu’il garda toujours, dans la compagnie de fue monsieur le maréchal de Noailles.

      « Le mois de janvier 1705, il se trouva à la bataille de Ramilies et à la perte des lignes du Brabant,où il n’eust que son mousqueton pendeant à sa bandoulière rompu sur la cuisse par un coup de sabre. La maison de Roy fust dans cette affaire si mal traitée, que de 1200 gardes du corps du

 

50

 

Roy, qui faoint campagne il y en eut 809 tués ou blessés ; et la lettre que le dit Antonin de Laborde escrivit par la poste, après la bataille, à Jeanne Marthe de Capdeville, ne luy aiant esté rendue que trois mois après, on le crût mort pendant les dits trois mois et sur ce que monsieur Léon de Candalie, baron de Doazit, capitaine de dragons, s’estant trouvé dans la mesme affaire, et son régiment après la défaite s’estant retiré du costé de Namur, n’aiant pas suivi l’armée, écrivit à madame sa mère à Doazit, que puisqu’on n’avoint pas des nouvelles du dit Antonin de Laborde, qu’il faloit qu’il eût péri dans l’action, ce qui confirmoit sa mort à sa famille.

      C’estoit un noiro d’une taille avantageuse, très bien fait, aiant du bon sens, de l’esprit et estoit un très parfait honnête homme, très commun avec les petites gens, et très respecté et aimé d’eux. S’estant aussy concilié la bonté et l’estime des seigneurs et gentils hommes du païs, il estoit très bien venu par tout, entendoit fort bien les affaires, aussy en estoit-il le médiateur de quantité et sut tout des différens de la parroisse, où il en estoit cru aveuglément.

      « Il avoit beaucoup plus de soin du bien des pauvres que du sien propre ; il estoit aussy nommé autant qu’on le pouvoit clavier de la confrérie de Saint-Martin du Mus pour ménager la dîme, qui est fondée et établie dans cette parroisse pour les pauvres de la dite parroisse dont on trouvoint qu’il s’acquittoit très avantageusement pour eux.

      « Le Roy le nomma maire de Doazit en 1735, il ne voulut jamais l’accepter, si bien que personne n’ust cette charge et ces charges tombèrent bientôt après et furent abolies. »

      Cette gravité de mœurs, n’excluait pas certains excès ; tous ne furent pas toujours irréprochables.

      Voici ce que le chroniqueur raconte de Henry de Laborde Péboué :

      Henry Laborde, fils de Roger, moureut aussy fort vieux aiant resté cadet dans la maison, et est enterré dans nôtre sépulteure de l’église du Mus ; il se livroit unpeu trop à ses plaisirs surtout au vin, qu’il prenoit quelques fois sans mesure, dont il se corrigea un an avant de mourir, mais non pas plus tost. »

 

51

 

      Plus loin nous lisons :

      « Finissant son cours de théologie à Bordeaux, Jean de Laborde s’enrolla dans la cavalerie avec plusieurs de ses condissiples. Quoy qu’il eut toujours donné des marques de retenue et de sagesse, son sort fust malheureux de s’estre trouvé en compagnie de quelques libertins, qui le séduisit.

      « Encore plus malheureux de s’estre noyé en Flandres dans le tems que son frère ayné traitoit avec son capitaine de son congé, et qu’on estoit même convenu du prix à 30 pistoles, sur l’instance que Raymond luy en faisoit de s’en aller au Séminaire, avec la dispance de Rome, qu’on méditoit déjà. Il se noia en 1699 en Flandres, âgé de 28 ans ou environ, n’aiant au delà de deux mois haut ou bas, comme il conste par lettre qu’on écrivit à son frère ayné de son malheur. »

      Quelques pages plus haut nous lisons encore dans le manuscrit :

      « Jean, fils de Pierre Laborde, fust très débauché pendant sa jeuness et pendant le cours de ses estudes, qu’il fist à Bordeaux et à Angoulème ; quoy qu’il fust toujours pourvu d’argent, il n’en coûta rien à la maison pour l’eslever.

      « Il avoit de l’esprit et du courage jusques à la témérité, qu’il mist sans doute en usage, puisqu’il estoit si bien pourveu et qu’il devint d’ailleurs fort savant. Il fust prieur des escolliers à Bordeaux, pendant tout le temps qu’il y resta.

      « S’estant trouvé à quelque espectacle sa charge de prieur luy attira quelques desmélés avec les clercs des procureurs qu’il maltraita. Résolus de s’en venger, ils l’attendirent de nuit, lorsqu’il se retiroit seul, et l’aiant enfin pris pour l’aller jeter dans le puits des fossés vis à vis les Grands Carmes, il s’accrocha a un verrouil ou martinet d’une porte, qu’il ne fust pas possible de l’en arracher et souffrit plusieurs coups dépée sur le bras ; il attira du monde par ses cris, ce qui fist que ses agresseurs lui lachèrent un coup de pistolet sur la cuisse et se retirèrent ; il en fust toute sa vie un peu boiteux.

      « Il fust prestre et vicaire à Nervis, ensuite curé de Beyries, diocèse de Lescar. La goutte l’obligea de se retirer à Péboué et conserva toujours sa cure, où il moureut chargé d’incommodités et d’années, aiant laissé sa bourse qui estoit

 

52

 

bien fournie, pour estre le tout emploié en œuvres pies.

      « La famille fust frustrée de l’espérance de la palper, car il avoit soin de la faire porter souvent dans son lit et faisoit compter ses louis d’or par quelques tiers, ne le pouvant pas luy mesme à  cause de la goutte ; peut être dans le dessein de se faire soigner vec plus d’affection, il régaloit la famille de l’espérance que tout luy reviendroit après sa mort qu’onregardoit chaque jour prochaine.  Quoy qu’il vécut longtems dans ce triste état, il ne laissa rien à personne de sa famille, qu’un escu à chaque domestique de la maison. »

      En rapportant la maladie et les derniers moments de chaque membre de la famille des Laborde de Péboué, le manuscrit nous amène naturellement à parler de la science de la médecine, telle qu’elle était connue à la fin du règne de Louis XIV. Quelques extraits joints à ceux que nous avons déjà donné lorsque nous avons reproduit les biographies des deux frères du chroniqueur, le capucin et l’archiprêtre d’Amou, suffiront à en donner une idée. 

      « Jean de Laborde posséda une santé bien solide jusques à sa vieillesse, qu’il fut attaqué de la pierre. On luy fist par deux différentes fois l’opération de la taille ; on tira de son corps la première fois une pierre de la grosseur d’un œuf d’oy, pesant 16 onces, qu’on conserve encore dans la maison ; il est vray qu’elle se diminue chaque jour peu à peu, l’axiome se vérifie dans la dite pierre et par conséquent elle n’est pas aujourd’hui aussi grande.

      « Il en coûta gros pour faire venir deux fois l’opérateur de Bordeaux, ce qui ne le guesrit pas radicalement ; et quoy qu’il ne soit pas mort de cette incommodité, il en souffrit toujours très vivement ; et c’estoit dans le tems que son frère Jean, curé de Beyries, s’étoit retiré souffrant de la goutte dans la maison.

      « Ce qui causoit bien de l’embarras à la famille qui s’accoutuma à leurs souffrances, et se réjouissoit quelque fois d’entendre crier ces deux infirmes, et surtout de les entendre s’invectiver de leurs lits dans des chambres voisines ; pressés par la violence des douleurs presque continuelles, les cris de l’un inquiétoint l’autre, et moururent fort vieux, assez près l’un de l’autre, l’an 1694, et furent enterrés dans l’église du Mus. »

 

53

 

      Plus loin nous lisons sur la dernière maladie d’Antonin de Laborde :

      « Il aimait assez le jeu, ne jouant pourtant que peu de chose, lorsqu’il se trouvoit avec les égaux ; il ne refusoit pas la partie avec les gros seigneurs lorsqu’il en trouvoit l’occasion ; il estoit assez heureux au jeu et jouet trop souvent ce qui l’échaufa extraordinairement, qui lui causèrent sans doute un grand échaufement, suivit des dartres, dont il fust attaqué deux ou trois ans avant de mourir, qui coururent diverses parties de son corps.

      « Il les fit perdre au moien des topiques, comme l’eau vitriolée, et aûtres espèces des remèdes, dont quelqu’un lui dit de s’en servir, qui n’estoit pas gaire versé dans la pharmatie ; il réussit de les faire perdre, ce qui lui laissa une thous sèche jusques à sa mort.

      « Il fust attaqué d’un crachement de sang très abondant qui dura trois jours, et qui fust bientot suivi d’une fièvre lente accompagnée des redoublement qui venoit de bouche, et toujours une thous sèche et véhémente qui avoit commencé, deux ans avant le mophtisie, qui fust bientot suivi d’un ulcere au polmon.

      « Et je crius que ce qui cintribua beaucoup à le jeter dans cet estat, avec les dispositions qui sy trouvoint ches lui, estoint les sels acres et grossiers qui abondoint dans la masse de son sang et qui donnoint occasion aux dartres qui paressoint sur son corps ; les sels rentrèrent dans son sang par le ministère des répercussifs dont il se servit ; ils firent bientot alliance avec ceux de l’heumeur, qui se sépare dans les vesicules polmonaires et celle qui se sépare aussy dans les glandes de la trachée artère, ce qui rendit les deux très salines et mît en estat celle du polmon d’ouvrir quelque vaine qui fournit le sang qui parut au commencement de sa maladie ; la thous fâcheuse qu’il avoit se déduit du même principe. »

      Après avoir vécu honorablement, nos ancêtres savaient mourir en bons chrétiens ; nous trouvons dans le manuscrit le récit de la mort d’Antonin de Laborde, aussi belle à tous égards que celle de son frère, l’archiprêtre d’Amou.

 

54

 

      « Il souffrit avec toute la patience et toute la résignation qui n’est pas ordinaire aux malades de sa façon ; il se confessa plusieurs fois pendant le cours de sa maladie ; il fist même un confession généralle entre les mains du père Célestin de Pau capucin, lecreur de théologie à St. Seve, très habille homme, receut pieusement tous les sacremens avec grande édification et dévotion.

      Il vouloit toujours auprès de luy un prestre séculier ou régulier ; monsieur de Mora, archiprestre, y passa plusieurs nuits et y restoit autant qu’il le pouvoit, de même que mrs ; ses deux vicaires ; il leur en témoignoit une grande et vive reconnessance.

      A leur absense, il se faisoit lire les saints Evangiles, ou quelque autre lecture sainte par Pierre de Laborde de Lamasquère, clerc tonsuré, qu’il écoutoit avec grande piété. Après avoir gardé le lit à ne pouvoir pas se lever dutout pendant quatre mois entiers, il rendit l’âme à Dieu le 29 aoust 1739. »

 

 

                                                                                        A. Peyroux