Extrait de "Une Famille de la Chalosse",

par André de Laborde-Lassale ; 1902. p.75 à 80.

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[Sommaire Doazit]
[Jean Darcet]
[Bibliographie Darcet]

 

... je rappellerai ici le souvenir d'un Landais distingué qui, sans avoir eu avec les miens de fréquentes relations, leur tenait de près par les liens du sang et qui a laissé un nom dans le monde de la science.

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Jean d'Arcet naquit en 1725 à Doazit du mariage d'Antoine d'Arcet, lieutenant-général du bailliage de Gascogne avec Marguerite d'Audignon, sœur de ma trisaïeule. Une mort prématuré lui enleva sa mère, femme de haute vertu et de grand mérite, qu'il connut à peine.

Après avoir passé son enfance à Doazit, sous le toit du Prouilh, sa maison paternelle, il fit ses études au Collège d'Aire et se destina à la médecine, au grand mécontentement de son père qui avait rêvé de lui transmettre sa charge. M. d'Arcet alla même, pour le punir, jusqu'à lui enlever le bénéfice du droit d'aînesse qu'il transféra par acte notarié à son fils cadet issu d'un second mariage.

En 1745, il commença ses études de médecine à Bordeaux. Des leçons de latin et de grec, données à quelques enfants, suppléèrent à l'insuffisance du revenu de ses métairies de Bidaoü, Arnauton et Simon, situées en Audignon et constituant son apanage maternel. Présenté à Montesquieu, il eut l'heureuse chance de lui plaire. L'illustre Président a mortier du Parlement de Guienne lui confia l'éducation de son fils, le jeune de Secondat, ...

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... l'amena à Paris en 1752 et en fit son secrétaire. En cette qualité, d'Arcet s'employa à réunir des matériaux que Montesquieu utilisa pour la composition de l'Esprit des Lois, auquel il prêta ainsi une active collaboration. (Semaine Religieuse d'Aire et de Dax du 22 février 1901).

Après la mort du grand écrivain, d'Arcet, reçu docteur en médecine, se livra à l'exercice de sa profession, tout en étudiant la chimie, science alors naissante. Il devint même l'émule de Rouelle, un des pères de la chimie moderne. Plus tard, il épousa la fille de ce chimiste éminent. Le mariage fut célébré à Villejuif. Malesherbes et plusieurs savants illustres y assistèrent.

Devenu le guide scientifique du comte de Lauragais, il se laissa entraîner, en 1758, par ce jeune officier dans le pays de Hanôvre qu'occupaient alors les armes françaises. Ayant visité les mines du Hartz, il en publia la description et rédigea un journal de la campagne dont il fut le témoin.

Avec le comte de Lauragais, il étudia en Saxe la fabrication de la porcelaine dont ce pays contenait des manufactures célèbres. Des lois draconiennes allant jusqu'à la peine de mort empêchaient d'importer en France le kaolin saxon. D'Arcet trouva le moyen de reproduire cette substance par l'action de procédés chimiques.

Celui que Montesquieu appelait " le médecin lettré " démontra la combustibilité du diamant. A la suite d'un discours qu'il prononça à l'Académie des sciences, en 1774, maîtres et élèves l'acclamèrent professeur de chimie au Collège de France. Pendant vingt-sept ans, il occupa cette chaire avec une haute distinction.

Membre de l'Académie des sciences, Directeur de la .manufacture de Sèvres, Inspecteur des Gobelins, il améliora la fabrication des savons et vulgarisa la science en l'appliquant à l'industrie.

Marié à une femme accomplie, mademoiselle Rouelle, il ...

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... goûta le charme d'un intérieur heureux au milieu des travaux incessants qui remplirent sa vie.

- " Vous savez parfaitement le point d'où je suis parti, écrivait-il le 15 mai 1780 à son cousin Joseph de Laborde-Lassale. Je n'ai eu depuis l'âge de dix-huit ans aucun secours de ma famille. J'ai un bien-être borné et modeste..... Ma femme nourrit son quatrième enfant. Elle conduit sa maison, fait tout, va peu au spectacle, peu de luxe, pas un sol de jeu, un logement simplement convenable, voilà, mon cher cousin, par quel moyen nous vivons, élevons nos enfants et faisons honneur à nos affaires. "

Si le métier d'inventeur menait alors à la notoriété scientifique, il ne conduisait pas comme aujourd'hui à la fortune.

Ses travaux ne lui faisaient oublier ni ses parents, ni son pays natal ainsi qu'en témoins une lettre qu'il écrivait le 11 Janvier 1766 à son oncle Charles de Laborde-Lassale :

" Monsieur et cher oncle. Des affaires m'ont empêché de suivre le dessein où j'étais de profiter des premiers jours de l'année pour vous renouveler les assurances de mon respect, vous demander de vos nouvelles et vous offrir les vœux les plus sincères que je fais pour votre santé et généralement pour tout ce qui peut vous intéresser. Je n'ai jamais été d'un caractère indifférent pour mes parents, mais je dois à la tendre amitié qu'on m'a toujours dit que ma pauvre mère avait pour moi de conserver les mêmes sentiments pour tous ceux à qui je puis tenir de son côté ; je dois aussi beaucoup à l'affection que feue Madame de Laborde, ma tante m'a toujours portée, et je ne peux mieux honorer leur mémoire, sans doute, qu'en vous rendant à vous-même ce qu'elles seraient en droit d'attendre de moi si elles vivaient encore. Que j'aurais de plaisir, Monsieur et cher oncle, si je pouvais vous dire de vive voix ce que ma plume vous trace ici sur le papier, mais que d'obstacles ! et comment rompre, même pour un temps, les liens d'un état qui m'attache à Paris ! Je regarderais comme une des choses les ...

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... plus heureuses de ma vie de pouvoir faire un voyage dans le pays. C'est, sans doute, une chose bien douce et bien agréable que la vue de ses parents et le plaisir de respirer encore l'air du pays de sa naissance après seize ou dix-sept ans d'absence. Je vous prie de me rappeler au souvenir de Messieurs de Laborde, de Madame de Marsan et de Madame de Laborde, la religieuse, et de me croire avec un attachement respectueux et éternel, Monsieur et cher oncle, votre très humble et très obéissant serviteur,

" D'Arcet ".

" Paris, le 11 Janvier 1766 ".

Le 3 Juin de la même année 1766, d'Arcet écrit à son oncle au sujet de la mort tragique d'Henry :

" Monsieur et cher oncle. Je n'ai pas cru devoir plus tôt vous témoigner la part que je prends à la mort funeste de M. de Laborde, votre fils et mon cousin, et combien je partage votre douleur. Ma soeur m'en avait déjà donné la première nouvelle. Mais comme elle paraissait plutôt être un bruit qu'une chose qui eut un fondement assuré, ç'aurait été une imprudence que de hasarder une lettre avec un compliment aussi cruel et qui n'aurait pas été mieux fondé. Je ne puis pas douter aujourd'hui de votre malheur et je conçois toute votre affliction ; je ne l'ai connu que fort jeune mais je me rappelle bien que la douceur de son caractère annonçait, dès lors, combien le Ciel l'avait fait pour être aimé. Un des grands fléaux pour un père tendre est de survivre à ses enfants ; c'est le malheur de voir prolonger ses jours pour le triste spectacle de les voir mettre au tombeau ; Mais combien, mon cher oncle, n'y en a-t-il pas que le Ciel afflige et frappe d'une manière plus cruelle ? Quelle doit être l'affreuse situation de celui qui voit finir d'un seul coup toutes ses espérances et sa consolation par la mort prématurée d'un fils unique ; tout ce qui l'environne lui retrace sa perte ; il n'est plus rien dans le monde qui l'intéresse et la mort, qui devient un bonheur pour lui, est désormais la seule chose dont l'idée puisse le consoler : vous n'êtes pas ce père, mon cher oncle. M. le chevalier de Laborde vous reste encore et la manière si honorable dont j'ai oui dire qu'il se distingue dans son corps est bien capable de distraire votre âme de cette perte, si, du ...

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... moins, quelque chose peut vous la faire oublier. Madame de Marsan, qui est auprès de vous, peut encore sécher vos pleurs ; c'est celle de toute votre famille que j'ai le plus aimée, parce que étant du même âge c'est elle que j'ai le plus connue et je ne l'ai jamais perdue de la mémoire. Quel excellent caractère n'avait-elle pas ? et qui n'aurait-elle pas pu faire oublier ? Comme tout est fait pour prendre fin dans ce monde, la douleur doit aussi avoir son terme ; et c'est un crime que de la prolonger au-delà ; le Ciel s'apaise par nos souffrances et nos douleurs, mais il s'offense, il s'irrite de notre désespoir.

" Je vous prie, mon cher oncle, de témoigner à M. votre fils toute la part que je prends à la perte qu'il vient de faire ; je lui écrirais aujourd'hui si je savais où il est, mais je l'ignore entièrement. Je vous prie encore d'offrir, mes compliments à Madame de Marsan et à Madame de Laborde, la religieuse. Continuez-moi, je vous en supplie, votre amitié et soyez persuadé qu'on ne peut rien ajouter à l'attachement sincère et au respect avec lesquels je suis,

" Monsieur et cher oncle,

" Votre très humble et très obéissant serviteur,

" D'Arcet. "

" Paris, le 3 Juin 1766. "

La science ne l'éloignait pas de Dieu et la philosophie du dix-huitième siècle n'avait pas altéré la foi de son enfance. Il resta, pendant toute sa vie, catholique convaincu et pratiquant.

Sa fidélité à toutes les grandes causes, à son Dieu et à son Roi, le désigna, en 1793, aux coups de la Révolution. Mis sur les listes des suspects, il dut à son ami Fourcroy, l'illustre savant, de ne pas être arrêté. Moins heureux. quelque temps après, jeté en prison, condamné à mort, il eut la chance de pouvoir s'évader le jour même où il allait monter sur l'échafaud. Revenu au Prouilh, il trouva au foyer de la maison paternelle un asile qui le mit à l'abri de l'orage.

Il y poursuivit en paix ses expériences. C'est là qu'il découvrit...

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... l'alliage qui porte son nom et qui est devenu la base du stéréotypage.

Nommé sénateur après le 18 Brumaire, d'Arcet ne jouit pas longtemps de la haute situation que lui avait créée son mérite. Il mourut le 13 Février 1801, laissant à son fils des traditions que celui-ci recueillit fidèlement.

Jean-Pierre d'Arcet (1777-1844) marcha, en effet, sur les traces de son père. Commissaire général des monnaies, membre de l'Académie des sciences, il créa les premières fabriques de soude, d'alun et de potasse qui aient existé en France.

En 1802, Cuvier prononça à l'Institut un discours sur Jean d'Arcet auquel il appliqua le mot de Bossuet : " Leurs faits seuls, leurs œuvres seules peuvent louer dignement les hommes extraordinaires. " En 1801, Charles Dufour, professeur d'histoire naturelle à l'Ecole centrale de Saint-Sever et père du Docteur Léon Dufour, le savant entomologiste, avait déjà prononcé devant ses élèves l'éloge de cet éminent compatriote.

Depuis 1851, une rue de Paris porte son nom. Le 13 Février 1901, à l'occasion du centième anniversaire de sa mort, le Collège de France a tenu à rendre hommage à sa mémoire.

Jean d'Arcet laissa aussi deux filles, Madame Lebreton et Madame Grouvelle. Le mari de celle-ci fut un littérateur en vue.

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