Aux sources de la Gouaougue

Philippe Dubedout

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            La Gouaougue est un ruisseau qui prend sa source dans le sud-est de la commune de Doazit, et qui va se jeter dans le Louts après un parcours de près de 15 km. Il traverse Doazit en presque totalité, sépare Montaut de Maylis puis coupe cette dernière commune avant de lui servir à nouveau de limite avec St-Aubin. Il traverse ensuite Saint-Aubin jusqu’au quartier de Poyaler, puis sépare St-Aubin de Larbey jusqu’à rejoindre le Louts.

            La mention la plus ancienne que nous ayons trouvée, remonte à 1338, dans un acte[1] en gascon où sont cités « la recq[2] de Gouaube », « une pesse de terre et lane aperade Boscq de Gouaube », et le « Bosq de Goaube ». Quelques siècles plus tard nous trouvons les formes suivantes :

1609[3]

XVIIème siècle[4]

XVIIIe siècle[5]

première moitié du XIXe siècle[6].

la Gouaube

Lagouage

Gouaugue (5 fois)

la Gouaugue

Lagougue

Lagouauge

la Goaugue

la Guaougue

la Guaugue

Laguaube

Lagouaugue

la Goaugue

la Gouaugue

la Gouabe

Laguave

Gouaugue

Lagouaugue

la Gouaugue

La Gonague

la Gonaugue

Gouague

 

La Gouague

Lagouague

Lagouaugue

la Gouaugue

La Gonague

 

la Gonaugue

Gouague

La Gouague

Lagouague

 Nous n’avons trouvé la forme actuelle « Gouaougue », que depuis 1813 (matrice des propriétés foncières de Doazit, cadastre de 1810).

Et pour finir, quelques perles orthographiques : « Gouaoug (Le « Réveil des Landes » du 2 avril 1874) ; Guouaougue (Affiche des fêtes de Doazit 1910) ; L’Agouangue (Histoire de Mugron, Meyranx, 1911, p.38, 41) ; la Gouaouge (Carte IGN au 1/25000, éd. 1969) ; Gousgue (Atlas routier Michelin 2002) ; la Gaougougue (Magazine de la Communauté des Communes du Canton de Mugron, n°13 décembre 2010, p.3) ».

            Comme on peut le voir dans la liste qui précède, on trouve 2 prononciations dominantes gwawbe et gwawgue, avec souvent une déformation en gwabe et gwague. Les autres cas, qui ont en général des occurrences uniques, résultent d’erreurs d’écriture (goauge, gougue, gouauge, gonague, gonaugue, ...).

 

            D’autres noms de ruisseaux sont formés sur le même radical :

- La Gouanèyre : ruisseau des Landes girondines, qui passe près de Captieux, affluent du Ciron ; et autre ruisseau qui passe à Lencouacq (40), affluent de la Douze.

- La Goualade : ruisseau affluent du Ciron, qui traverse la commune du même nom dans le sud-est du département de la Gironde.

 

            On reconnaît sans peine en finale de ces deux noms, un adjectif qualificatif féminin : nèyre (gascon nèira < latin nigra = noire), et lade (gascon lada < latin lata = large). Cela signifie que le premier terme doit être aussi un mot féminin. La présence de la particule « la » qui précède ces noms (La Gouanèyre, La Goualade) peut être prise pour l’article défini féminin, or, comme nous le verrons plus loin, il s’agit d’une mécoupure, pour : l’Agouanèyre, l’Agoualade, et ... l’Agouaougue.

            Mais notre ruisseau cantonal ne se livre pas aussi facilement : « Goua-ougue » ne nous mène à rien ! Il nous faut partir de la forme la plus ancienne, comme étant - a priori - la moins altérée, la plus proche du nom originel. C’est donc Gouaube ou Goaube qui doit être notre point de départ. Si « Goua-ube » ne nous éclaire toujours pas, c’est qu’il ne doit pas s’agir d’une simple juxtaposition de mots. Avec « Goua-aube » nous retrouvons comme pour les autres noms de ruisseau, notre radical « Goua » et l’adjectif féminin « aube » (gascon auba < latin alba = blanche).

En ce qui concerne le radical « goua », nous pourrions y reconnaître le gascon gua (latin « vadum » = gué)[7], mais ce mot est masculin, et donc incompatible avec les adjectifs féminins « nèira, lada, auba ».

C’est la consonance de ce mot (qui rappelle le « agua » castillan) qui va nous orienter vers le « aqua » latin. Quoi de plus naturel pour désigner un ruisseau ?

 

            Nous postulons donc que :

Aqua alba > Aguauba > « La Gouaougue » = L’eau blanche.

Aqua nigra > Aguanèira > « La Gouanèyre » = L’eau noire.

Aqua lata > Agualada > « La Goualade » = L’eau large[8].

Pour confirmer cette lecture, le ruisseau de « Gouaneyre », qui coule près de Lencouacq, est désigné « Aqua nigra » au XIIIe siècle dans les Recogniciones Feodorum in Aquitania (Bémont, p.49, n°137), et la Chronique de Bazas (publiée dans Archives historiques du département de la Gironde, Tome XV, Bordeaux, 1874, p.25) mentionne pour l’an 1111, « parrochiæ Aquælatæ vulgo de Goelade ».

On peut certainement ajouter à cette liste le nom « La Gouardoune », zone marécageuse entre Luglon et Ygos-St-Saturnin, qui pouvait désigner une lagune circulaire :

Aqua rotunda > Aguardona > « La Gouardoune » = L’eau ronde.

 

            On peut reconstituer l’évolution comme suit :

1 – gasconisation du latin « aqua alba » [akwa alba], avec passage de -qü- à -gü-, et vocalisation du « l » en « u » : « agua auba » [agwa awba].

2 – contraction (haplologie) de « agua auba » [agwa awba] vers  « aguauba » [agwawba].

3 – affaiblissement de la voyelle finale : [agwawba] > [agwawbe].

4 – aphérèse, sous l’influence de l’article, de « l’aguauba » [l’agwawbe] vers « la guauba » [la gwawbe]

5 – changement du « b » en « g » : « guauba » [gwawbe] > « guauga » [gwawgue]. Cette évolution doit être assez récente puisqu’on trouve encore la forme « guauba » (écrite « guaube » , « guave » ou « gouabe »), au XVIIIe siècle.

6 – adoption de l’écriture phonétique francisée, mais qui ne change pas la prononciation : « guauga »  >  « gouaougue » [gwawgue].

 

            Le passage du son « b » au « c/g » dur, est assez fréquent en gascon ; on trouve plusieurs mots qui ont conservé les deux formes, notamment, avec le même adjectif :

« vitauba / vitauga » (vite alba = vigne blanche : clématite)[9] ; « espiaub / espiauc » (spinus albus = épine blanche : aubépine) ; mais aussi « aupuba / aupuga » (= huppe), « guimauva / guimauga » (= guimauve),...

Les mots terminés en « -c » font leur féminin en « -ga » : pèc / pèga ; amic / amiga ; ... on a donc logiquement « aub / auba » > « auc / auga » ( = blanc / blanche).

En tous cas, et c’est ce que nous voulions démontrer ici, il n’y a rien d’étonnant à ce que Guauba [gwawbe] soit passé à Guauga [gwawgue].

 

            Dans les langues romanes, l’adjectif « aub(a) » (latin album) a très tôt été supplanté par « blanc(a) » (bas latin *blancus < germanique blank) ; on pourrait alors être tenté d’attribuer une haute antiquité à cet hydronyme. Mais on remarque aussi que la première partie du nom est formée sur le mot latin « aqua » et non sur le gascon « aiga » ; ce mot n’a donc pas subi l’évolution du 1er millénaire qui a fait passer aqua à « aiga ». On peut déduire de ces observations que notre ruisseau a été baptisé tardivement, directement en latin aqua alba ; il s’agit donc d’une appellation savante, qui a été gasconisée (et non traduite) avant 1338 (première mention trouvée).

 

            Connaissant désormais l’origine du nom de notre cours d’eau, nous pouvons, sans renier les évolutions subies, lui restituer une orthographe étymologique, conforme aux règles de l’écriture gasconne normalisée  : « La Guauga ».

 

            La signification de ce nom étant établie, il vous faudra trouver ou imaginer les raisons qui ont amené nos ancêtres à baptiser notre ruisseau « l’eau blanche ».




[1] Arch. des Landes H3(15) ; vidimé de 1615.

[2] La recq : mis pour l’arrèc : le ruisseau.

[3] Arch. des Landes H24(88) ; Rôle des fiefs de la baronnie de Doazit, 1609.

[4] A.des Landes H24(87) Plan de Doazit de 1619 ; Registres paroissiaux de Doazit ; Livre de la Confrérie du Très Saint Sacrement de Doazit ; H.de Laborde, Relation véritable, in Armorial des Landes, tome III, p.566.

[5] R.P. de Doazit ; carte de Cassini.

[6] Livre de la Confrérie ib. ; cadastres de Doazit de 1810 et 1847 ; Jean-Baptiste Barbe, Mémoire, p.25 ; Recensement de Doazit 1846.

[7] Cette théorie, que nous réfutons, est avancée par E. Nègre (Toponymie générale de la France, volume II, Librairie Droz S.A., Genève, 1991, p.1376) ; par B. et J.J. Fénié (Toponymie gasconne, éd. Sud-Ouest, 1992, p.58) ; ou par M. Morvan (Noms de lieux du Pays basque et de Gascogne, éd. Bonneton, 2004, p.70). Par ailleurs, les adjectifs de couleur peuvent difficilement s’appliquer à un gué.

[8] D’après Patrice-John O’Reilly (Essai sur l’histoire de la ville et l’arrondissement de Bazas, Bazas, 1840, p.457), ce nom serait dû aux eaux du Ciron qui inondaient les bas-fonds de la commune.

[9] A Doazit ce mot est déformé en « vidaucla ».