PRÉCIS

HISTORIQUE

DE LA VIE ET DES TRAVAUX

DE

JEAN D'ARCET

MEMBRE DU SÉNAT CONSERVATEUR, DE L'INSTITUT NATIONAL, etc.

[Sommaire Doazit]
[Jean Darcet]
[Bibliographie Darcet]

Lu à la Séance publique du Lycée des Arts, le 10 germinal an 10, par Michel-J.-J. DIZÉ, Affineur national des Monnaies, Membre du Lycée des Arts, de la Société académique des Sciences, de la Société de Médecine, de celle des Inventions et Découvertes, Correspondant de la Société d'Agriculture, Commerce et Arts du département des Landes, du Collège de Pharmacie de Paris, ex-directeur en chef du Magasin général des Médicamens des armées établi à l'Ecole Militaire.

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A PARIS

De l'Imprim. De GILLÉ, rue St.-Jean-de-Beauvais.

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AN X


 

NOTICE HISTORIQUE

SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DE

JEAN D'ARCET,

Membre du Sénat Conservateur, de l'Institut national, Professeur de Chymie au Collège de France, Membre du Lycée des Arts et l'un de ses fondateurs, Membre honoraire du Collège de Pharmacie, de l'ancienne Académie des Sciences, et Docteur-Régent de la Faculté de médecine de Paris, de l'ancienne Société royale d'Agriculture, Inspecteur général des essais des Monnaies, Inspecteur des Manufactures nationales de Sèvres et des Gobelins, Correspondant de plusieurs Sociétés savantes étrangères.
 

........ Cui pudor et justitiæ soror

Incorrupta fides, nudaque veritas,

Quandò ullum invenient parem ?

HORAT.

CHARGÉ de parler d'un homme célèbre que la mort vient d'enlever à la patrie, aux sciences, à l'amitié, je sens la difficulté de la tache grande et douloureuse qui m'est imposée. Elle m'offre cependant un devoir bien cher à remplir, celui de rendre à mon respectable maître, à mon ami, à D'ARCET, un hommage public de mon attachement et de ma reconnaissance. Je viens donc arrêter un instant vos regards sur le tableau de ses vertus publiques et privées, vous entretenir de ses utiles travaux, seuls monumens qui nous restent d'une vie consacrée à l'étude de la nature et aux progrès des arts, mais monumens bien dignes de vous intéresser et de recommander la mémoire du philosophe modeste dont la perte excite vos regrets et les regrets du monde savant.

JEAN D'ARCET naquit, le 7 septembre 1725, à Douazit, département des Landes. Son père était juge d'une jurisdiction assez étendue et jouissait d'une considération personnelle : jamais le parlement de Bordeaux, auquel il ressortissait, ne cassa un seul de ses jugemens. Mais s'il était austère dans ses fonctions, cette qualité du magistrat rendit l'autorité paternelle au moins sévère pour le jeune d'Arcet, ce qui influa beaucoup sur sa destinée. Il avait eu le malheur de perdre sa mère, avant de l'avoir connue, et son père s'était remarié bientôt après. C'est pourquoi, malgré qu'il fût aîné de famille, avantage qui était alors d'un grand prix dans les provinces méridionales, et quoique destiné à jouir d'une fortune aisée, la maison paternelle lui offrit peu de douceurs.

Il fit ses premières études au collège d'Aire, à quelques lieues de Douazit. Les succès de sa jeunesse annoncèrent ce qu'il devait être un jour dans la carrière des sciences et même dans la société car son caractère heureux et l'honnêteté de son âme se faisaient encore plus remarquer, dès-lors, que les qualités de son esprit.

De retour du collège, il demanda à aller à Bordeaux, pour chercher une instruction plus forte. Son père y consentit ; mais son intention était qu'il s'y préparât à lui succéder dans sa charge.

D'Arcet ne sentait encore que le désir de s'instruire, sans être fixé sur le choix d'un état. Devenu libre dans l'emploi de son tems, il eut le courage de s'imposer un régime studieux, et le bonheur de diriger ses études vers les sciences naturelles. C'est ainsi qu'il passa sans danger, et l'on pourrait dire presque sans distractions, de la solitude dans laquelle il avait vécu jusqu'alors, à l'entière disposition de soi-même, au milieu d'une ville où les plaisirs venaient au-devant de l'avidité de son âge. De ce moment, son esprit généreux prit un grand essor. Ambitieux de sciences et de bonheur, plus que de gloire, caractère qui le distingua toujours, il se livra tout entier, et pour la vie, au charme d'apprendre des choses utiles, sans penser à ce que l'amour-propre ou l'intérêt pouvaient en retirer.

Bientôt il se trouva loin du but que son père lui avait fixé. Mais ce père était inflexible, et il fallut choisir non-seulement entre son courroux et ses bonnes grâces, mais entre l'aisance que lui assurait la fortune paternelle et une sorte d'exhérédation que devait produire la translation du droit d'aînesse à un enfant du second mariage. D'Arcet fit ce double sacrifice à la médecine et à la chymie. Il fit plus: il conserva toujours le respect, la piété filiale et tous les rapports qui existent entre les bons fils et les bons pères. Quand il s'applaudissait de son courageux dévouement aux sciences ; quand il parlait de ce que son initiation dans leur sanctuaire avait eu de rigoureux pour lui, il ne manquait jamais de chercher des excuses pour son père, et il eut les procédés d'un frère excellent envers le fils du second lit qui fut revêtu de ses droits et avantages d'aîné.

Cependant du moment qu'il eût annoncé sa résolution de suivre la carrière des sciences, il ne reçût plus aucun secours de sa famille. Il possédait dans un dégré rare la tempérance et la modestie qui diminuent les besoins, la patience et le courage qui font supporter la mauvaise fortune et qui la domptent à la fin ; mais cet entier abandon le plongea dans une extrême détresse. Il chercha à donner des leçons de latin pour vivre ; et soit qu'il ne voulût pas trop engager sa liberté, afin de s'assurer le tems nécessaire à ses études; soit que la rigueur de sa situation ne lui permît pas une longue recherche, il se chargea d'enseigner le latin au fils d'un artisan des derniers rangs de la classe industrielle.

L'amabilité d'esprit et de caractère de d'Arcet, son amour pour les sciences et sa manière de vivre, qui décélaient toutes ses qualités, lui acquirent bientôt l'amitié et l'estime de ses camarades, et par ceux-ci, la bienveillance et la considération des hommes les plus honorés à Bordeaux. Le jeune médecin Roux, devenu son ami, le fit connaître au président de Montesquieu; alors d'Arcet s'éleva rapidement de la position critique dans laquelle nous venons de le voir, à l'estime et à l'attachement de ce grand homme, qui l'amena à Paris, en 1742, pour y diriger l'éducation de son fils.

D'Arcet s'acquitta de cette fonction de haute confiance avec un zèle si éclairé, si pur, avec des soins si touchans, que les sentimens de Montesquieu se convertirent en amitié intime. Les loisirs que l'instituteur pouvait se ménager entre ses études particulières et l'éducation qu'il dirigeait, étaient consacrés à aider l'auteur de l'ESPRIT DES LOIS dans la classification des matériaux de ce mémorable ouvrage. Toutes les pensées de Montesquieu, les conceptions de son génie s'épanchaient journellement sur d'Arcet et fécondaient son esprit.

Ces deux hommes que le hazard avait rapprochés semblaient avoir été préparés par la nature pour être amis. Ils sympathisaient d'esprit, de coeur, de caractère : même finesse de sensation, même vivacité de saillie, même gaîté, même facilité de s'exalter à l'aspect du beau et du bon, même douceur, même aménité de moeurs, même penchant à la bienveillance et à l'optimisme, même candeur.

" Je ne sais, écrivait Montesquieu à Maupertuis, si c'est une chose que je dois à mon être physique ou à mon être moral, mais mon ame se prend à tout. Je me trouvais heureux dans mes terres où je ne voyais que des arbres, et je me trouve heureux à Paris au milieu de ce nombre d'hommes qui égalent les sables de la mer. Je ne demande autre chose à la terre que de continuer à tourner sur son centre (1) ". Si ce trait peint Montesquieu, il peindrait également d'Arcet.

Leur liaison se resserra toujours jusqu'à la mort de l'illustre président, qui rendit le dernier soupir appuyé sur le bras de d'Arcet. Il l'avait chargé de préserver ses manuscrits des mains des jésuites, accourus pour s'en emparer, ou pour y glisser quelques déclarations ou rétractations qu'on eût fait valoir ensuite à l'avantage de l'église. C'était une pratique assez commune alors envers les hommes célèbres, connus par l'indépendance de leur esprit, en opinions religieuses. Le clergé épiait leurs derniers momens, pour en tirer parti.

L'accès auprès du lit de Montesquieu fut d'autant plus facile aux jésuites, que son fils était absent, et que les parens dont il se trouva entouré leur étaient dévoués. Au sitôt que le malade fut reconnu en danger, arrivèrent auprès de lui deux des plus habiles de la Société de Jésus (2) ; et quoique le président ne les eût point desirés, quoique d'Arcet et Bouvard les eussent remerciés par son ordre, et priés de se retirer, ils s'établirent dans une pièce voisine, où ils restèrent plusieurs jours et plusieurs nuits, sans désemparer. Ils avaient débuté par presser Montesquieu de leur remettre des corrections aux Lettres Persanes. Celui-ci leur avait répondu, qu'il était disposé à tout sacrifier à la raison, même à faire des sacrifices à la religion, mais qu'il n'en ferait aucun à leur Société.

Lorsque la mort s'annonça, ils s'approchèrent de nouveau ; et ce grand homme n'avait pas encore cessé de vivre qu'ils voulurent, avec l'appui des mêmes parens, forcer d'Arcet, d'autorité, à livrer les clefs de son cabinet. Il y eut même, une sorte de combat (3) ; enfin, la victoire resta à d'Arcet. Cette scène se passa en présence de madame d'Aiguillon, amie de Montesquieu, de messieurs de Fitz-James, de Nivernois, Dupré de Saint-Maur, du chevalier de Jaucourt et du médecin Bouvard, qui fit une vive réprimande en public aux deux jésuites, sur l'indécence avec laquelle ils s'étaient comportés dans l'hôtel du président. La fermeté de d'Arcet ne leur laissant plus d'espérance de succès, ils se retirèrent, lorsque l'agonie commença, abandonnant l'ame du mourant dans le moment où les secours spirituels, qu'ils avaient pris prétexte de lui offrir, auraient dû leur sembler les plus nécessaires.

Ces détails appartiennent trop évidemment à mon sujet, pour qu'on puisse me les reprocher, comme épisodiques ; ils sont d'ailleurs si authentiques, si connus des amis de d'Arcet, de sa famille, des hommes de lettres qui restent encore de cette époque, qu'il est impossible de les infirmer. Si quelqu'un les trouvait trop minutieux, je répondrais qu'indépendamment de la vérité historique qui me guide, il n'est peut-être plus sans utilité de rappeler à quel point le clergé pouvait n'aguère porter l'audace ! Combien il pouvait tourmenter, outrager le génie, même quand il était soutenu de la plus haute considération ! Et pour tout dire, en un mot, dans quel avilissement il tenait la nation française, puisque le président de Montesquieu n'était pas au-dessus de ses atteintes !

Après la mort de son illustre ami, d'Arcet se voua tout entier à la chymie. Il avait été reçu avec distinction docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, en 1762, et il y était aimé, considéré. Bordeu sur-tout le chérissait comme homme excellent et l'estimait comme bon médecin. Avec un esprit aussi sain, sa science approfondie, ses qualités personnelles, ses relations de société, il devait réussir dans cette belle profession : en effet, il y obtenait des succès qui lui promettaient une fortune certaine ; mais il se lia par amour de la chymie avec Rouelle l'aîné et elle le fixa.

Cette science sortait alors du berceau en France. Rouelle combattait avec courage les préjugés élevés contre elle. Au milieu des controverses scholastiques, ce patriarche de la chymie jetait les fondemens d'une école célèbre, posait avec génie les bases de l'histoire naturelle du globe, enfin créait et mettait en pratique la chymie dont Sthal avait seulement indiqué la théorie. D'Arcet ne pouvait être indifférent au mouvement que Rouelle imprimait à l'Europe savante. Il fut bientôt compté parmi les élèves qui devaient illustrer cette école. L'assiduité, le dévouement et les talens qu'il montra dans les travaux dont il fut chargé, lui acquirent dans Rouelle un nouvel ami. Cette liaison devint la source du bonheur de sa vie.

Les découvertes et les leçons de Rouelle, comme tout ce qui fait une grande sensation, avaient dépassé le cercle de ceux qu'elles intéressaient immédiatement, des hommes distingués par le rang qu'ils tenaient dans le monde, se mêlaient avec ceux qui étudiaient la science pour elle même, et offraient de concourir à ses progrès, au moins de leur opulence, de leur crédit. Celui qui se fit le plus remarquer par ce zèle généreux, fut le comte de Lauraguais. Il demanda au maître commun un chymiste pour le diriger dans des recherches relatives aux arts. D'Arcet fut désigné comme le plus capable, et il se fit entre lui et ce grand seigneur, une association honorable qui créa le bel art de la porcelaine. M. De Lauraguais y consacra beaucoup d'argent, plus sans doute qu'il n'eût fait, si d'Arcet avait réglé la dépense, comme il dirigeait les expériences ; mais il faut convenir que cet amateur distingué des sciences différait beaucoup de la plupart des protecteurs d'arts, ou d'artistes ; qu'il avait commencé, ainsi qu'il le dit lui-même(4), par demander à d'Arcet son amitié ; qu'il était initié dans la science et qu'il prenait part aux travaux du laboratoire.

En 1757, la guerre vint troubler ces travaux, et d'Arcet suivit à l'armée M. De Lauraguais que le devoir y appelait. Ce voyage offrit au chymiste-philosophe de nouveaux sujets d'observations. Le petit ouvrage inédit qu'il a laissé sur cette campagne, est, tout-à-fois, un tableau rapide des événemens militaires dont il avait été le témoin, et un apperçu plein de justesse et de sagacité de tout ce que l'histoire naturelle du pays, les moeurs, les coutumes, les établissemens publics, les manufactures, les opinions religieuses, l'influence des gouvernemens sur le bonheur des gouvernés, pouvaient offrir d'intéressant à observer.

Lorsque la paix l'eut rendu à lui-même, d'Arcet revint à Paris où il se livra sans relâche aux essais sur la porcelaine. Ceux qu'il fit sur cette belle poterie sont si étendus, qu'il serait trop long d'en présenter l'analyse. La Chine, le Japon et la Saxe importaient en France de la porcelaine pour des sommes considérables. Sa composition n'était connue chez nous que par les recettes mystérieuses du charlatanisme, par des descriptions extrèmement inexactes ou inintelligibles.

D'Arcet, guidé par le flambeau de l'analyse, après avoir examiné séparément et comparé les propriétés respectives de plusieurs terres, parvint à déterminer les parties constituantes et les proportions des matières avec lesquelles on fabrique la vraie porcelaine qu'on distingue aujourd'hui sous le nom de porcelaine dure.

Cette découverte, fruit d'une méditation profonde et d'une connaissance parfaite de la lithogéognosie, fit éclorre deux mémoires, ou plutôt un corps d'ouvrage sur l'action d'un feu égal, violent et continué, pendant plusieurs jours, sur un grand nombre de terres, de pierres et d'oxides métalliques.

L'attention des savans fut fixée par l'ensemble de ces faits précis et nouveaux, présentés à l'Académie des sciences, en 1766 et 1768, dans un tems où le goût des expériences et des résultats exacts gagnait tous les esprits. C'était la première fois qu'on exposait sous les yeux de ce corps savant la série méthodique et raisonnée d'une analyse chymique par le feu. Chaque essai était suivi de son résultat. Ce travail immense, l'un des plus curieux qui eût paru depuis long-tems en chymie, porta le plus grand jour dans la connaissance des pierres et des terres, si nécessaire à l'art du potier et de la verrerie ; il devint pour cette branche d'industrie, un guide qui en a hâté les progrès, en les dégageant de la routine aveugle et servile des mélanges de pierres et de terres dont on ne connaissait qu'imparfaitement les propriétés vitrifiables ou réfractaires.

Aussitôt un nouvel ordre paraît dans les différentes parties de la science ; on reconnaît que divers oxides métalliques sont fusibles seuls et que l'argent est oxidable et volatil au degré du feu de nos fourneaux. Plusieurs pierres et terres, jugées infusibles, d'après le caractère très-équivoque de leur dureté, sont soumises à l'expérience et constatées fusibles. Près de deux cents individus du règne minéral, prennent dans les cabinets de minéralogie le rang que la nature leur assignait, en conséquence de leur qualité vitrifiable ou réfractaire ; enfin les arts reçoivent de nouveaux produits ; les erreurs échappées à Pott, d'ailleurs si riche dans l'analyse par le feu, sont indiquées et relevées avec autant de modestie que de sagacité.

Ce fut en 1770, qu'il communiqua à l'Académie des sciences ses recherches sur les pierres précieuses.

Boyle avait été le premier à déterminer, avec quelque précision, l'action du feu sur le diamant. On croyait assez généralement avant lui, qu'il était indestructible à une forte chaleur. Le grand duc de Toscane, Jean-Gaston de Médicis, avait ajouté aux expériences de Boyle, en exposant cette pierre singulière au foyer du miroir ardent. L'empereur François Ier fit faire divers essais sur des diamans et des rubis de la valeur de plusieurs mille florins. Mais il était réservé à d'Arcet de porter la lumière et la conviction sur ce phénomène encore incertain. La série des belles expériences qu'il publia ne laissa rien à desirer sur la certitude de la combustion du diamant : il démontra que cette substance était entièrement destructible par le contact de l'air sous une simple moufle, à un degré de chaleur inférieur même à celui qui est nécessaire pour fondre l'or pur ; vérité pressentie par le grand Newton, qui avait rangé le diamant dans la classe des corps éminemment combustibles (b).

D'Arcet toujours victorieux avec l'arme de l'expérience, prouva combien il fallait en général se mettre en garde contre les analogies physiques des corps. Il reconnut, par leur résistance à l'action d'un feu violent, que le rubis et le saphir d'Orient, l'émeraude, la topaze, assimilés au diamant, par la ressemblance de quelques caractères extérieurs, étaient d'une nature différente.

D'Arcet avait déjà attaché une grande réputation à son nom, en 1771. Un an après la mort de Rouelle, sa veuve, autant pour remplir le vœu de son mari, que pour donner à d'Arcet un témoignage de son entière confiance, lui offrit la main de sa fille. L'hymen alors vint jeter des fleurs sur ses jours, jusques-là entièrement consacrés à l'étude et à la méditation.

En 1774, il fit un voyage aux Pyrénées. Les contrées où il reçut le jour, devaient être aussi le théâtre sur lequel se déploierait son génie : du fond des vallées de Campan, de Lourdes, Pierrefitte, Cauterets, Baudéan et Daspe, il gravit les sommets de ces hautes montagnes, dont les flancs déchirés attestent et les révolutions violentes et les changemens insensibles mais continuels, qui s'opèrent dans le globe terrestre. C'est là que, livré à l'observation, il surprit dans son vaste laboratoire la nature occupée à détruire et à recomposer. Ces secrets qui paraissaient impénétrables, sont révélés dans l'éloquent discours qu'il prononça lors de l'inauguration de la chaire de chymie expérimentale au collège de France, et où il sut décrire dans un cadre très-resserré, ce jeu perpétuel des causes physiques et leurs effets. Il y trace à grands traits le tableau des grandes catastrophes et des bouleversemens divers qui ont agité les Pyrénées. Il examine d'abord l'état où elles se trouvent et leur composition. De leur sommet, il conduit insensiblement vers tous les points où les élémens conjurés des trois règnes, les assiègent et préparent leur ruine ; il en fait remarquer les débris dans les plaines et jusqu'aux rivages des deux mers ; il suit la nature dans son isolement, dans ces effrayans précipices, où mettant à découvert les entrailles de la terre, elle se plaît à les miner en silence, par un mouvement chymique de décomposition.

Après avoir exposé les causes de ces dégradations, il s'élève avec la rapidité de l'aigle et développe, dans un style digne du sujet, les conséquences que la physique peut obtenir de ce genre d'observations. Il trace aux naturalistes, dans l'histoire de la destruction des Pyrénées, celle de toutes les montagnes de la terre, et leur fait connaître les combinaisons au moyen desquelles la nature opère sans cesse la désorganisation et la récomposition tant de l'intérieur que de la surface du globe.

Ce discours qui fit et devait faire une très-grande sensation (5), fut remarquable sous un autre rapport que celui de son mérite : c'était le premier discours solennel fait en français au collège de France. Cet exemple a été suivi depuis. Le premier aussi, d'Arcet avait osé professer sans la robe doctorale. Ces innovations qui auraient peut-être échoué, tentées par d'autres, réussirent, non parce qu'elles étaient raisonnables, (on sait que dans les corps, même savans, les vieux usages ne cèdent pas si facilement aux premières réclamations de la raison,) mais parce que la justesse de son esprit était tellement aidée par la modération de son caractère, que la raison ne perdait jamais avec lui aucun de ses droits.

La célébrité de d'Arcet, méritée par tant de titres brillans, le désignait pour la première place vacante à l'Académie des sciences ; on le fit prévenir de se présenter ; mais il ne voulut point se mettre en concurrence avec Rouelle le cadet, auquel l'analyse animale et végétale ont de véritables obligations.

La mort du chymiste Macquer lui rouvrit les portes de cette illustre société. Il l'y remplaça, ainsi qu'à la manufacture de porcelaine de Sèvres.

Bientôt la porcelaine dure dont il était le créateur, acquit sous la direction de d'Arcet de nouveaux perfectionnemens. Les changemens qu'il fit dans la pâte, facilitèrent la fabrication et la cuisson des grands vases d'une seule pièce, qu'on n'avait pu cuire auparavant que divisés en cinq ou six pièces de rapport. La couverte de la porcelaine tendre fut changée et devint plus belle. Il imagina une fumigation qu'on pratique depuis dans les moufles des fourneaux de peinture, pour donner aux couleurs sur porcelaine un aspect chatoyant. Les émaux, en général, lui dûrent un éclat plus brillant, des couleurs plus variées, et les fours à porcelaine plusieurs améliorations importantes (c).

En 1782, il donna un mémoire sur la calcination de la terre calcaire, dans lequel il confirma, par des expériences nouvelles, que la propriété de cette terre, d'entraîner les autres terres et les pierres dans la fusion vitreuse, devait être attribuée à son alkalescence.

En 1785, il découvrit la terre magnésienne dans les végétaux.

A la mort de M. Tillet, inspecteur-général des essais des monnaies, d'Arcet, qui lui était déjà adjoint, fut appelé à cette fonction importante, qui exige plus de délicatesse encore que de lumières.

Nommé inspecteur des atteliers de teinture des Gobelins, il en perfectionna les divers procédés et constata l'identité de la couleur écarlate, retirée de la cochenille-sylvestre de Saint-Domingue avec celle obtenue de la cochenille du Mexique (d).

Je pourrais citer encore un grand nombre de travaux faits par ce chymiste pratique, ou auxquels il eut part, et qui s'appliquent à divers objets d'utilité publique ou privée. De ce nombre furent, entre beaucoup d'autres, le beau travail sur les hôpitaux, rédigé par le célèbre Bailly, l'un des commissaires ; - le rapport sur le Mesmérisme ; - ceux sur les divers moyens d'extraire avec avantage le sel de soude du sel marin ; - sur la fabrication des savons, leurs différentes espèces et sur les moyens d'en préparer partout avec les diverses matières huileuses et alkalines que la nature présente suivant les localités. Ce rapport, ainsi que le précédent, est un ouvrage et il avait d'autant plus de prix, qu'à l'époque où il parut, nous éprouvions une disette rigoureuse de savons.

Mais qui évaluera les services qu'il a rendus aux arts industriels et aux artistes ? Ceux-ci venaient de toutes parts le consulter, attirés par sa réputation et par sa complaisance infatigable. Il n'avait rien de caché pour eux. Toujours ils remportaient ce qu'il avait découvert ou expérimenté ; et si l'objet lui semblait mériter de l'intérêt, il ne balançait pas à se livrer à de longues expériences, dont il abandonnait la gloire et livrait le fruit à ceux auxquels ils pouvaient être utiles. Ces détails de la vie du savant sont inaperçus, parce qu'ils n'ont pas le relief des grandes découvertes ; mais combien ils servent l'industrie, quand ils se répètent presque journellement pendant une longue vie !

Les leçons de chymie qu'il a données au collège de France, pendant vingt-sept ans, ont peuplé l'Europe de ses savans élèves et les atteliers d'artistes instruits dans cette science. Sa manière de professer était distinguée : il entrait toujours en matière avec dignité, narrait avec clarté et récapitulait avec précision. Ses expressions s'élevaient comme d'elles-mêmes avec le sujet : son caractère, son ame passaient dans son style ; c'est pour cela qu'il gravait profondément sa pensée dans l'esprit de ses auditeurs. L'on pouvait parler avec plus de facilité; mais il était impossible d'attacher davantage, de nourrir mieux la réflexion : on le quittait avec le besoin de penser et le désir de l'entendre de nouveau (e).

D'Arcet n'avait pas fait, comme il arrive quelque-fois à ceux qui cultivent les sciences qu'on nomme exactes, et qui croient qu'on peut avec une portion plus ou moins étendue d'une de ces sciences rester illettrés et étrangers aux autres connaissances libérales, même les traiter avec dédain. Il avait pénétré assez avant dans le système général des connaissances humaines, pour savoir qu'elles se tiennent toutes, qu'elles sont dans une dépendance mutuelle les unes des autres, qu'elles ne forment qu'un seul faisceau de lumière, dont chaque homme ne peut rassembler que quelques rayons : il en avait conclu que chaque genre de connaissance et de talent méritait de l'estime, qu'il était encore trop difficile de prendre les dimensions du savoir réel, qu'il restait trop de vides à remplir, trop de ténèbres à dissiper, trop d'erreurs à rectifier, que la vanité était trop prompte à s'attribuer l'auréole du génie, quand elle n'a droit qu'à la palme du labeur et de la patience, pour qu'il soit permis de s'énorgueillir de ce qu'on sait et de ce qu'on a fait. Ces considérations avaient tellement fortifié sa modestie naturelle, qu'elle était devenue infaillible. Elles épuraient pour lui en même tems les plaisirs de l'étude et des succès : il les cueillait, comme l'amant de la nature cueille les fleurs, pour en jouir et non pour s'en parer. Dans quelque champ qu'il les trouvat, de quelque famille qu'elles fussent, elles recevaient son hommage. Si les sciences naturelles avaient de préférence obtenu et justifié son culte, il savait aussi goûter les beaux arts et en parler : il avait sur-tout cherché dans les lettres un charme qui semble avoir quelque chose, sinon de plus satisfaisant, au moins de plus délicat pour l'esprit, qui le préserve d'une sorte d'aridité qu'on peut dire n'être point incompatible avec les plus grands succès dans les hautes sciences, enfin qui entretient l'amabilité sociale. Les meilleurs écrivains anciens et modernes lui étaient familiers. Sa mémoire fraîche au déclin de la vie, comme elle l'est ordinairement au jeune âge, pouvait à volonté citer les plus beaux morceaux de Virgile et du Tasse, de Racine, de Molière et de Lafontaine. Il possédait aussi parfaitement la géographie ancienne et moderne (f).

Outre les découvertes connues qui ont établi sa réputation, il avait trouvé plusieurs procédés intéressans, parmi lesquels je remarquerai la composition d'un verre bleu, qui laisse voir les objets avec leurs couleurs naturelles.

Celui pour retirer des os, par simple décoction, toute la partie nutritive et sebacée qu'ils contiennent, a été publié par lui dans le sein même du Lycée. Il ne saurait être trop répandu, à raison de ses avantages économiques (g).

Enfin, dans ces derniers tems, les arts lui ont été redevables du plus singulier et du plus remarquable de tous les alliages métalliques : les chymistes le nomment alliage fusible, parce qu'il a l'étonnante propriété de se fondre et de rester liquide, au degré de chaleur de l'eau bouillante. Cette découverte qui put ne paraître d'abord qu'un fait curieux, est devenue bientot d'une haute importance ; c'est elle qui a fondé l'art nouveau du stéréotypage, dont les résultats sont incalculables pour la propagation des lumières. Ainsi les moindres phénomènes en physique peuvent devenir de grands bienfaits par leur application aux arts.

Tel fut d'Arcet comme savant, comme chymiste, comme homme. Il était de sa destinée de mériter sous tous les rapports l'estime et le respect. Il fut encore citoyen excellent dans cette crise longue et terrible pendant laquelle il fallut que tous les français prissent un parti entre les principes de la raison et de la liberté, les préjugés et l'habitude de l'esclavage. Personne ne s'étonnera que d'Arcet, qui avait vécu avec les premiers hommes du siècle et qui se trouvait préparé à la révolution par l'influence de leur génie et par ses lumières, en ait été partisan. Il se livra, dès son aurore, à toutes les espérances qu'elle permettait de concevoir. Dépouillé par elle de l'opulence que son mariage lui avait apportée, il trouvait dans le bien général, qu'il continua d'espérer, une ample consolation de ses pertes et de celles de ses enfans. Quand l'anarchie la souilla, il craignit que le but ne fut manqué, que tous les sacrifices et les malheurs particuliers qu'elle avait entraînés ne fussent inutiles. Il fut profondément affligé des maux publics ! mais jamais il ne fut infidèle à ses premiers sentimens.

En 1789, époque où l'estime seule déterminait les suffrages, Paris le nomma électeur. Lorsqu'on a annoncé que cette révolution allait se terminer enfin, et que pour le persuader, on a recherché de même les talens éminens, les vertus éprouvées, d'Arcet a été retrouvé après dix ans d'orages politiques, encore au premier rang dans l'opinion, et il a été porté au sénat, non comme récompense révolutionnaire, puisqu'il n'avait servi la révolution que de ses vœux et de ses sacrifices, mais pour contribuer à donner au premier corps de la constitution nouvelle une grande considération publique, seule base capable de soutenir une semblable institution, de l'empêcher de devenir le jouet des circonstances et de renouveler l'exemple récent d'autorités qui meurent d'avilissement ou de nullité. Il était si loin de s'attendre à cet honneur, que ses amis crurent devoir prendre quelques précautions auprès de lui, pour l'empêcher de refuser.

D'Arcet n'a jamais connu d'ennemis. Eh ! qui aurait pu l'être ? Sa modestie inaltérable, sa candeur, son affabilité, rendaient impossible toute espèce de rivalité d'amour-propre avec lui : son ame ne pouvait pas plus en être atteinte que son caractère ne permettait aux autres d'en concevoir. Juste et bienveillant pour tous ceux qui cultivaient les sciences, il était considéré de tous. Mais pendant le règne horrible de la terreur, quel homme de bien ne fut pas au moins menacé ? d'Arcet fut quelque tems en grand péril. Les sciences lui fournirent un défenseur courageux qui le sauva.

Il existait au Comité de salut public plusieurs dénonciations contre lui ; mais celle qui l'accusait d'avoir été lié avec le duc d'Orléans, équivalait alors à-peu-près à un arrêt de mort. Cependant les rapports de d'Arcet avec ce prince les honoraient tous deux ; ils étaient bien antérieurs à la révolution et sur-tout fort étrangers à la politique. Le duc d'Orléans avait excité d'Arcet à publier ses belles expériences sur la combustion du diamant ; d'Arcet lui avait fait deux cours de chymie ; ces relations devaient attacher le prince au chymiste, car on ne pouvait point le connaître sans l'aimer : sa gaîté naïve et spirituelle, son caractère franc et liant, sa politesse cordiale, son maintien toujours digne, quoique simple, le rendaient à-la-fois agréable aux grands et l'en faisaient respecter. C'est ce qu'il éprouva avec le duc d'Orléans et les ministres, sur-tout avec Turgot, le baron de Breteuil, M. D'Angivillers et dans le monde. Partout, et toujours, c'était un savant modeste, un homme aimable, un sage qui ne se repaissait d'aucune chimère. Il était sensible à la bienveillance du duc d'Orléans, parce qu'elle lui semblait un sentiment sincèrement affectueux. D'Arcet lui proposait, pour l'avancement des sciences naturelles, des projets qui excédaient les moyens d'un particulier, et le duc s'engageait aux dépenses de l'exécution. L'un de ces projets consistait à faire camper, pendant toute une saison, une réunion d'habiles physiciens sur les sommets les plus élevés des Pyrénées, pour y recueillir une suite d'observations météréologiques dont il attendait de grands résultats. Lui-même avait ouvert ce vaste champ dans un séjour de quelques heures sur le Pic du midi. Cette savante expédition, pourvue de tous les moyens propres à en garantir le succès, allait se faire, aux frais du duc d'Orléans, quand la Révolution s'annonça. Elle interrompit naturellement les relations de d'Arcet avec ce prince, et ils ne se sont rencontrés depuis qu'une seule fois, savoir, à la première fédération, où le hazard les avait placés à côté l'un de l'autre.

Laissons ignorer quel fut l'être pervers qui voulut faire immoler d'Arcet ; ni celui-ci, ni ses enfans n'ont cherché à le connaître, encore moins à se venger, quand il a été en leur pouvoir de lever le voile et de joindre leur ressentiment à l'animadversion publique. C'était l'homme généreux par qui il fut sauvé que leurs cœurs avaient besoin de découvrir. Long-tems après le danger, le hazard apprit à d'Arcet qu'il l'avait encouru et qu'il devait la vie au citoyen Fourcroy, qui, comme membre de la Convention, était parvenu à se saisir des dénonciations, sous pretexte de les examiner. Pressé par Robespierre d'en rendre compte, il prit courageusement la defense du dénoncé, expliqua la nature de ses rapports avec le duc d'Orléans, attesta qu'ils avaient été utiles aux sciences et irréprochables pour le savant. Mais il fallut y revenir plusieurs fois, pour arracher ce vénérable septuagénaire au tyran qui l'avait compté parmi les proscrits.

Ce n'était sûrement pas l'innocence de d'Arcet qu'il était difficile de persuader à Robespierre : personne ne pouvait moins donner lieu à des soupçons, ni leur permettre moins de subsister. Le voir, l'entendre, ou interroger la voix publique, c'était contracter l'obligation de l'aimer, si l'on était sensible, de le respecter, si l'on reconnaissait les droits de la vertu, de l'affabilité et des talens réunis, ou du moins de l'estimer, si l'on était honnête.

Mais sans doute qu'on avait appris à Robespierre que l'esprit de d'Arcet était élevé et libéral, que son ame était généreuse, qu'il aimait la liberté, comme la philosophie, et qu'il ne pouvait pas plus se méprendre à l'une qu'à l'autre, et que sur ces indices, il avait été rangé parmi les ennemis irréconciliables de la tyrannie. Tous les tyrans sont farouches et se ressemblent en ce point, qu'ils haïssent sourdement, ou qu'ils persécutent les hommes éclairés et intègres auxquels ils savent une conscience inviolable. Ils s'arrangent aisément avec tous les autres. C'est envain que les philosophes sont modérés, résignés même, et que l'expérience prouve qu'ils s'occupent plus de réfléchir sur les causes que de les changer ; on ne leur pardonne point leur pensée, quoique passive et secrette. Tacite dit que sous Tibère et Néron, la pâleur, la tristesse, le silence étaient des crimes qui ne s'expiaient que par la proscription. Le caractère modéré de d'Arcet, son éloignement pour les affaires et pour tout ce qui avait l'apparence de contentieux, ne permettent pas d'attribuer la persistance de Robespierre à d'autres motifs. Enfin Fourcroy l'emporta, et mit plus de soin à cacher cette belle action, qu'elle ne lui avait coûté d'efforts. D'Arcet en parlait souvent dans l'intimité : il n'ébruitait pas sa reconnaissance, ni la noblesse du procédé ; il semblait respecter la fleur de délicatesse dont son auteur l'avait revêtu ; mais il n'en parlait jamais, sans une douce émotion, dont j'ai été plusieurs fois le confident et le témoin. Dépositaire, ainsi que ses enfans, de ses sentimens d'estime et de gratitude, je réjouis son ombre vertueuse ; en offrant au citoyen Fourcroy, au nom de la famille qui m'en a prié, et en mon particulier, l'hommage public d'une profonde reconnaissance.

L'excellent tempérament de d'Arcet, sa vie sobre et réglée, semblaient lui permettre encore de longs jours. On le citait comme un de ces rares exemples d'une vieillesse avancée, sans aucune infirmité. Mais tout-à-coup il fut assailli si violemment, que la médecine qu'il avait tant honorée ne put lui être d'aucun secours. Il vit avec calme s'approcher son heure dernière. Entouré de sa famille désolée, il expira dans mes bras, le 24 pluviôse, an IX, au bruit de l'airain annonçant la paix continentale. Il desirait cet événement avec tant d'ardeur, qu'on regrettait que cette heureuse nouvelle n'eût pas été annoncée quelques heures plutôt, dans l'espérance que la joie qu'il en aurait ressentie eût pu produire une crise salutaire. Ce regret qu'exprimèrent en même tems tous ceux qui environnaient son lit funèbre, peint mieux son amour pour la patrie que tout ce qu'on pourrait ajouter à ce trait.

J'écarte ici le tableau déchirant de la douleur de ses enfans. Si d'Arcet inspirait de l'affection à tous ceux qui le connaissaient, on peut juger que jamais père ne fut plus chéri. Sa bonté aimable répandait un charme journalier sur sa famille.

Il a donné pour maris à ses deux filles des hommes distingués (6). Il laisse à son fils l'héritage d'un beau nom, l'exemple des vertus utiles aux grands talens et aux qualités les plus aimables. Ce fils, déjà notre confrère, dans un âge où l'on n'apperçoit ordinairement que dans le lointain les sociétés savantes, sera digne de son père, puisqu'il a pour guides ses exemples et les leçons du savant chymiste qui l'a remplacé au Collège de France (7).

D'Arcet ! O mon maître ! mon ami ! qu'il fut douloureux aussi pour moi ce moment où me pressant de ta main défaillante, tu exhalas le dernier soupir ! Ton élève n'entendra plus ta voix consolante et instructive ! De ta belle, mais trop fugitive existence, il nous reste tes utiles travaux à reconnaître, à honorer, et un modèle des plus précieuses qualités sociales qu'il est plus facile de chérir que d'égaler. Ah ! puisse ton ombre que j'aime à me représenter planant sur cette enceinte que tu as éclairée de tes lumières, entendre le dernier tribut de ma tendresse, et l'hommage des regrets profonds du Lycée !

 


(1)- Extrait d'une notice inédite de madame d'Aiguillon sur la maladie et la mort de Montesquieu.

(2)- Le père Routh et le père Castel.

(3)- Voyez les notes, à la fin de la notice (a).

(4)- Dans une lettre imprimée à l'occasion de l'éloge de d'Arcet.

(5)- Il fut imprimé alors, mais il est devenu extrêmement rare.

(6)- Les citoyens Joachim le Breton, membre de l'Institut national et du Tribunal ; et Ph. Grouvelle, membre du Corps législatif, associé de l'Institut, ex-ambassadeur de la République en Danemarck.

(7)- Le citoyen Vauquelin.

 


NOTES

(a) - Le vêtement où étaient les clefs du cabinet du président fut pris et repris d'assaut plusieurs fois.

D'Alembert n'osa pas faire usage de ces détails dans l'éloge de Montesquieu qu'il inséra dans le cinquième volume de l'Encyclopédie. Les jésuites qui existaient encore et le clergé étaient trop redoutables. D'ailleurs ce philosophe avait déjà assez d'autres affaires à démêler avec le dernier, au sujet de l'Encyclopédie.

De son côté le curé de St.-Sulpice, sur la paroisse duquel demeurait Montesquieu, se présenta aussi et remplit son ministère, mais avec décence et sans beaucoup gêner le malade. On a retenu le commencement de son exhortation, à cause de la répartie de Montesquieu : " Vous savez, M. Le président, combien Dieu est grand " ! Montesquieu que tout ceci fatiguait probablement répondit : Oui, monsieur, et combien les hommes sont petits !

(b) - Les discussions qui s'élevèrent au sujet des expériences de d'Arcet, sur la combustion du diamant, confirmèrent authentiquement que le diamant était un corps entièrement combustible. C'était déjà avoir fait un grand pas vers la connaissance de la nature de cette substance et reculer les bornes de la science. Récemment le citoyen Guyton, ayant brûlé le diamant dans le gaz oxigène, en a fait connaître les parties constituantes : il assimile cette substance au carbonne pur.

(c) - Hellot, Macquer et Montigni, s'étaient bornés à rectifier et constater les opérations des ouvriers chymistes de la manufacture de Sèvres. C'est à d'Arcet qu'on doit les perfectionnemens réels dans la composition des pâtes dont on a fabriqué sous sa direction un vase d'une seule pièce de huit pieds de proportion. Ce vase est encore le seul de cette dimension qu'on ait fait en France tout d'une pièce.

Aux nombreux perfectionnemens de d'Arcet qui ont contribué à porter la manufacture de Sèvres au degré qui a fait tant d'honneur à l'industrie française, il faut ajouter, pour l'élégance des formes et la beauté des peintures, les soins que lui a donnés, pendant plus de vingt ans, le citoyen Bachelier, créateur de l'école gratuite de dessin. On ne doit jamais parler de la perfection à laquelle s'était élevé cet établissement, sans faire mention des services éminens qui lui a rendus cet artiste ingenieux.

(d) - Quoique d'Arcet n'ait point écrit sur la teinture, il a cependant beaucoup travaillé sur cet art, lorsqu'il remplissait la place d'inspecteur des teintures à la manufacture des Gobelins. J'y ai suivi et exécuté tous ses essais, comme son élève préparateur. Je dois à sa mémoire de ne pas laisser ignorer qu'il était déjà parvenu à donner à quelques nuances de teinture qu'on y exécutait un ton plus vrai, plus régulier, et qu'il avait trouvé des méthodes plus sûres, moins dispendieuses pour les obtenir.

La révolution l'empêcha de pousser plus loin ses recherches. Il fut contraint d'abandonner aussi l'examen très-intéressant pour l'art de la teinture, d'un volume de recettes ayant pour objet de fixer sur la laine la couleur de quelques dissolutions métalliques, qu'un ancien chymiste attaché à cette manufacture avait laissé après sa mort.

La France est redevable au citoyen Brulley, colon de St.-Domingue, du premier établissement de cochenille-sylvestre dans cette île où elle avait été apportée avec des peines infinies, et au péril de sa vie, par Thierry, envers lequel on s'est montré si ingrat !

Le citoyen Brulley est parvenu par des soins constans et éclairés à naturaliser cet insecte précieux sur son habitation. C'est un grand service rendu à l'industrie nationale et dont d'Arcet aimait à faire ressortir le mérite. Il essaya comparativement et avec succès, cette cochenille-sylvestre recueillie et apportée par le citoyen Brulley, avec la cochenille du Mexique. La partie écarlate d'un drapeau qui fut présenté à la Convention nationale, avait été teinte avec la cochenille du citoyen Brulley.

L'on vient d'en faire un nouvel essai encore plus heureux, en teignant avec cette même cochenille un habit pour le premier Consul, fabriqué par Décrelot avec la laine du troupeau de Rambouillet. Ce double succès a été parfait.

(e) - D'Arcet fut le premier qui professa au collège de France la chymie expérimentale. Le traitement du professeur ne s'élevait alors qu'à 1200 francs, que d'Arcet consacra entièrement chaque année aux frais d'expériences, car on n'alloua d'abord rien pour en faire. Il monta le laboratoire à ses dépens. En 1783, il fut accordé 300 fr. pour les dépenses de ce laboratoire ; mais d'Arcet qui pensait qu'on ne pouvait point enseigner la chymie avec fruit, qu'en appuyant la théorie de la pratique, ajouta, pour les frais d'expériences, mille liv. de ses propres fonds, pendant les sept années que j'ai été chargé du manuel de ses leçons. Son désintéressement était le même en tout.

(f) - Il a prouvé qu'il possédait une érudition variée en fournissant des articles et des notes, tantôt aux Encyclopédistes qu'il voyait chez le baron d'Holbac dont il était ami, tantôt pour d'autres ouvrages, tels que le voyage de Choiseuil Gouffier et les traductions si justement estimées de Lucrèce et de Sénèque le philosophe par Lagrange. Il s'était intimement lié avec ce dernier dans la maison de M. d'Holbac. Aussi l'aida-t-il avec empressement et toujours avec ce désintéressement d'amour-propre qui mettait ses amis à leur aise, parce qu'on voyait qu'il ne lui coûtait rien. Parmi les morceaux qu'il a faits pour ces deux derniers ouvrages, j'indiquerai celui sur les vases murrhins, liv. 7, chap. 9, note 6 du Traité des bienfaits de Sénèque ; c'est une longue et excellente dissertation par laquelle d'Arcet explique certains passages de Pline pour rendre intelligible l'endroit où Sénèque parle de ces vases dont le vainqueur de Mithridate orna son triomphe, à son entrée dans Rome. Il arrive par une savante analogie à conclure que les vases murrhins avaient beaucoup de rapports avec la porcelaine de la Chine, et par conséquent à prouver que l'art de la porcelaine aurait existé chez des peuples anciens. Il avait un profond savoir dans les arts chymiques pratiqués chez les différentes nations, tant anciennes que modernes.

Le journal de médecine rédigé par son ami le docteur Roux, est rempli de morceaux intéressans, le plus souvent sans nom d'auteur que signés de lui. Ses leçons au collège de France étaient animés par des rapprochemens souvent du plus grand intérét et toujours piquans sur les goûts, les habitudes, les arts, le commerce et les connaissances des anciens peuples.

(g) - Les expériences que d'Arcet avait faites sur l'extraction de la matière nutritive et sebacée que contiennent les os étaient complettes et rédigées plusieurs années avant sa mort : il en avait parlé dans ses cours. Il fit au Lycée un rapport sur ce sujet. On en trouve une analyse très-étendue nos 23 et 24 de la Décade philosophique du mois de frimaire an trois. Ces expériences sont donc bien antérieures à celles que le professeur Proust, élève de d'Arcet et qui a toujours été en correspondance avec lui, a publiées depuis sa mort, sur la même matière. A plus forte raison étaient-elles antérieures au mémoire que le citoyen Cadet de Vaux a lu dernièrement à l'Institut, et que la classe des sciences physiques et mathématiques a jugé n'offrir, sous les rapports des expériences et de l'utilité, rien qui n'ait été annoncé et démontré par d'Arcet. Au reste il lui est souvent arrivé de voir qu'on se parait de ses découvertes, sans les réclamer.

Que de résultats nouveaux sur les substances métalliques, que d'expériences instructives sur le platine, sur l'analyse par la voie humide des pierres et des terres, sur l'existence de la gélatine dans la bile, etc., etc...., ont été perdus de cette manière pour sa réputation !

Professeur infatigable, il travaillait continuellement pour ses cours du collège de France, et croyait devoir à ses auditeurs tout le fruit de ses recherches, sans penser jamais à rien mettre en réserve pour sa gloire. Il la plaçait toute dans le bonheur d'être utile. Etonné souvent de voir se publier dans les journaux, dans les sociétés savantes, par d'autres et en leur nom, des découvertes que je lui avais vu faire et dont il m'avait confié les expériences, je lui reprochais l'indifférence avec laquelle il se laissait dépouiller ; il me répondait : Nous connaissions à la vérité ce qu'on publie ; mais peu importe qu'un autre l'annonce, la science y gagnera de même ; n'y pensons plus et occupons nous de telle autre série d'expériences.

On l'a vu pourtant une fois montrer de la sensibilité pour une spoliation, quoiqu'elle ne fût pas la plus importante qu'il eût éprouvée. Ce fut lorsqu'après la mort du plus célèbre de ses disciples, Bertrand Pelletier, enlevé à la fleur de l'âge, à la chymie dont il secondait les progrès, les éditeurs de ses oeuvres y insérèrent, comme lui appartenant exclusivement, le rapport fait par d'Arcet au Comité de salut de public, sur les divers moyens d'extraire avec avantage la soude du sel marin. Il est vrai que le citoyen Pelletier avait été un des commissaires ; mais les citoyens Lelièvre, Giroust et d'Arcet l'avaient été également, y avaient également porté le tribut de leurs lumières, et il est reconnu que si le travail d'une commission pouvait appartenir à un des membres, ce serait au rapporteur : or c'était d'Arcet qui avait fait le rapport, et tout le monde connaissait sa grande expérience ainsi que sa science profonde dans ces matières. La réputation de B. Pelletier, mort à l'âge de trente-six ans, au premier rang des chymistes, n'avait pas besoin que pour lui attribuer cet excellent travail, on en changeât le titre et que l'on mît à la première personne ce qui est en nom collectif dans le rapport imprimé et distribué par ordre du Comité de salut public, signé des quatre commissaires, selon l'usage. Jamais d'Arcet n'avait pensé à en revendiquer une part plus forte que celle de ses confrères ; mais son fils entre les mains de qui est la minute originale, que j'ai vue, a cru de son devoir de faire cette réclamation qu'il est aussi du mien de consigner. Au reste, la veuve de B. Pelletier, seule tenue à la reconnaissance et au respect dû à d'Arcet pour la tendresse paternelle qu'il avait toujours eue pour son mari, a aussi toujours professé ces sentimens ; elle offrit de faire cartonner l'ouvrage, lorsque d'Arcet se plaignit d'un procédé auquel il ne devait pas s'attendre ; mais celui-ci ne le voulut pas : c'était son coeur et non son amour-propre qui avait besoin d'être satisfait.

(h) - Le bonheur que j'ai eu de vivre pendant quinze ans, dans l'intimité de d'Arcet, me permet d'espérer que j'aurai fait connaître sa personne. D'autres voix plus dignes de le louer, plus capables de l'apprécier feront mieux ressortir les services qu'il a rendus aux sciences, le défendront avec plus d'avantage contre l'extrême modestie dont il s'enveloppa, contre son insouciance pour la renommée, enfin contre l'oubli toujours si prompt de la dette de la reconnaissance. Déjà le cit. Cuvier a rempli cette tâche honorable à l'Institut national avec le talent qui le distingue.

Dès le jour de la mort de d'Arcet, le cit. Fourcroy fit insérer dans le Journal de Paris une notice qui contient en peu de lignes un éloge achevé, et le surlendemain, aux funérailles, il fit couler des larmes de tous les yeux, en jetant les dernières fleurs sur le cercueil de son confrère. Je réunis ici ces deux morceaux pour la gloire de mon maître. Ils suffiraient pour recommander son nom et le faire aimer, ainsi que pour attester la sensibilité et le talent de leur auteur.

D'un autre côté, le préfet du département des Landes (le cit. Méchain), en administrateur éclairé, a fait rendre, à la rentrée des écoles centrales, des honneurs publics à la mémoire de d'Arcet, né dans ce département.

 
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NÉCROLOGIE

Extrait du Journal de Paris, du 25 pluviôse an 9.

D'ARCET, chymiste célèbre, médecin savant, membre du Sénat-Conservateur, de l'Institut national et d'un grand nombre de Sociétés savantes et littéraires, professeur de chymie au collège de France, vient de mourir à l'âge de soixante-quinze ans et demi, dans la nuit du 23 au 24 pluviôse, des suites d'une douleur et d'un spasme violents dans l'estomac et les intestins, qui paraissent avoir été produits par une métastase goutteuse.

Ce citoyen illustre joignait à de grands talens et à une science profonde, le plus doux et le meilleur des caractères. La beauté de son ame, l'urbanité de ses moeurs, la pureté de ses actions, l'ont rendu cher à ses parens et à ses amis, inconsolables de sa perte. Les Sociétés savantes auxquelles il appartenait, feront connaître ses travaux utiles. Elles parleront avec l'étendue convenable de ses longues et belles expériences sur les terres, sur les poteries, sur la porcelaine, qu'il a le premier travaillé en France, avant la perfection donnée depuis à ce genre de fabrication ; de ses magnifiques recherches sur l'action d'un feu long et égal ; sur la destruction et la combustion du diamant ; de la longue suite d'analyses auxquelles il a contribué sur les matières animales, sur plusieurs eaux minérales, sur un grand nombre de mines. On n'oubliera point ses anciennes liaisons avec les Rouelles, son alliance avec la fille de l'aîné de ces hommes qui ont commencé la chymie en France, son attachement sacré à la mémoire et à la doctrine de ces savans célèbres. On remarquera sa vie sans cesse occupée à des choses utiles et jamais troublée par les orages qui remplissent la vie de tant d'autres hommes.

Qu'il soit permis à un confrère qu'il honorait de son amitié, qui a été long-tems témoin de son zèle pour la science et pour ses progrès, et qui a joui dans son commerce de toute la bonté de son coeur, depuis plus de vingt ans, de dire à ceux qui ne l'ont connu que de loin, combien ses vertus sociales rendaient d'Arcet aimable et précieux à tout ce qui l'approchait, combien les qualités de son ame relevaient en lui les connaissances profondes qui l'ont illustré. Si quelque chose peut adoucir le sentiment de sa perte, c'est le souvenir du bonheur tranquille, de la paix intérieure dont il n'a cessé de jouir, pendant une vie toute consacrée au travail et à l'étude de la nature. Heureux privilège des hommes adonnés aux sciences dont ils reculent sans cesse les limites !

D'Arcet laisse trois enfans ; deux filles mariées à des membres de l'Institut, qui, comme lui, aiment, cultivent les lettres, et sont dignes de jouir du même bonheur ; un fils qui marche sur les traces de son père, et qui profite déjà du grand exemple qu'il lui a donné.


 

ÉLOGE FUNÈBRE,

PRONONCÉ en présence du Sénat, de l'Institut national, et d'un grand nombre de membres de diverses Autorités constituées et Sociétés savantes, aux obsèques du citoyen d'ARCET, Sénateur, et membre de l'Institut, etc ; par le citoyen FOURCROY, Conseiller d'Etat et membre de l'Institut national, le 26 pluviôse an 9.

QUEL nouveau malheur nous rassemble dans ce lieu funèbre ! D'Arcet n'existe plus au milieu de nous ! Nous ne verrons plus ses traits pleins de bonté et de franchise ; sa voix touchante ne se fera plus entendre à nos coeurs ; nous ne serrerons plus cette main amie qui répondait si bien à nos affections. Il ne nous reste plus de cet homme savant et bon, que l'éclat de ses talens, le souvenir de ses vertus, l'exemple de ses actions ! Combien de regrets, suivis de sentimens vrais et profonds ces simples paroles ne nous inspirent-elles pas !

Il y a quelques jours nous embrassions d'Arcet, nous pressions sa main caressante, nous conversions avec lui ; et la mort a brisé tout-à-coup ce noeud confraternel, cette union si chère ! Qui consolera sa famille éplorée ? qui remplira le vide qu'il laisse dans nos ames ? Les récits de ses longs travaux et de ses découvertes, les éloges dont l'Institut et les Lycées vont bientôt retentir, pourront-ils diminuer nos douleurs, sauront-ils tarir nos larmes ? Ah ! retraçons plutôt sur sa tombe son caractère aimable, ses moeurs patriarchales, ses sentimens affectueux : Que sa vie, pleine de bonnes actions, de travaux utiles, remplace sa personne que la mort nous a ravie. Que le bonheur et la paix qu'il a trouvés dans la piété filiale, dans la culture des sciences et dans l'amitié, affaiblissent ou suspendent au moins nos tristes regrets !

D'Arcet a vécu long-tems au sein d'une famille qui lui payait toute sa tendresse ; il a joui de son vivant d'une éclatante renommée : la gloire a suivi ses travaux, sans l'escorte de l'envie qui l'accompagne trop souvent. Il a guidé dans le chemin de la vie trois enfans dont il a vu les succès, et le bonheur assuré. Ses vertus, ses talens, son civisme pur, ont mis le comble aux honneurs qu'il a su mériter, en le portant au Sénat français. Qu'a-t-il manqué à sa félicité ! Nous qui lui survivons, honorons sa mémoire, en nous rappelant sans cesse ce qu'il a fait de bien, ce qu'il a produit d'utile ; élevons-lui dans nos souvenirs un monument digne de sa vie. Montrons-le comme modèle à cette jeunesse ardente qui brûle de s'élancer dans la carrière où il a cueilli tant de palmes : apprenons aux hommes, par son exemple, que le vrai bonheur est dans la simplicité des moeurs, le culte de l'amitié et l'étude de la nature.

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