LE VIEUX LARBEY 

Etude Historique,

par L'Abbé Raphaël Lamaignère, Curé de Saint-Aubin

========

1942

 
 [Sommaire Doazit]
 [Raphaël Lamaignère]
 

Recopié d'après le manuscrit de l'auteur, par Philippe Dubedout.


 
 

Le Vieux Larbey

*

Le Bourg-Arman

 

 

Tous les historiens s'accordent à dire que les Gaulois, nos ancêtres, vivaient en clans confédérés, formant un peuple, une tribu, et réunis d'habitude dans un vaste oppidum. Ce camp retranché servait de refuge, aux heures d'invasion. - Chaque clan avait son autonomie propre, ses moeurs, sa religion: il vivait dans son réduit, protégé par de puissants terrassements fortifiés, avec ses vigies, ses postes avancés et la demeure du chef. Ces demeures primitives, ainsi défendues, s'appelaient en langue germanique "burg", et en langue celtique "dun", dont en latin on a fait "dunum".

Certains n'ont voulu voir dans ces souterrains que des cryptes d'approvisionnements et des magasins à vivres. D'autres, les regardent plutôt comme des habitations au moins temporaires; et c'est le sentiment de ces derniers qui a fini par prévaloir (Société de Borda, année 1885). Ces cachettes portaient aussi un nom: les "screonœ" (Dufourcet, Les Landes et les Landais).

Des fouilles, entreprises dans ces parages fortifiés à Ingrandes-sur-Vienne, par M. le Comte Alexis de Chasteigner, ancien officier des Haras, ont décelé l'existence de salles, communiquant entre elles par des galeries souterraines creusées dans le roc; et, dans ces salles, se trouvaient des dortoirs, des silos, des étables et des mangeoires. On y accédait par un puits ordinairement fermé par le haut, et qu'on n'ouvrait qu'en temps de guerre ou de danger public. De la base du puits, partait un couloir aboutissant à un véritable corps de garde, d'où l'on pouvait facilement observer ce qui se passait à l'entrée du souterrain. - En d'autres endroits, on rencontrait deux, et parfois trois galeries parallèles à la première, et superposées les unes aux autres. Des trous plongeaient à l'extérieur, assurant une aération abondante, permettant aux occupants de respirer à l'aise. Enfin, le long des parois intérieures, étaient ménagées des encoches, dans lesquelles étaient fixés des lucernaires, pour éclairer les passages. - On put même, à Ingrandes-sur-Vienne, se rendre compte que deux sortes d'instruments avaient servi pour creuser ces excavations: le pic en bois de cerf, et un outil en métal, apparenté à la hache en bronze. (Bulletin de Borda, 1885).

Ces sceonœ ou cachettes, sont rares; et M. Dufourcet, en dépit de ses infatigables recherches, n'en a jamais trouvé que deux, à travers l'Aquitaine: l'une, à Saint-Aubin, partant de la Tour de Poyaler pour aboutir, environ deux kilomètres plus loin, au massif rocheux de Malebat, dans le voisinage immédiat du Moulin de la Gouaougue; et l'autre, à Larbey même, à 180 mètres du pont de Poulouaou, sur le Louts, au lieu-dit Bourg-Arman.

Ici, il nous parait intéressant de donner dans ses grandes lignes, un aperçu du rapport publié en 1885, par le docte président de la Société de Borda, au Lendemain d'une visite faite par lui dans ces coins aujourd'hui déshérités, de notre Bourg-Arman.

M. Dufourcet nous dit qu'il y a, à Larbey, une ancienne station gauloise complète: un dunum, ou burg, qui, d'ailleurs, porte toujours chez nos contemporains, le nom de Bourg-Arman, (en langue germanique : Burg des Guerriers), avec son poste avancé, sa spelunca, ou caverne, et, chose plus curieuse, sa screona, ou cachette. A cause des débris et des terres qui en encombraient les alentours, notre érudit ne put visiter qu'une seule salle; assez cependant, pour bien se rendre compte que celle-ci répondait en tous points à la description des grottes de M. Chasteigner. Cet appartement offrait les mêmes trous d'aération que plus haut, et il lui fut possible d'y relever les traces des instruments qui avaient servi à le creuser. Il y constata pareillement l'existence des encoches pour les lampes d'éclairage, ainsi que l'entrée de deux galeries, aux voûtes ovoïdes, conduisant à des salles voisines, qu'il se promettait de revenir plus attentivement inspecter. Car, l'orifice du puits, bien que légèrement obstrué, apparaissait encore... Le souterrain, ajoute M. Dufourcet, était creusé non pas dans la craie, mais dans une roche d'un étage immédiatement supérieur à la craie, appartenant aux couches des coquilles pétrifiées, ou couches nummulitiques. La craie, nous dit-il, commençait à peu de distance de là.

Devant cette intéressante découverte, M. Taillebois, de Paris, autre membre influent de la Société de Borda proposa à ses collègues de voter 100 francs, pour faire les premières fouilles dans les souterrains de Larbey, et M. Dufourcet jugea cette somme suffisante, pour arriver à bien se rendre compte de l'ensemble de la station, d'autant plus qu'une partie de la salle principale avait déjà été déblayée en 1874, par un nommé M. Raymond Pottier, qui l'avait prise pour une grotte préhistorique.

Soixante ans bientôt ont passé; et il n'est pas venu à notre connaissance qu'on ait, jamais, entrepris d'autres travaux au Bourg-Arman. En 1937, des ouvriers se présentèrent; mais c'était pour tenter une expérience et confier au chaufour les pierres de ces lieux. L'entreprise ne donna pas les résultats attendus, et on laissa, cette fois à ciel ouvert, la première des grottes, en bordure du Louts. Les riverains ne s'en plaignirent pas, heureux de pouvoir impunément, et à si peu de frais, assoler leurs chemins ou l'aire de leurs maisons, avec les restes des antiques creutes gauloises.

Par bonheur, quelques mètres plus loin, demeure dans son état primitif l'entrée du souterrain dont parle M. Dufourcet: profond de 3 m environ, haut de 1 m 50, et sur un éboulis de 10 mètres en longueur. De cette excavation, suinte une humidité persistante; et la voûte finit par s'affaisser dans les boues gluantes, qui empêchent d'entrer. Toute incursion dans ce domaine de l'histoire locale nous est donc malheureusement interdite et le Bourg-Arman continuera, au milieu de l'épaisse frondaison des chênes séculaires, de la flore luxuriante des bois, et du calme sauvage de ces lieux retirés, à garder ses secrets. Tout au plus, perpétuera-t-il le souvenir de ces charmantes demeures que voient encore, dans leur sotte imagination, nos gens du pays: tissées d'or et d'argent, d'où les fées bienfaisantes répandaient au loin à travers la contrée, leurs inestimables faveurs.

Dans cet endroit précis, le Louts dessine une anse dangereuse, des flancs de laquelle part comme un conduit souterrain par lequel l'eau s'engouffre en tourbillon, et dont on n'a jamais pu ni indiquer la direction, ni mesurer la profondeur... Et l'on a brodé, là-dessus, des histoires rocambolesques qu'on raconte aux enfants, et qui créent en eux une sainte frayeur.

Plus loin, existait jadis un four à chaux, demeuré longtemps en exploitation, mais dont il ne reste plus que des ruines informes.

*

Le dunum de Larbey est surplombé par une motte ellipsoïdale, dont les contours sont encore parfaitement dessinés, et qu'ombragent de magnifiques tauzins et de beaux pins maritimes. -La maison et les terres qui l'environnent, se nomment Candélous, (primitivement Camp-du-Louts). Ce nom, n'est pas certainement venu là par un pur effet du hasard; d'autant que ces terrassements s'appellent encore dans le pays: lou mouta, ou la motte du Louts.

Toujours d'après M. Dufourcet, les monticules de ce genre, disséminés en maints endroits de nos Landes, seraient postérieurs aux temps des Romains, et auraient été utilisés au Moyen-âge. On y allumait de grands feux, visibles de toutes les régions circonvoisines, à l'annonce de nouvelles importantes, pouvant, selon des conditions reçues, intéresser les habitants.

Qu'est, en définitive, le tumulus de Candélous ? Pour nous, et jusqu'à plus ample informé, il pourrait très bien n'être qu'un prolongement distinct, des défenses naturelles du Castéra, dont le nom, lui aussi symptomatique, semble indiquer, dans ces parages, un antique camp romain.

*

* *


Le Castéra de Larbey

 

Après la conquête de l'Aquitaine par les Romains, (65 av. J. C.) Crassus, lieutenant de César occupa militairement nos pays de Chalosse. Il n'est même pas improbable que l'empereur lui-même, venant d'Aire (Vico Julii) à Dax, comme il est dit dans le Commentaire de la guerre des Gaules, livre VII, soit passé par les régions traversées par le Louts. - Ce qui est certain, et les preuves sont palpables, c'est que les légions impériales, avec le sens inné du génie militaire et de l'étonnant esprit d'adaptation qui leur était propres, marquèrent leur passage par l'établissement de campements fortifiés, appelés castra, sur les points présentant pour eux un intérêt stratégique.

Larbey possède un lieu nommé Castéra, dont la configuration générale semble répondre aux données de l'histoire. Nous ignorons cependant si on en a fait la description. Aussi, voulons-nous, autant que cela nous est possible, indiquer ici le fruit de nos recherches personnelles, après visite sérieuse du travail de castramétation, relevé dans ces lieux.

L'ouvrage en question s'élève sur la colline escarpée du Bas-Larbey, à 300 mètres du Louts.

A cet endroit, la rivière traverse la forêt, dite de "Lubatère", et coule paresseusement en bordure de vignes, de champs et de prairies, dont les pentes raides et parfois caillouteuses viennent mourir à ses pieds.

Le camp, - ou ce qui en reste - se compose d'un rectangle, long de 55 mètres et large de 22; sa structure actuelle n'est plus ce qu'elle était autrefois, car le soc de la charrue paraît y avoir fait de multiples nivellements, et déformé ainsi ses contours primitifs. Seul, le terrassement de l'ouest, en bordure de l'airial de la maison voisine, appelée elle aussi Castéra, est encore très bien conservée. Il se dégage d'un épais fourré de puissants arbrisseaux et de lianes sauvages, sur une hauteur de 1 m 30 environ. Il est orienté de nord à sud. De là, s'étend ensuite, à pente légèrement montante, le camp proprement dit.

A côté, surplombant les champs voisins, se trouve l'emplacement de ce qui paraît être un ancien chemin de ronde, long d'une quinzaine de mètres et large de 4, recouvert d'une verte pelouse.

*

La forme de ces ouvrages, à pans rectangulaires, semble bien remonter à l'époque romaine, ceux construits postérieurement, avant et après le moyen-âge, étant plutôt circulaires et ellipsoïdaux, comme les mottes ou tucs de cette époque, Poyaler par exemple.

Il n'est pas douteux que les cohortes latines, fièrement campées sur les hauteurs de Larbey, pouvaient admirablement surveiller le pays, et mettre immédiatement en échec les incursions venues d'un point quelconque de ce vaste horizon.

Le Castéra est bientôt deux fois millénaire... Mais, le pays, lui, n'a que très peu varié.

Du haut de ce mamelon, se détachent les tableaux les plus variés, pour l'oeil ravi du visiteur. C'est la belle et fertile campagne, avec ses coteaux ombragés, ses ondulations infinies, parsemées de blanches et parfois microscopiques maisons; ce sont les vignes, les champs, toujours riants aussi, dans leur saisonnière couronne de pampres et d'épis; c'est le Louts, toujours roi de la plaine, et qui, dans ses méandres capricieux, glisse à travers les bois touffus et les vallées solitaires; c'est, enfin, tout là-bas, la ligne sombre et tranquille des pins dont les cimes bleutées semblent se perdre dans la pourpre des cieux de l'océan; bordée sur sa gauche par la chaîne des Pyrénées, aux pics somptueux, aux aspects parfois les plus inattendus, et qui étale, de la Rhune aux dentelures haut-placées de Bigorre, le rayonnant manteau de ses neiges éternelles.

Répétons, en terminant, que ce souvenir de l'époque romaine nous paraît actuellement trop mutilé, pour que nous en puissions faire une étude plus serrée et plus approfondie.

*

* *


Le Moulin fortifié de Larbey

 

M. Dufourcet, déjà cité, le fait remonter au XIIe siècle, et prétend qu'il est seul de son espèce, dans le département.

Ce moulin, bâti en pierres d'appareil, dans un coin reculé mais charmant, à quelques mètres du confluent de la Gouaougue et du Louts, fut d'abord exploité par les Anglais, quand ceux-ci, déjà maîtres de la Gascogne, vinrent, au XIVe siècle, occuper nos régions (abbé Meyranx, Monographie de Mugron).

Il tomba plus tard dans le domaine seigneurial de Poyaler; et ses possesseurs en firent une meunerie modèle, la plus importante du pays. Alimenté par les sources de Peyradère*1 à Saint-Aubin, toujours abondantes même aux jours les plus chauds de l'année, le moulin dut être mis à l'abri des maraudeurs et des pillards qui, en ces temps de misère presque générale, circulaient à travers nos campagnes. A cet effet, on en protégea l'entrée par l'adjonction d'une porte spéciale, manoeuvrée du premier étage, et qui glissait dans deux cannelures profondes aménagées dans les murs.

La porte d'entrée, est bâtie en arc d'ogive, dans des murs de 1 m 45 d'épaisseur; elle a 2 m 30 de haut et 1 m 50 de large. Derrière les deux battants, on aperçoit, de chaque côté, deux enclaves carrées profondément engoncées dans la pierre, et qui servaient à barrer, de l'intérieur, l'huis principal de la maison.

La porte franchie, on entre de plein pied dans le moulin, par une ouverture ogivale, plus petite que la précédente, haute de 1 m 80, sur 0 m 75; et l'on se trouve dans l'appartement où tournent les meules, primitivement éclairé par une seule et étroite lucarne, donnant sur le nord. C'est peut-être à cause de cela, que cette pièce se serait longtemps et uniquement appelée, la prison du Château des Seigneurs.

Les murs de soutènement ont été percés, depuis, par de nombreuses baies et ouvertures dont on n'a même pas pris la précaution d'adoucir et de relever les arêtes saillantes; et c'est ainsi qu'a été défloré ce magnifique monument des époques passées, assez solide cependant pour n'avoir jamais subi encore la morsure du temps.

La maison d'habitation faisant corps avec le moulin, ne remonte pas aux époques lointaines où celui-ci surgit de terre; elle n'en proclame pas moins la hardiesse de la main intelligente qui en conçut le plan.

*

Nous avons dit précédemment que le moulin de Larbey excitait la convoitise des bandes armées de miséreux qui, de ce temps, parcouraient la région. C'est, en effet, dans ses murs qu'étaient entassées les réserves en blé des seigneurs de Poyaler; il fallait donc, de toute nécessité, soustraire à leur rapacité ce dont avait besoin, pour leur propre subsistance, les populations du pays. Il faut croire encore, qu'on vivait alors dans l'insécurité générale, puisque on trouve toujours à Saint-Aubin, en contre-bas de la Tour de Poyaler, une maison dite de Pèlegaries, dont le nom transparent, semble bien rappeler le souvenir de certains méfaits, accomplis par les voleurs de grands chemins et leurs nombreux comparses. Or, le moulin, puissamment défendu, pouvait défier, derrière ses deux portes, les attaques possibles de tous les malandrins.

*

Après la retentissante faillite des de Bénac, seigneurs de Poyaler, les biens du château furent vendus, en 1694, à la famille de Gontaut-Biron, originaire du Béarn. Celle-ci régna sur la région, en souveraine, pendant tout un long siècle, jusqu'au jour où le dernier de ses descendants, Charles-Antoine, voyant s'amonceler en France les orages de la Révolution, et traqué par les lois d'exception lancées par la Convention, se réfugia en Espagne, en 1792. Tous les biens seigneuriaux passèrent immédiatement sous le séquestre de l'Etat, pour tomber ensuite entre les mains de divers propriétaires. Le moulin, lui aussi, subit le sort commun, mais ne fut jamais détourné de sa destination première. Il appartient à ce jour, à M. Cauna de Pontonx.

*

Nous avons dit antérieurement, d'après M. Dufourcet, et nous pouvons en donner confirmation, en nous en référant aux archives municipales de Saint-Aubin, qu'un souterrain gaulois, reliait jadis la Tour de Poyaler au Moulin fortifié de Larbey.

Ses galeries furent inspectées, en 1792, par un nommé Sansoube, qui tenait en ce temps-là une poudrerie dans l'endroit, et qui pensait pouvoir y découvrir des traces de salpêtre. Ses travaux demeurèrent infructueux; mais les couloirs furent obstrués par les décombres, amoncelés sous les pas des ouvriers.

On montre encore l'entrée du souterrain, à quelques mètres de la Tour, dessinée par la forme d'un puits écroulé, et la sortie, à flanc de colline, derrière le moulin de Larbey. Cette excavation dans la roche crayeuse, s'avance de 10 mètres environ, dans ce qui fut le passage utilisé par les guerriers d'autrefois.

Il est, en tout cas, regrettable qu'on laisse actuellement se perdre, dans un enchevêtrement total d'ajoncs et de ronces grimpantes, des vestiges si intéressants de notre vieux passé. Un meilleur entretien satisferait pleinement les très nombreux touristes qui viennent, tous les ans à la belle saison, visiter le moulin de la Gouaougue et taquiner, sous les frais et magnifiques ombrages qui en font le joyau, le succulent petit goujon qu'on rencontre en ces lieux.

*

* *


L'Hôpital de Larbey

 

Nous nous sommes longtemps demandé où se trouvait cette antique maison de bienfaisance, signalée par M. Dufourcet. Nous savions que seuls, les documents laissés aux Archives Départementales par feu M. l'Abbé Foix, ancien, curé de Laurède, pourraient là dessus nous donner la clé du problème. C'est donc après deux visites à Mont-de-Marsan, qu'en consultant le tome VII des "Vieux Clochers, vieilles ruines", de l'infatigable pionnier, nous avons découvert son véritable emplacement: l'Hôpital de Larbey se trouvait dans la maison actuelle du Louma, à proximité de l'église.

Cet immeuble, aux proportions imposantes, aux lignes bien tracées, appartenait primitivement aux Chevaliers de St-Jacques de l'Epée rouge. Cet ordre avait été institué au XIIe siècle par le roi de Castille, pour défendre les pèlerins de Compostelle contre les maures d'Espagne. Son but était donc à la fois hospitalier et militaire. Il possédait des maisons de refuge à Lencouacq, à Estibeaux, à Mt-de-Marsan, à Souprosse et à Mugron (Dufourcet, Les Landes et les Landais, p. 280).

Nous savons, par les données de l'histoire, qu'au temps des Croisades (du XIe au XIIIe siècle), en ces époques lointaines où la foi fleurissait dans les masses, nombreux étaient les chrétiens qui s'en allaient visiter le Saint Sépulcre à Jérusalem, le tombeau de St Pierre à Rome, ou les restes vénérés de St Jacques, dans la province de Galice. Ces pieuses caravanes, qu'on nous représente avec le bourdon surmonté de la gourde traditionnelle, le chapeau à larges bords paré de nombreuses coquilles, étaient généralement conduites par des prêtres.

Celles qui traversaient nos régions, venant de Bazas et du Lot-et-Garonne, passaient par Mt-de-Marsan, Campagne et Souprosse, franchissaient l'Adour à Mugron; puis, montant à Poyaler et Larbey, allaient rejoindre par Castelnau, Estibeaux et Habas, la grande voie romaine - lou camin roumiou - qui devait les amener dans la péninsule ibérique.

Il y a tout lieu de croire que ces étrangers de passage venaient faire halte dans l'hôpital de Larbey où, réunis selon l'usage, près de l'âtre flamboyant, ou devant la porte d'entrée, ils chantaient entre deux prières les douces et prenantes mélopées de leur pays natal. Puis, reposés des fatigues du voyage, ravitaillés par des mains charitables, ils reprenaient leur marche en avant, emportant dans leur coeur l'hostie sainte, reçue avec ferveur, à quelque messe matinale.

*

L'hôpital de Larbey s'appelait de Comet, ou de St-Jean ou encore du Louma. Il était situé, nous dit l'abbé Foix, sur la voie de Mt-de-Marsan à Sorde et Sauveterre, et remontait à une très haute antiquité. "Il était d'un tenant, sauf le grand chemin public, tenant de toutes partz avec le sémetière et biens de l'église du dit Larbey".

On y aperçoit encore, au premier étage, et sur toute la longueur du grenier actuel (13 mètres sur 5), une salle éclairée par quatre croisées, dont deux ont été depuis, aveuglées. Elle communiquait directement avec l'extérieur, par un escalier, aujourd'hui détruit, et par une porte qui ouvre toujours sur l'appartement en question, l'hôpital proprement dit de jadis. - Le plancher supérieur a été enlevé, mais les charpentes subsistent, appuyées sur deux poutres à encoches rapprochées, où s'encastraient quatorze soliveaux de 6 mètres de long.

A côté de la salle, un second appartement distinct, garde les traces d'une ancienne cheminée avec son âtre noirci, dont on ne peut s'expliquer l'existence, que par l'emploi qu'on en faisait, ou pour les malades gardés dans la maison, ou pour les colonnes ambulantes des pèlerins de Compostelle.

Au-dessous, se trouve l'ancienne chapelle, dont l'entrée est nettement marquée par une ouverture à arc surbaissé, et une porte intérieure actuellement murée, donnant primitivement dans la cour de l'immeuble. Au dehors, sur le linteau de cette porte, se lit ce millésime : 1789; ce qui semblerait indiquer la date officielle de la fermeture du petit oratoire. Ce point d'histoire nous semble corroboré par l'indication donnée par M. Foix: "Au XVIIIe siècle, en 1755, l'hôpital était entièrement délabré, et sa chapelle dût bientôt être fermée au culte".

En 1743, les biens de cette institution étaient régis par un nommé Jean Farthouat, laboureur et marguillier, qui les passa au sieur Fabien Deyris, du Beylion. En 1675, Dlle Tabita de Spens, veuve de noble Guichard de Comet, reconnaissait tenir cette propriété du Duc de Ventadour. Celle-ci comprenait : une maison, un jardin, 4 arpents de champs et de landes, et donnait un revenu annuel de 75 livres, sur lesquelles il fallait prélever un "obit", ou service funèbre.

Sous la Révolution, le 18 brumaire an II (8 novembre 1793), les terres furent affermées à la nation, par un nommé Bréthoux, de Montgaillard, pour 100 livres par an.

Le Louma, propriété actuelle de M. Paul Dubedout, appartenait jadis au domaine de "Lestage", relevant de la famille Domenger, de Mugron.

*

La croyance populaire veut que les cloches de Larbey, aient été enfouies dans un ancien puits de la maison, au moment où on les dirigeait, sous la Révolution, sur l'Hôtel de la Monnaie, à Bayonne. D'autres objets cultuels très précieux auraient aussi, dit-on, pris alors la même destination.

Un affaissement de terrain survenu, il y a quelques années, sur l'emplacement de ce puits, aurait confirmé les dires des "anciens". Seules, des fouilles appropriées remettraient les choses au point; et la découverte - si découverte il devait y avoir - ne manquerait pas d'être sensationnelle.

*

* *


Les Ostaux Royaux de Larbey

 

 

Grâce aux patientes mais fructueuses recherches faites pour nous aux Archives de Pau, par M. le Colonel-médecin Michel Ferron, nous savons maintenant à quoi nous en tenir sur cette question, demeurée bien obscure, des Ostaux-Royaux de Larbey.

On appelait ainsi certaines terres relevant directement de la Cour, et que géraient des intendants nommés par le Roi. Où étaient ces biens particuliers à Larbey ? Malgré toutes nos investigations, il nous est matériellement impossible de le dire*2. Ce que nous pouvons, en revanche, avancer, c'est que ces biens royaux comptaient 14 feux ou foyers, qu'ils embrassaient une superficie de 151 journades*3, que le cens annuel perçu s'élevait à 7 livres, 7 sols, 3 deniers, et qu'ils s'étendaient sur des campagnes à peu près désertiques, des landes et des "touyas"*4.

Les seigneurs de Caupenne et de Doazit, en étaient généralement les régisseurs patentés.

Nous savons aussi qu'il fut créé à Larbey, sur ces dépendances royales, une prison locale pour l'instruction des causes criminelles, et bâti un logement appelé parquet, réservé aux mandants du roi. Les comptables de la Cour, payaient encore les dépenses attachées aux droits de la justice, à l'entretien des salles d'audience et à la sauvegarde des enfants trouvés.

Les Ostaux-Royaux, sorte d'état dans l'Etat, firent, en 1772, l'objet d'une transaction passée entre Messire Jean-Luc de Cès-Caupenne, Ecclésiastique, Cordon rouge, grand' croix et chevalier de l'Ordre du Christ, baron du Bas-Larbey et seigneur de la paroisse, et Messire Mathieu de Basquiat, chevalier, baron de la Houze, seigneur du Haut-Larbey. - Par cet acte, le baron de la Houze devenait propriétaire légal des Ostaux-Royaux par un échange fait avec le précédent, de la seigneurie de Baigts. Ainsi finissait entre les intéressés un long et scandaleux procès, demeuré en suspens au bureau des finances, à Auch.

Et ainsi disparurent ces Ostaux-Royaux, dont le titre était hautement revendiqué par les curés de l'endroit qui, jamais, ne manquaient de signer sur leurs livres officiels de catholicité : X... curé des Ostaux-Royaux de Larbey.

*

* *


La Scolanie de Larbey

 

Les historiens français qu'aveugle le parti pris osent prétendre que l'ancien régime n'a été qu'une époque d'obscurantisme, et que, seule, la grande révolution de 1789 nous a valu l'orientation des esprits vers le progrès scientifique et ses diverses branches. Ces auteurs ne devraient pourtant pas oublier que la vérité n'a qu'une face, et que, précisément la science n'a pas de pires ennemis que l'ignorance et les préjugés systématiquement entretenus. - Qu'ils se rappellent donc de quelle manière et déjà au XIIIe siècle, l'enseignement fut organisé par l'Eglise sur les bases solides qui devaient asseoir bientôt, sur tous les points du pays, nos Universités; qu'ils songent au lustre donné à la monarchie française par les génies du temps de Louis XIV; et le bandeau tombera de leurs yeux...

Toutes les paroisses, ou à peu près, possédaient une scolanie. Larbey avait la sienne, dirigée par un laïque instruit et de bonnes moeurs, et qui apprenait aux enfants à lire, à écrire et à chanter. D'après le Verbal de Charles IX, publié en 1572 après les guerres de Religion, le scolain (ou escolain) devait répondre à la messe, et aider le curé dans l'administration des sacrements. Celui de Larbey percevait une rente annuelle de 150 livres, auxquelles venaient s'ajouter 60 écus, que lui allouait la prébende de Lestrade (Daugé, Histoire de Maylis). Il y en eut une dizaine qui, successivement, passèrent dans la localité.

Vinrent ensuite les régents. Ceux-ci devaient être choisis par le curé, agréés par la population et accrédités auprès des familles par l'évêque lui-même.

Ainsi, étaient données aux parents toutes les garanties nécessaires, et les éducateurs pouvaient à bon escient faire oeuvre utile et profitable près des enfants qui leur étaient confiés.

Jusqu'en 1789, les régents de Larbey touchaient un traitement fixe de 75 livres. Mais, cette somme étant devenue insuffisante, il fut convenu que la caisse de l'église leur allouerait désormais un supplément de 30 autres livres, pour reconnaître leurs services de chantres paroissiaux.

Cette noble tradition se perpétua jusqu'aux jours où la 3ème République, faisant table rase de tout un passé d'honneur national, et sans ménagement aucun pour les convictions chrétiennes de maints instituteurs, défendit aux membres du corps enseignant de figurer au lutrin, et même de prendre part officiellement aux cérémonies de l'église.

Les régents de jadis, essentiellement pétris de foi et de nobles vertus françaises, étaient, après le curé, les personnages les plus représentatifs de la paroisse. Admirablement secondés par les familles de l'endroit, ils n'eurent aucune peine à faire de leurs élèves, sinon des esprits transcendants, ce qui, au fond, importait peu, mais des hommes de caractère, dépositaires merveilleux de toutes les traditions.

A Larbey, les petits écoliers étaient groupés dans l'appartement situé au premier étage du porche actuel de l'église. Il est probable que les conditions de confort et d'hygiène usuelle, y étaient des plus sommaires. Ce qui ne les empêchait pas d'avoir la mens sana in corpore sano, l'âme saine dans un corps sain, dont parle Juvénal, le poète latin.

Postérieurement, l'école de Larbey fut transférée à la maison du Beylion. Elle est aujourd'hui établie sur la place de l'église, avec le logement réservé au maître qui la dirige.

*

* *


La maison de Lestage, à Larbey*5

 

Cette maison, jadis occupée par les seigneurs du lieu, barons de la Houze, a été de tout temps associée aux grands événements de notre vie paroissiale. Elle est située à 2 kilomètres environ de l'église, au centre d'un plateau découvert d'où l'oeil plonge à la fois sur les horizons lointains des Pyrénées neigeuses et les sombres pignadas des sables de la lande. Tout y est majestueux et grandiose : c'est le véritable manoir d'autrefois, avec ses nombreux corps de bâtiment, ses granges et dépendances spacieuses, ses greniers et ses celliers où s'entassent les riches produits du sol, portés là tous les ans par les métayers qui en exploitent les terres.

Le domaine, aujourd'hui morcelé, comprenait primitivement les biens de : Prospère, Tallehaou, Lapichotte, Housqueyres, Castéra, Candélous, Latéoulère, Haza, Pouy, Chialés, Bourdet, Bidot 1 et 2, Passant, Lanuchot, Chin, Planté, Mayson-nabe, Lourole, Louma, Harioula, et Lasbarrères, soit, au total 22 métairies.

Jusqu'en 1932, Lestage appartenait en entier à la famille d'Antin, héritière des Domengers et des Moulas, de Mugron. A cette date, une partie des fonds fut mise en vente, et trouva comme principaux acquéreurs, M. Sourgens, de Rion, et des gens mêmes de l'endroit, désireux d'agrandir leur propre exploitation. - Huit de ces métairies restent cependant toujours en possession des d'Antin; mais la maison a été aliénée au bénéfice de M. Sourgens.

*

Au 15ème siècle (Mémoires de Laborde-Péboué), pendant les guerres de la Fronde, Lestage fut assailli par les soldats du Capitaine allemand Balthazar qui, déferlant de Brocas, firent main basse sur les provisions de ménage, saccagèrent les récoltes, et ne laissèrent après eux que ruines et dévastations.

Aux jours mauvais de la Terreur, et au plus fort de la persécution religieuse, la maison donna un gîte aux prêtres réfractaires, poursuivis et traqués par les patriotes. C'est là que se donnaient rendez-vous, à la faveur des ténèbres, l'Abbé Lacoste, curé de la paroisse, le Père de Caupenne*6, et parfois aussi l'héroïque abbé Lamarque, vicaire-général de Mgr de Caux, exilé en Espagne, accompagné, sous des habits d'emprunt, par l'abbé Dupérier, curé de St-Aubin. Et les fidèles venaient, heureux, se réconforter au contact de leurs pasteurs, assister aux saints Mystères, et entendre les paroles demandées par les heures si lourdes et si décevantes que l'on vivait alors.

Au siècle dernier enfin, et jusqu'en 1880, Lestage ouvrit ses portes aux jésuites espagnols, réfugiés à Poyanne. Les familles se souviennent encore de bien que firent les religieux dans la localité; et l'église de Larbey n'a pas oublié les largesses dont elle bénéficia de leur part.

La maison habitée par les novices, était alors dans toute sa splendeur. C'est eux qui élevèrent dans la cour, sous la voûte des arbres magnifiques qui continuent à la protéger, la Vierge de Toutes-Grâces, dressée sur un socle figurant le rocher. - Depuis, bien des ruines se sont amoncelées : la chapelle elle-même a été démolie pierre par pierre; et seul, le rappel du passé peut encore toucher le coeur de ceux qui connurent ces époques glorieuses, où Lestage était comme le nid joyeux où s'épanouissaient les rêves d'avenir de ces fils de St Ignace, trouvant asile chez nous : Sic transit !.

*

Il nous a été agréable de sortir de l'oubli, et de consigner dans ces pages les principaux souvenirs du Larbey d'autrefois. Nous doutons fort que beaucoup de localités dans nos Landes puissent en revendiquer d'aussi glorieux, dans leurs propres annales. Et c'est ce qui nous fait reprendre à notre compte, mais sans le profaner, ce mot de nos Saints Livres : Et toi aussi, terre de Larbey, tu n'es pas la moindre des paroisses de Chalosse qui peuvent s'ennorgueillir de temps qui ne sont plus".

Nous souhaitons, en tout cas, que ce modeste rappel du passé, fasse encore aimer davantage cette terre "mayrane", si riche de souvenirs, durant sa longue histoire.

 

R. Lamaignère
 


 

1- Les sources de Peyradère constituent une des plus rares beautés naturelles de notre région: à 300 m environ du chemin vicinal qui relie le quartier de Poyaler à la route no 18, Mugron à Hagetmau, on peut voir surgir de terre, et comme d'un mystérieux souterrain, une eau torrentueuse, formant immédiatement un lit de 3 m de large, d'une limpidité de cristal, et qui, se frayant un chemin à travers les blocs de pierre qui émergent du sol, va, quelques mètres plus loin, se jeter dans la Gouaougue. - Ces sources seraient, dit-on, le trop plein de l'étang d'Agès, près de Hagetmau, alimenté lui-même, d'après des données géologiques, par les traînées glacières venues des Pyrénées. C'est donc plusieurs kilomètres que parcourraient, dans les flancs du sous-sol, de Monségur à St-Aubin, ces flots tumultueux débouchant à même le sol, du pied d'un mamelon; - Le grand hydrologue qu'était Mgr Hourcastagné, récemment décédé près d'Orthez, venu à St-Aubin faire des sondages dans le fonds de M. Latappy, en contre-bas de l'église, a toujours prétendu que le puits de "Laborde", profond de 29 mètres, donnait directement sur la nappe d'eau des sources de Peyradère.

2- Il y a cependant une vieille maison appelée encore "Rayaous".

3- La journade : 42 ares 20 centiares.

4- Les anciens "Ostaux-Royaux" étaient situés dans la partie sud de Larbey, de "Lourole" à la limite de la paroisse confinant au Ruisseau du Moulin de Bas (M. Ferron, d'après recherches historiques).

5- Une communication écrite de Mme la Baronne de St Palais (16, rue de Marignan, Paris VIIIo) en date du 5 juillet 1947, me fait savoir que le seigneur de Larbey, au XVIIIe siècle, s'appelait Mathieu de Basquiat.

Celui-ci, né en 1726 et mort en 1793, faisait fonction de Diplomate; et il a laissé aux Archives du Ministère des Affaires étrangères toute la correspondance politique qu'il écrivit, lorsqu'il était à Naples, au Vatican, et au Danemark.- Il avait échangé avec Louis XV les "Ostaux Royaux" de Larbey et de Baigts, en 1766; et, parlant souvent dans ses lettres de son "château de Larbey près de St-Sever en Gascogne", il nous apprend qu'il séjourna dans la localité, de juillet 1783 à septembre 1785, ayant obtenu du Roi un long congé, alors qu'il était ministre plénipotentiaire au Danemark, de 1779 à 1792.

Le baron de la Houze avait une plume féconde, et il a laissé des lettres qui font la matière de 30 gros volumes. Les chercheurs ont là de quoi passer leur temps.

Il est probable qu'à la mort du seigneur Basquiat, le domaine de Larbey passa entre les mains de l'Etat, et devint bien national comme ceux des aristocrates, qu'inquiéta la Convention par ses lois d'exaction.

La famille Domenger, de Mugron, acquit plus tard de ses deniers l'ancienne résidence des barons de Larbey.

6- Le P. de Caupenne, capucin, s'appelait de son vrai nom Jean-Arnaud Farthoat. Il était né à Brassempouy le 12 janvier 1763 (Abbé Légé).