L'ÉGLISE DE BROCAS

 par

L'Abbé Raphaël Lamaignère

Curé de Saint-Aubin

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1943

 [Sommaire Doazit]
 [Raphaël Lamaignère]
 

Recopié d'après le manuscrit de l'auteur, par Philippe Dubedout.


 

L'Église de Brocas

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État descriptif, en 1943

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Des écrivains de renom ont déjà publié sur Brocas des aperçus intéressants, tant au point de vue de l'histoire que de l'archéologie. Tel, en 1930, M. le Chanoine Daugé qui, devant les membres de la Société de Borda, se faisait le défenseur du clocher, inscrit alors au chapitre de la grande pitié des églises de France. Tel encore, ce M. Laurent, professeur agrégé d'Histoire au Lycée de Montauban qui, parcourant nos régions pour le compte du Touring-Club, signalait aux lecteurs de la revue (avril 1935) avec photographie à l'appui, le côté "attachant" de l'antique édifice.

Nous n'avons donc pas la prétention d'ajouter quoi que ce soit à leurs savantes recherches. Notre but, en écrivant ces lignes, est uniquement de remettre dans le cadre qui lui est propre, et selon des données personnelles rigoureusement établies, la vieille et respectable église de Brocas.

Cette église, dédiée à Saint Pierre, et dont le nom figure depuis près de dix ans au catalogue des Monuments historiques des Beaux-Arts, demeura longtemps le centre de la vie religieuse de Montaut. C'est à son ombre que vivaient les curés et les vicaires, que se tenaient les séances annuelles des fabriciens, que les scolains apprenaient aux enfants, à lire, à écrire et à chanter. C'est aux pieds de son clocher, que vinrent dormir leur dernier sommeil toutes les dynasties de l'endroit, artisans et terriens, heureux de se sentir encore bercés jusque dans leur tombe, par la prière des vivants.

A l'instar des centres importants du pays, Brocas possédait plusieurs riches prébendes, et son régent, pour l'école populaire qu'il dirigeait, percevait encore en 1780, 250 livres de rente. Sous la Révolution, la dîme de la Fabrique s'élevait à 2.500 livres (Daugé), et les revenus de la cure étaient les suivants: 50 barriques de vin, 6 kas (60 sacs) de froment, 85 sacs de maïs, 20 de seigle, 6 de panis, 100 faix de lin, 40 nauliers de paille, et 3.083 livres (abbé Légé. Les diocèses d'Aire et de Dax sous la Révolution).

La dîme de la Fabrique pourrait, de prime abord, paraître énorme pour l'époque, si on ne savait que les églises avaient alors à leur charge toutes les dépenses du culte, l'entretien du clergé paroissial et de toutes les oeuvres existantes. Mais, elles pourvoyaient à leurs besoins, en percevant des droits fixes sur les bancs et sur les concessions que les marguilliers accordaient aux familles pour inhumer leurs morts dans les nefs du lieu saint.

Un jour vint, cependant, où la localité dut céder le pas à Montaut dont le prestige grandissait avec le nombre de ses feux. Et c'est ainsi que Brocas, comme tant d'autres églises paroissiales, se vit découronné de son titre canonique, pour devenir l'humble vassal de la bastide voisine. - St-Girons, Aulès, Nerbis, jadis si prépondérants dans notre coin de Chalosse, allaient eux aussi, de la même manière, se voir englobés par Hagetmau, Doazit et Mugron, demeurés jusque là leur annexe. Tant il est vrai de dire qu'il n'y a rien de stable ici-bas. Et cela explique peut-être pourquoi subsistent encore tant de rivalités, tant de ferments de discordes, entre des populations qui n'ont que très difficilement supporté d'être mises en tutelle. Car, il est des susceptibilités et des plaies d'amour-propre froissé, que, même le temps est parfois impuissant à guérir.

Mais, Brocas nous parait avoir été plus tenace que d'autres, pour sonner le rappel de son antique grandeur. Témoin, ce vieux grimoire familial découvert à "Lamarque", collationné aujourd'hui dans les archives paroissiales, où il est fait état de luttes ardentes entre les notables de l'endroit et l'autorité religieuse, pour le retour aux choses du passé. - Qui de nous, d'autre part, n'a entendu parler du vieux M. Lanevère qui, à une originalité près, s'avisa, un jour, de faire bâtir un presbytère à Brocas, et demanda ensuite à Mgr Delannoy, sans l'obtenir d'ailleurs, le vicaire de Montaut, comme curé résidant ? Certes, l'idée partait d'un bon naturel, mais le brave homme n'avait sûrement pas songé qu'il pouvait ainsi créer une fausse situation, au détriment certain de l'unité paroissiale.

Et c'est ainsi que, malheureux dans ses démarches, toujours inexaucé dans ses voeux, Brocas continue à vivre et à marcher dans le sillage de Montaut. Sa desserte, d'ailleurs, a toujours trouvé les curés, prêts à lui réserver le meilleur de leur temps et même de leur peine; si bien que depuis 1908, date où la paroisse perdit à jamais ses vicaires, l'annexe n'a pas eu à souffrir dans sa vie religieuse. Car, la cloche s'y fait joyeusement entendre quand revient, par quinzaine, la messe du dimanche; et les honneurs funèbres continuent à être dévolus aux défunts du quartier, qui s'en vont ensuite reposer sous le tertre familial, dans le vieux cimetière.

 

L'Édifice

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La nef principale remonte au douzième siècle. A cette époque, la Chalosse vit surgir de terre toute une floraison de monuments aux riches et puissantes arcatures, aux voûtes en berceau, aux murs percés d'ouvertures étroites et presque mystérieuses. - Nerbis, St-Sever, Audignon, Aulès, St-Girons, Caupenne, Larbey, St-Aubin, pour n'en pas citer d'autres, rappellent encore dans la région la majestueuse grandeur de ce style roman, inspiré des basiliques latines. L'art chrétien sut faire alors de véritables merveilles, jamais égalées, et à qui les siècles eux-mêmes ont rendu hommage, - là du moins où elles sont demeurées debout. Car, en 1569, les guerres de Religion dévastèrent nos contrées, et les huguenots s'attaquèrent aux églises où de nombreuses richesses furent anéanties. Brocas subit alors le sort commun, et les ruines s'amoncelèrent à l'orée du sanctuaire. Mais, la piété des fidèles, vengeant la furie des hordes protestantes, s'empressa de relever les décombres; et l'on vit bientôt se dresser un nouvel édifice, complété par un large et spacieux bas-côté en l'honneur de la Vierge.

Nous devons cependant regretter aujourd'hui que l'hémicycle ait été plâtré, à une époque qu'il paraît mal aisé de fixer; toujours est-il qu'on lui a fait perdre, de ce fait, tout le charme et toute la pureté de ses lignes. Seule, une restauration, intelligemment conçue par les Beaux-Arts, donnerait son véritable cachet de grandeur à la galerie des arcatures qui en pare les murs: il suffirait pour cela de remettre la pierre à nu, dans son état primitif. Espérons donc en des jours meilleurs !

Nous ne pouvons également nous empêcher de déplorer qu'il se soit trouvé, il y a quelques quarante ans, des ouvriers maladroits et insensibles au langage des pierres, pour passer au badigeon et aux ocres de couleur, les deux nefs de l'église, déjà si heureusement transformées après tant de vicissitudes historiques.

L'édifice n'en continu pas moins, par sa masse harmonieuse, à conserver son titre à notre admiration; et la Maison de Dieu règne toujours en maîtresse sur la tranquille bourgade étalée à ses pieds, seulement troublée par les cris épars et joyeux des enfants qui s'en vont à l'école, ou par la voix impérative du laboureur qui, dans les champs voisins, pousse ses boeufs derrière sa charrue.

Pareilles constructions réclamèrent, jadis, des sommes considérables. Mais, les architectes de l'époque n'étaient pas hommes à s'embarrasser de détails pour faire grand et beau autour d'eux. Pétris de foi comme ils l'étaient alors, ils ne négligeaient rien pour élever à Dieu des demeures, vraiment dignes de Lui. Ceux de Brocas avaient d'autant moins à agir avec parcimonie, que leurs matériaux étaient presque à pied d'oeuvre, et que la distance séparant l'église des carrières de l'endroit, leur permettait de multiplier les charrois, sans pour cela alourdir exagérément le chapitre des dépenses. Mais, ici, il est vraiment inexplicable qu'ils aient avec tant de profusion utilisé la pierre gélive du "Lubet" dont ils pouvaient pourtant savoir qu'elle ne résisterait, à la longue, ni aux intempéries de l'air, ni à la morsure des ans... Et cela nous prive de l'avantage que nous pourrions avoir aujourd'hui d'admirer dans toute leur ampleur, ces élégantes et inimitables créations de l'époque gothique, qui, en d'autres points plus heureux, proclament si haut la gloire et du nom et du génie français.

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Onze piliers de soutènement jalonnent tout l'ensemble, tant du côté des nefs que le long de l'abside.

Sur la façade sud, se voit encore un vieux cadran solaire, privé de son aiguille, mais à qui une main habile aurait tôt fait de redonner une âme. Et le passant pourrait alors utilement méditer sur le sens de la vie, et la rapidité des heures qui nous entraînent vers la tombe. "Chacüe qué-s-appresse; la darrère qué-s'unéch !" Chaque heure s'approche, et la dernière nous unit.

Tout autour du chevet, se dressent trois arcatures romanes, appuyées sur des colonnes monolithes, mais dont les chapiteaux découronnés par le temps, échappent à toute description. Rien, d'autre part, ne saurait signaler à notre attention, les ornements des plein-cintres, dont la simplicité, disons-le franchement, nous paraît même exagérée.

Au dessous, se détachent encore quelques restes de la bande noire, ou litre, que les seigneurs avaient le droit de faire peindre autour du sanctuaire, avec le blason de leur famille.

La grande originalité de cette partie de l'église, vient de la présence de trois soubassements massifs, s'étendant par étages, et qui masquent l'abside. Que signifient ces constructions ? Ici, croyons-nous, les archéologues auraient un terrain tout trouvé, pour donner libre cours à leurs intéressantes recherches.

Enfin, à hauteur de sanctuaire, apparait le tracé de deux anciennes ouvertures, successivement murées l'une dans l'autre: la plus grande, de forme ogivale bien caractérisée, et la seconde, plus basse, dessinant un arc roman. Ce qui semble bien indiquer que l'église eut primitivement deux entrées: la porte principale, sous le porche, et celle que nous signalons ici, débouchant sur le cimetière.

Le Porche.- Nous rencontrons à Brocas un abri aligné en bordure des nefs, sur une longueur de 13 mètres. Une magnifique allée de platanes, où s'accrochent au passage les vents venus du large, nous conduit à ce porche où, comme dans une chapelle funéraire, les perdants de la guerre 1914-18, ont déposé plaques et couronnes, au souvenir de leurs morts. L'endroit ne pouvait être mieux choisi, à proximité même des tombes de famille, et face au maître autel d'où semble planer sur les âmes des disparus, une invisible et continuelle protection.

Et nous voici devant le portail "Renaissance", devant l'arc triomphal, unique dans son genre dans nos Landes, et qui, malgré ses grandes meurtrissures, reste sans contredit le joyau de ces lieux.

M. Laurent, déjà nommé, affirme qu'il fut érigé en même temps que la nef latérale, au dix-septième siècle.

Ce monument, large de 6m.50 et d'une hauteur à peu près égale, s'apparente à ceux élevés alors par certaines villes, pour commémorer des événements d'importance historique. Celui de Brocas proclame, en tout cas, après déjà trois siècles d'existence, l'habileté du sculpteur qui en conçut le plan. - Au fronton, sous la grande corniche qui court d'un bout à l'autre, est gravé le blason paroissial sur lequel figurent en sautoir les deux clés de St Pierre. Dans le champ de l'écu, se détache un moellon en forme de besant, surmonté de la tiare; le tout encadré par deux rosaces épanouies.

Le Clocher-Porche.

Le grand portail s'ouvre dans le clocher-porche, par une seconde porte à deux vantaux, surmontée et encadrée par des rangées de denticules et de fines cannelures. De là, nous plongeons d'un coup d'oeil jusqu'au fond de l'abside, sur une profondeur calculée de 30 mètres; et nous constatons sans difficulté que le choeur n'est pas dans le prolongement de l'axe principal de l'église, mais qu'il s'infléchit au contraire, et assez fortement, sur la droite. Le symbolisme est patent: les bâtisseurs romans voulaient ainsi rappeler aux fidèles le geste du Christ expirant sur la croix, et laissant retomber sa tête sur l'épaule.

L'avant-nef dont les murs mesurent 1m.50 d'épaisseur, s'étend sur une surface de 25 mètres carrés. Elle conserve un reste de tribune, aujourd'hui désaffectée, dont on aperçoit encore les pierres d'encorbellement, et du haut de laquelle les hommes prenaient part aux offices. Ceux-ci pouvaient y suivre le prêtre dans ses évolutions à l'autel, par une très originale fenêtre colonnée, percée à même dans le mur de refend, et qu'obstruent actuellement quatre vieilles statues en bois, dont les Beaux-Arts n'ont, croyons-nous, que trop attendu pour retirer un utile profit.

Trois autres ouvertures et une meurtrière, celle-ci donnant directement à trou ouvert dans la seconde nef, projettent dans l'édicule un jour à peine perceptible. A droite se trouve la porte en arc en accolade, qui, par un escalier tournant, en pierre, de 104 marches, permet de monter au clocher.

La grande Nef. - Cette nef dans laquelle on débouche par une porte ogivale large de 3 mètres, a ceci de particulier qu'elle est sur le même plan que le sanctuaire lui-même. Rarement, pareille constatation est relevée dans nos églises, habitués que nous sommes à voir le choeur surplomber le reste du vaisseau.

La voûte, régulière dans ses travées, revêt un certain intérêt du fait de ses rosaces, et du contour des pierres qui mettent admirablement en relief la saillie des nervures. Mais, ici, il faut encore regretter que l'écu central portant les clés de l'Apôtre, ait été mutilé dans l'un au moins des quatre lobes de sa croix. Que dire aussi des arêtes coupant les arcs-doubleaus, et sur lesquelles l'humidité a marqué son empreinte destructrice ? Car, à l'église de Brocas, peut s'appliquer le mot du poète Lucain : Etiam periere ruinæ ! Les ruines mêmes ont péri !... Et la nudité de la nef ajoute encore à la détresse des choses. - Peuplant heureusement cette solitude poignante, les statues polychromées du Sacré-Coeur et de St Joseph, servent de cadre au sanctuaire, et semblent inviter à la prière, le fidèle ou le passant qui franchissent ces lieux.

La chaire, de facture élégante, et précieuse dans sa robe de pierre, n'a pas, hélas, échappé au cruel et implacable pinceau du maçon, qui en a défloré les différents panneaux, jusques et y compris celui de l'abat-voix.

Le Sanctuaire.

Ici, nous sommes en face de la partie historiquement la plus ancienne et la plus remarquable de l'église. Il convient donc que nous l'examinions de plus près, pour en faire ressortir les beautés essentielles.

Le choeur, dont la voûte est en rotonde comme dans toutes les constructions de l'époque romane, comprend une série de douze arcades, dont deux plus basses et moins larges que les autres, à gauche et à droite de l'autel. - Chacune de ces arcades repose sur un stylobate circulaire, à 0.50 du sol, sur lequel s'appuient des colonnes géminées, discrètement sculptées dans le tailloir des chapiteaux, et surmontées de plein-cintres parsemés d'ornements en forme de besants. Leur décoration, simple, mais de très bon goût, s'harmonise très bien avec l'ambiance du sanctuaire et avec le demi-jour qui, à travers les grisailles et le vitrail central de St Pierre, commande le recueillement et la piété.

L'autel, de facture moderne, n'y perdrait assurément rien dans sa fine et riche silhouette, s'il pouvait se détacher sur des murs rajeunis, dégagés des revêtements de mortier et de plâtre qui les couvrent encore, et il brillerait de tout l'éclat de son marbre et de ses gracieux filigranes, aux yeux ravis de tous.

Le Tabernacle, à Brocas, reste vide de la Sainte Réserve. Pas de lampe, pas de vie, dans l'antique chevet.

La Nef latérale.

D'après M. Laurent, cette partie de l'église, est d'une belle et très tardive "Renaissance". Sa date de construction remonte aux premières années du dix-septième siècle, comme il conste par le cartouche scellé dans l'un des piliers intérieurs, et sur lequel nous lisons cette date: 1619. C'est donc exactement cinquante ans après la ruée des protestants démolisseurs, que cette chapelle due à la générosité des habitants de l'endroit, vit le jour à Brocas. Magnifique témoignage de piété en l'honneur de la Vierge, à qui cette nef devait être dédiée.

Celle-ci englobe toute la partie inférieure de la tourelle qui conduit à la chambre des cloches; et, de l'extérieur, il est facile de constater qu'elle ne fait pas corps avec la nef principale, mais qu'elle lui est simplement accolée. Les charpentes massives qui soutiennent le toit, débordent les murs supérieurs de leur rangée de béquilles, comme cela se voit dans la plupart de nos églises chalossaises bâties au lendemain de l'invasion protestante.

L'intérieur s'avère d'une architecture plus riche et mieux soignée que la nef principale. C'est ainsi que sur les frises d'ornements des piliers, courent de gracieuses bandes en olives d'où émergent des têtes d'anges à figure très expressive. Mais ici encore, le badigeon n'a rien respecté, et les détails des sculptures manquent de précision, noyés qu'ils sont sous les couches de chaux dont on les a inintelligemment revêtus.

Quatre travées de voûte, aux montants bien arqués, aux nervures puissantes et parsemées de rosaces de formes différentes, surplombent l'oratoire. Malheureusement, les pierres s'y sont désagrégées; ce qui porte atteinte à la beauté de l'oeuvre, et fait se perdre peu à peu ce qui subsiste du patrimoine paroissial.

En revanche, nous trouvons dans l'église, des fonts baptismaux dont Brocas peut, à juste titre s'ennorgueillir. Ceux-ci, en effet, sont taillés à même dans un gros bloc de pierre à pans hexagonaux, et ne dépassent pas soixante centimètres de hauteur. On pourrait même les prendre pour un antique bénitier de l'église, s'ils n'étaient clôturés par une claire-voie montante, selon les prescriptions de notre liturgie.

Et ces fonts nous rappellent les générations qui ont défilé devant eux, marquées du sceau chrétien, magnifiques ensuite d'honneur et de foi, comme on l'était dans les âges passés.*1

L'autel porte bien tout le clinquant de l'époque "Renaissance", avec ses colonnes torses, ses colonnettes, ses panneaux, ses statuettes, disséminés sur le large et majestueux rétable appuyé sur les murs.

Nous y trouvons deux toiles, où le peintre a représenté les trois personnes de la Sainte Trinité, dominant la scène du crucifiement et dont les couleurs patinées par le temps, auraient réellement besoin d'être quelque peu rafraîchies.

Si la masse imposante de l'autel garde son cachet propre d'antiquité et de valeur artistique, nous comprenons moins bien qu'on se soit permis de l'encadrer d'une voûte où, en dépit du bon sens, les couleurs d'ocre bleue viennent si brutalement déparer la hardiesse des lignes.

Par contre, les trois ouvertures à parois jumelées et à médaillons trilobés qui éclairent la chapelle, sont de style flamboyant; elles donnent place à des vitraux et des grisailles dont le coloris et les arabesques variées dénotent la science certaine du verrier qui les a eus en mains. Signalons en passant, l'intérieur de la petite maison de Nazareth, où la sainte Famille au travail attire les regards, tant est riche l'idée qui a présidé à la conception du tableau.

Le Clocher.

La tour de Brocas, toute en pierre d'appareil de magnifique structure, mesure actuellement 33 mètres de haut, sur 8m.50 au carré.

Avant la tornade qui, en 1899, découronna le clocher de sa flèche, l'ensemble comptait 47 mètres; ce qui faisait le juste orgueil, non seulement de la localité, mais encore des pays circonvoisins. En cette journée dévastatrice de février qui mit à mal toute la Chalosse, Brocas, plus éprouvé que les autres, vit son clocher s'effondrer sur les toitures de l'église; et c'est vraiment miracle que les voûtes aient échappé alors à leur ruine totale.

Il nous souvient à nous-même d'avoir vu ce spectacle, d'un tragique poignant, impossible à décrire.

Tôt après, fut construit sur les murs respectés par le cyclone, un dôme recouvert de tuilettes de bois, terminé par une espèce de chapeau chinois, d'aspect assez baroque. Mais ce campanule de fortune ne devait, dans la suite, opposer qu'un bien faible rempart aux vents venus de l'océan et aux intempéries de la froide saison. Si bien que, d'année en année, on vit se disloquer les faîtages; et il ne resta plus bientôt qu'un amas squelettique de poutres et de poutrelles, fléchissant sur leurs bases. Que de fois, à cette vue, ont saigné les coeurs des moins sensibles à la misère des choses !

Il fallut attendre 1937 pour couronner à nouveau le géant mutilé. Grâce au bon vouloir et aux démarches réitérées des pouvoirs publics de Montaut, grâce surtout aux subsides alloués par l'État, il fut enfin possible d'adopter un plan grandiose, et de redonner à Brocas, un clocher digne de son nom et de sa noble histoire. Mais, de flèche, point... Nos architectes, aujourd'hui, ont adopté un genre tout spécial, d'une originalité parfois hardie, et dont l'esthétique ne trouve pas que des admirateurs. Il est vrai que ces messieurs, seuls maîtres en la matière, peuvent nous répondre avec une pleine sérénité d'âme, et sur un ton qui ne supporte pas de réplique : "De goûts et de couleurs, on ne discute pas !"

Quoi qu'il en soit de sa restauration, Brocas a son clocher; et l'injure des ans a été réparée.

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Deux cloches sont logées au beffroi, et portent ces inscriptions: "A fulgure et tempestate, libera nos, Domine. Marie Immaculée, jubilé 1904. Parrain: J. Bte Lanevère; marraine: dame Marie du Sault. - Curé: H. Lafitte - Maire: M. Blanc. - G. Delestan, fondeur à Dax. 1905"

- "Joanna-Helena, pro patria gratias ago precesque fundo. - C Sansoube, maire. - H. Lafitte, curé. - Jean Lafitte Labaoucoume, parrain - Hélène Fescaux-Labat, marraine. - M. Fourcade, ingénieur ICAM, fondeur à Tarbes. - 1937.

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Nous souhaitons que ces pages à qui n'est réservée aucune réclame tapageuse, trouvent néanmoins crédit auprès de ceux qui, éventuellement, pourront être amenés à les lire.

En tirant de l'oubli tant de fragments épars de l'histoire du passé et, plus spécialement de celle de nos églises, nous avons essayé de redonner un peu de lustre à notre voisine de Brocas, et de lui refaire son véritable visage. On nous pardonnera d'avoir à notre façon, rendu hommage à ces vieilles et respectables pierres, tout imprégnées encore de vertus et de gloire.

Victor Hugo a dit, un jour, qu'en ressuscitant l'histoire de nos villages, on faisait l'histoire de France par petits morceaux.

Puisse ce tout modeste travail mériter d'avoir dignement parlé de Brocas, petit, mais toujours vivant et harmonieux morceau de notre terre landaise et de la grande France !

 

 

Janvier 1943
R. Lamaignère, curé de St-Aubin.

 

 

1- L'abbé Jean Lacoste, originaire de Brocas, et curé des Ostaux-Royaux de Larbey, de 1772 à 1792, mérite ici une mention spéciale. Après avoir d'abord prêté serment à la Constitution civile du clergé, il se rétracta dans la suite, et encourut la disgrâce de l'évêque jureur Saurine, qui le dénonça au tribunal de St-Sever, comme un perturbateur public. (Légé) Dans "Nos Cahiers", d'avril 1904, et dans une relation intitulée: "Les pontons et les prêtres landais", M. l'abbé Farbos, alors élève au Grand Séminaire d'Aire, s'appuyant sur l'ouvrage de l'abbé Légé, nous apprend que l'abbé Lacoste fut appréhendé par les sans-culottes du district, dirigé sur Bordeaux, et jeté ensuite dans les cachots du Fort du Hâ. - M. le Chanoine Daugé, lui, nous dit qu'il passa en Espagne, habillé en berger, en poussant devant lui un troupeau de moutons. - La tourmente passée, le curé de Larbey revint parmi ses ouailles qu'avait, un instant gouvernées un assermenté du nom de Croharé. Il mourut en 1814. Son corps repose sous le porche de l'église de Larbey.