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LES STÈLES DISCOÏDALES DE DOAZIT

  Ph.DUBEDOUT

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        Les pierres funéraires de forme discoïdale, appelées parfois, mais à tort, tombes "basques" (du fait de leur abondance dans cette région), se retrouvent en Chalosse*1 dans une région limitée par Nerbis, Montgaillard, Cazalis et Monget. Autour de Doazit, on en trouve à Maylis (quatre: deux ne sont plus visibles, employées dans la maçonnerie de la chapelle, une scellée devant l'autel de la chapelle, et une exposée au musée de Borda à Dax), Audignon (une, actuellement au musée des traditions et pratiques populaires religieuses de Lectoure), Dumes (une, disparue), Horsarrieu (il n'en reste que deux exposées devant l'église ; une troisième a été brisée dans les années 1970, mais vers 1893, il y en aurait eu une cinquantaine*2 ).

        Ces pierres sont un héritage d'une ancienne pratique en usage en Europe bien avant la christianisation. Ces stèles monolithes étaient fichées en terre, verticalement à la tête du mort*3, que l'on enterre traditionnellement face au soleil levant : les pieds vers l'est. Elles sont d'aspect anthropomorphe, c'est à dire qu'elles rappellent une forme humaine, le disque figurant la tête et le socle le corps (En particulier une des stèles exposées devant l'église d'Horsarrieu).

        Bien que de tradition très ancienne, il semble que la grande majorité des stèles discoïdales connues au Pays Basque soient des XVIe et XVIIe siècles. Mais à cette époque, le symbolisme avait déjà beaucoup perdu de l'importance qu'il avait dans les siècles précédents. La forme et les motifs n'existent plus que par tradition.

        Certaines stèles portent des outils supposés représenter la profession du défunt, ce qui fait appeler parfois ces pierres "tombes de métiers". Mais le pourcentage de pierres entrant dans cette catégorie est assez mince. Elles sont relativement plus nombreuses en Chalosse, mais c'est probablement qu'elles ont été mieux conservées à cause de leurs motifs particuliers, alors que les autres, jugées moins intéressantes, ont été négligées et ont disparu.

 

Les pierres de Doazit

A Aulès :

        M. Joseph Ferré, ancien instituteur de Doazit, en avait repéré une vers 1940, "au-dehors du cimetière d'Aulès, dans le mur qui borde un chemin, elle porte gravés les ustensiles essentiels du boucher"*4. Il ne fait aucun doute que cette pierre est celle décrite cinq ans plus tôt par Césaire Daugé*5 : "Lou marrassan, las balances dab un pés entermiey, lou boèu qui plègue lous joulhs de daban, enlardat qui éy per ue barre de hé plantade s'ou cap entermiey lous dus oelhs".

        En 1941, l'abbé Raphaël Lamaignère signala "quatre autres pierres à croix de Malte, disséminées dans la bâtisse du mur"*6. Elles se trouvaient là depuis 1857, "extérieurement fut alors construit le terre-plein qui permet de longer les murs du cimetière, et où les ouvriers employèrent pour matériaux un certain nombre de pierres discoïdales, ayant appartenu aux vieilles sépultures voisines"*7.

        Quelques unes de ces pierres, vers 1910 "apparaissaient, de façon très évidente, sur la façade extérieure du mur ouest du cimetière d'Aulès; depuis, un crépi les a masquées. Il en existe encore de visibles. L'une a été placée au-dessus du linteau de la porte d'entrée de leur maison, le Picuré, par les Capdeviolle, (...). Quelques autres, par eux signalées, gisent sur le sol, à l'ouest du cimetière, en bordure nord du chemin, détaché du coude de la route menant à la place de l'église, pour longer le mur sud du cimetière."*8

Au Mus :

        "Adossée contre un mur et mutilée dans sa partie supérieure, est déposée une vieille pierre tombale, où se voient encore taillés en relief, attributs probables d'un charpentier ou menuisier de l'endroit, une hache et deux coins"*9. Mais celle-ci avait disparu avant 1970*10.

        Quoique erronée quant à l'identification des motifs, cette description correspond certainement au dessin d'une stèle du Mus, probablement dû à Césaire Daugé, et reproduit sur plaque de verre conservée dans les archives de la Société de Borda :

 

 

 

        Que sont devenues ces pierres qui peuplaient autrefois nos cimetières?

        "A petits tchics que las tirèn coum un puchiu e que se-n serbin ta plan enta basti, coum enta-n ha hites de bira lous bros d'escarna murs ou camins en cauque birade"*11. Nous reprenons cette phrase de Césaire Daugé, car elle a dû lui être inspirée par l'utilisation qui est faite à Aulès de la pierre no10, ce type de réemploi étant somme toute assez peu fréquent.

        Certaines ont dû être récupérées par des amateurs indélicats de vieilles pierres.

 

Parmi celles qui nous restent:

        - Les no 1 à 3 servent de support au bénitier qui se trouve dans le porche de l'église d'Aulès.

        - Les no 4 à 9 sont exposées dans ce même porche.

        - La no 10 se trouve contre le muret du terre-plein bordant la route, dans le virage, au nord-ouest de l'église, utilisée comme chasse-roue.

        - La no 11 se trouve dans le mur de la grange de Picuré. On peut se demander si cette pierre provient de Doazit. En effet, elle tranche nettement sur les autres, par ses dimensions plus importantes, le relief des sculptures plus accusé, la pierre de meilleure qualité et très bien conservée, et par la régularité parfaite dans les traits et les dimensions des motifs.

        - Les no 12 et 13 sont conservées par M. Jeannot Labat de Laborde-Mariotte, qui les a trouvées dans les murs de la maison du Bénédit, proche de l'église d'Aulès, lors de la démolition de cette maison.

        - La no 14 a été découverte en février 2000, par Céline Bourdès, à l'occasion de la restauration de la maison dite "maison d'Aulès", à proximité immédiate de l'église d'Aulès. Posée à plat, la face représentant une paire de ciseaux vers le haut, elle servait d'embase à une colombe d'une cloison intérieure.

        - La n° 15 a également été trouvée en mars 2001 par Céline Bourdès.

        - La stèle n° 16, était placée, une face apparente, dans le mur d'une grange de la maison Loustau. Elle a été récupérée en 1994, lors de la démolition de cette grange. Elle est conservée à la maison Gachard.

        - La stèle n° 17, a été dégagée du petit muret à l'ouest de cimetière, par M. Bernard Bats, en août 2010. Elle a été déposée à l'intérieur de l'église.

 

        Ces stèles ont perdu tout ou grande partie de leur socle.

 

 

Description des stèles:

 

 

1- Ø: 38 cm - épaisseur: 13 cm. 
* Croix à branches évasées, à extrémités concaves. 
* Autre face vierge.

 

 

 
 

2- Ø: 48 cm - ép.: 13 cm. 
* Cette pierre peut être attribuée à la sépulture d'un boucher. Y sont représentés: un poids, une balance, un tranchoir et un bovidé que l'on mène à l'abattoir. "Ce type de monuments indiquant à coup sûr*12 la profession du défunt, est pour nous en général relativement récent". 
* Sur l'autre face, une croix fleurdelisée.

  

 st2_dessin de C.DaugéDessin de C. Daugé (archives Société de Borda).

 
 

3- Ø: 40 cm - ép.: 12,5 cm. 
* Croix à branches curvilignes. 
* Autre face identique.

 

 

 
 

4- Fragment de pierre, d'épaisseur 11 cm, avec motif curviligne.

 

 

 
 

5- Ø: 33 cm - ép.: 11 cm - col: 15 cm. Un trou conique traverse la stèle de part en part. 
* Sur une face: une croix grecque à branches évasées, et un motif incomplet non identifié. 
* Sur l'autre face: une croix à branches curvilignes dont le relief est pratiquement inexistant.

  

 

 
 

6- Ø: 54 cm - ép.: 12 cm. 
* Une face porte en relief, en lettres gothiques, le trigramme du Christ: IHS*13. La barre verticale du "h" se termine en forme de croix latine, surmontée de motifs végétaux. Une volute est prise sur la partie supérieure du "h", tandis que vers le bas, il se prolonge par une grappe de raisin. 
Toujours en gothique, on trouve les lettres MXD, le "X" étant pris dans la dernière barre du "M". Ce pourrait être une façon non conventionnelle de représenter le chiffre 1490 ; peut-être la date : l'an 1490.
(Un motif incomplet au-dessus du "M", et que nous avions pris pour un "L" est représenté par l'abbé Daugé comme une croix d'autel ; le motif était alors, probablement moins délité).
* L'autre face, chanfreinée, porte une croix grecque avec motifs aux extrémités.

  

 st6 dessin de C.DaugéDessin de C. Daugé (archives Société de Borda).

 
 

 

7- Ø: 44 cm - ép.: 12,5 cm. 
* Sur une face: croix potencée, gravée en ruban large. 
* Sur l'autre face: une croix latine gravée. 

 

 

 
 

 

8- Ø: 39 cm - ép.: 15,5 cm. 
* Croix à branches curvilignes, avec un besant central, quatre cercles en creux sur chaque branche et un cercle en creux dans le besant.
* Croix à branches évasées à extrémités rectilignes, avec un besant central. 

 

 
 

9- Ø: 33,5 cm - ép.: 23 cm. 
* Croix grecque, aux branches liées à la bordure. 
* Autre face identique, mais légèrement inclinée. 

 

 
 

10- Ø: (33) cm - ép.: 16,5 cm - col: 16 cm.
* Une croix tréflée, en relief, évidée.
* Une fleur de lys, accolée au bras d'un personnage en robe.

 

 
 

11- Ø: 59 cm - ép.:23 cm. 
* Une croix grecque, fleurie, avec des outils dans chaque canton: deux serpettes de formes différentes; un soc d'araire; un fer de hache; et d'après Jean Dessis*14, une enclume (?). 
Ce ne serait pas ici les outils utilisées par une profession, mais ceux réalisés par un taillandier. 
* Sur l'autre face: une croix pattée.

  

 

 

 

12- Ø : (29) cm - ép. : 7 cm - col : 15,5 cm.
* Deux serpes de types assez particuliers.
* Une croix latine fleurdelisée.

 

 
 

13- Ø : (47) cm - ép. : 15 cm. 
* Une croix à branches évasées, à extrémités concaves, avec un besant sur chaque branche. 
* Autre face vierge.

 

 

14- Ø : 38 cm - ép. : 16 cm. 
* Une paire de ciseaux de tailleur d'habit. 
* Une croix à branches évasées curvilignes, à extrémités concaves.

 

 

15- Ø : (50) cm - ép. : 11,5 cm. - col : (28) cm. Très mutilée, on y distingue : 
* Une croix à branches évasées curvilignes, à extrémités concaves. 
* Arcature formée de deux arcs trilobés.

 

 

16- Ø : 28 cm - ép. : 11 cm. - col : (12,5) cm.  
* Face chanfreinée, portant une croix grecque hampée, à branches évasées curvilignes, à extrémités concaves. 
* Une croix grecque légèrement asymétrique, à branches évasées curvilignes, extrémités concaves.

 

 

17- Ø : (36) cm - ép. : 11 cm.  
* Croix grecque à branches évasées curvilignes, extrémités convexes. 
* Un motif incomplet, non identifié, avec, inscrite dans un cercle, la même croix que sur la face opposée.

 

        Plusieurs hypothèses ont été émises concernant les tombes discoïdales pour en attribuer l'apanage à une corporation ou une catégorie sociale:

        Nous avons déjà vu que, contrairement à des idées très répandues, elles n'étaient pas réservées aux Basques, ni aux artisans.

        M. Michel Ferron*15, attribue ces pierres aux Gézitains. Ceci a été repris par David Chabas*16: "Il sied de s'attarder à Aulès, au cimetière des Cagots rappelant les tombes discoïdales".(Nous aurions du mal à nous y attarder vu qu'il fut nivelé vraisemblablement en 1857). De même, le Dr. Peyresblanques*17 nous dit en parlant des Cagots d'Aulès: "Vous verrez autour de l'église, là, leurs tombes toutes rondes".

        S'il était besoin d'un démenti à cette affirmation, nous le trouverions à Doazit même, puisque la pierre no 2 représente les attributs d'un boucher et que cette profession était interdite aux Cagots.

 

        Pierre Toulgouat*18, cite une note manuscrite de l'abbé Césaire Daugé: " "Sur la pierre tombale discoïdale et monolithe du Voisin, "on gravait une arbalète parmi les signes de sa profession". Où a-t-il trouvé que la tombe discoïdale était réservée aux Voisins? Nous l'ignorons et c'est grand dommage car j'aurais été assez partisan de cette thèse qui permettrait enfin d'éclairer le mystère des tombes discoïdales."

 

        Dans le Languedoc, certains les ont attribuées aux Cathares!

 

        Aucune de ces hypothèses n'est à retenir. Il semble qu'il s'agisse simplement d'une mode qui a continué à évoluer jusqu'à nous, avec les croix de bois, de fer forgé, de fonte, puis de béton, sur de simples tumuli; puis des stèles plates, horizontales ou verticales rehaussées d'une croix, pour en venir aux caveaux aériens, puis enterrés, surmontés de frontons en marbre ou autres matériaux qui n'ont malheureusement plus la moindre spécificité régionale.

 

 

Bibliographie :

— Louis Colas, "Stèles discoïdales dans les Landes", in La tombe basque, Société des Sciences, Lettres, Arts et Études Régionales de Bayonne, Biarritz, 1923, 406 p. ; pp.335 à 338 (Horsarrieu, Cazalis, Dumes).

— Césaire Daugé, "Las bielhes peyres de cementèri", in Reclams de Biarn et Gascougne, Escole Gastou Febus, mai 1934, p.313 à 316.

— José-Miguel de Barandiarán, Stèles et rites funéraires au Pays Basque, Ekaina, Bayonne, 1984, 136 p., traduit de l'espagnol par Bernard Duhourcau, d'après Estelas funerarias del país Vasco (Zona norte), Ed. Txertoa, 1970, San Sebastian.

— Léo Barbé, "Les stèles discoïdales landaises", in Hil Hariak, Actes du colloque international sur la stèle discoïdale, 8, 9, 10 juillet 1982, Musée basque, Bayonne, 1984, 392 p. ; pp. 273 à 282.

Société de Borda, compte-rendu de "Sortie-séance du 22 juin 2013 à Doazit", in bulletin de la Société de Borda, n°511, 3ème trimestre 2013, pp. 379 à 381.

— Jean-Pierre Laulom, "Essai d'explication du symbolisme des stèles discoïdales", in bulletin de la Société de Borda, n°513, 1er trimestre 2014, pp. 5 à 18.

— Bernard Bats et Christian Lacrouts, "Inventaire systématique des stèles discoïdales landaises dans les anciens évêchés d'Aire-Dax et Lescar", in bulletin de la Société de Borda, n°513, 1er trimestre 2014, pp. 19 à 34.

— Richard Bavoillot, Maïté Labeyriotte, Robert Aussibal, Saint Martin de Pardies & les tombes médiévales à stèles discoïdales, éd. Orthenses, Sorde l'Abbaye, 2012, 82 p.

— Serge Delestaing, "Les Stèles discoïdales du Lauragais", sur le site Internet Baraigne village cathare du Lauragais.

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1- Léo Barbé, les stèles discoïdales landaises, Hil Harriak, 1982, Musée basque de Bayonne. p. 273 à 281.

2- D'après un témoignage recueilli par l'abbé [Césaire] Daugé, rapporté par Louis Colas, La tombe basque, Biarritz, 1923 ; Horsarrieu p.336 ; en ligne, vue 342/412.

3- D'après Renée Mussot-Goulard (Histoire de la Gascogne; Que sais-je, 1996, p.96), les stèles discoïdales étaient "placées non aux têtes mais aux pieds des sépultures".

4- Joseph Ferré, recherches historiques sur Doazit, 1940.

5- Césaire Daugé, Las bielhes peyres de cementèri. Réclams, mai 1934, p.313 à 316.

6- Raphaël Lamaignère, Doazit aux trois églises; 1941. Il y a peu de chances que les pierres dont il est question ici, portent des croix de Malte, car ce type de croix est extrêmement rare sur les discoïdales.

7- Raphaël Lamaignère, Doazit aux trois églises; Le mot "voisines" doit être pris au sens de "proches", l'auteur ne faisant par ailleurs dans son ouvrage aucune allusion aux Voisins.

8- Michel Ferron, Le cimetière gézitain de Doazit, Bull. Société de Borda, 1963.

9- R. Lamaignère, Doazit aux trois églises.

10- Jean Dessis, Doazit aux trois clochers, 1970.

11- Césaire Daugé, Réclams, mai 1934, p.313 à 316.

12- note de Léo Barbé (Hil Harriak): Ce n'est pas toujours le cas; on peut faire et on a fait déjà pas mal d'interprétations erronées dans cet esprit, du fait de conclusions trop simplistes ne tenant compte que d'un point de vue matérialiste et négligeant les conceptions symboliques et spiritualistes qui sont la forme de penser et de s'exprimer les plus courants pour l'homme médiéval.

13- Les lettres IHS sont la contraction de IHCOYC qui signifie Jésus, et non pas l'abréviation de Jésus Hominum Salvator.

14- Jean Dessis, Doazit aux trois clochers, 1970.

15- Michel Ferron, Le cimetière gézitain de Doazit, Bull. Société de Borda, 1963.

16- David Chabas, Villes et villages des Landes, tome II (Doazit), 1970.

17- Dr. Jean Peyresblanques, Nouveaux contes et légendes des Landes, (Aulès), 1986, p.120, 121.

18- Pierre Toulgouat, Voisinage et solidarité dans l'Europe du Moyen-âge, 1981, p.90.