Extrait du bulletin de la Société de Borda 1886, p.285 à 289.

  [Retour au Sommaire]

LES MONOGRAMMES

du

CHATEAU DE CANDALE

à DOAZIT (Landes)

 

Messieurs,

            Il y a environ trois ans, M. Ozanne, alors ingénieur à Condom, soumit à la Société de Borda un dessin reproduisant les neuf monogrammes gravés sur les cartouches qui sont placés au-dessus du premier étage du château de Candale, à Doazit (Landes), et en demanda l'explication à la Société, en faisant observer que ce château avait appartenu à la famille de Foix Candale et aux de Belzunce.

            Un de nos membres se chargea de cette recherche, mais ne réussit pas à donner la traduction de ces monogrammes. M. Ozanne ayant dernièrement réclamé la solution du problème, je voulus essayer de le résoudre et je viens aujourd'hui vous donner le résultat de mes recherches.

            En m'aidant de la généalogie de la maison de Foix telle que la donne M. de Cauna dans son ouvrage sur : "Le Clergé et la Noblesse des Lannes en 1789", je suis arrivé à lire entièrement les neuf monogrammes. La lecture de six d'entr'eux - les plus intéressants - est certaine et complète. Trois seulement peuvent offrir quelques doutes.

            Après avoir terminé le déchiffrement, en suivant le dessin de M. Ozanne, j'ai voulu voir le château pour me rendre compte de quelques points qui me semblaient obscurs. Cette visite m'a permis de rectifier certains détails et me fournit aujourd'hui l'occasion de remercier les propriétaires du château de Candale, Madame Broca-Perras, Madame Lacaze et Monsieur et Madame Lacaze jeune du gracieux accueil qu'ils me firent ainsi qu'aux deux personnes de ma famille qui m'accompagnaient.

            Le château de Candale, ainsi nommé parce qu'il a été bâti par la famille de Foix Candale à laquelle il a appartenu pendant plusieurs siècles, a été édifié au XVIe siècle, ainsi que l'indique son aspect. C'est un beau château de style Henri IV à quatre façades avec tourelles, situé dans une très belle position, sur une hauteur, en face du bourg pittoresque de Doazit, dont il fut le château seigneurial.

            La façade principale, qui ne regarde pas Doazit, se compose d'un corps de bâtiment ayant au premier étage trois fenêtres, et de deux ailes en retour d'équerre ayant chacune une fenêtre de face au premier étage. Je ne parle que des fenêtres du premier étage parce que ce sont les seules qui m'intéressent.

            Les trois fenêtres du corps principal, les deux fenêtres de face des ailes, et la fenêtre du premier étage de la façade latérale de l'aile droite, sont ornées de cartouches placés au-dessus des fenêtres et contenant les monogrammes qu'il s'agissait de déchiffrer (1).

            Je vais commencer par la façade principale, c'est-à-dire par les six monogrammes numérotés 3-4, 5-6 et 7-8. Je les lis ainsi :

3.

4.

5.

6.

7.

8.

IEANNE

DE

BELSIER

DAME

DE

DOVASIT

            Or, Jeanne de Belsier ou de Belcier, fille d'Antoine de Belcier et d'Anne de Lubersac, était la femme de Jacques de Foix Candale, baron de Doazit et du Lau, qui l'épousa le 6 juillet 1566. Jacques de Foix Candale mourut le 9 juillet 1595, en laissant plusieurs enfants dont l'aîné fut Sarran de Foix Candale, baron de Doazit.

            La conséquence de cette lecture, c'est que le château ne fut bâti qu'après la mort de Jacques de Foix Candale, soit donc après 1595, puisque les cartouches de la façade principale portent à la place d'honneur le nom et la qualité de Jeanne de Belsier, dame de Douasit. Ce ne pouvait être qu'en qualité de veuve de Jacques de Foix, seigneur de Doazit, que Jeanne de Belsier mettait son nom sur le château seigneurial de Doazit. Peut-être aussi la baronne douairière de Doazit était-elle à cette époque tutrice de son fils, Sarran ?

            Si Jacques de Foix eut vécu lors de la construction du château, c'est son nom et non celui de sa femme, et sa qualité de seigneur de Doazit qui eussent été gravés sur la façade du château.

            Mais la veuve de Jacques de Foix Candale n'oublia pas l'illustre famille dans laquelle elle était entrée et de laquelle relevait la terre de Doazit. En effet, en décomposant les deux monogrammes qui se trouvent dans les cartouches 2 et 9, placés au-dessus des fenêtres de face des deux ailes, je retrouve toutes les lettres nécessaires pour reconstituer le nom de Jacques de Foix Candale : I. D. FOIX C. Jeanne de Belsier voulut que le château, commencé peut-être du vivant de son mari, portât son nom.

            Voici comment je décompose ce monogramme : I(acques) se trouve dans le premier cercle du monogramme no 2, et le divise en deux parties : à droite : D(e) et à gauche C(andale). F est placé en travers des deux cercles ; c'est un F de fantaisie, couché et dont chaque jambage ou barre est terminé par des crochets ; O est le second cercle, traversé par I ; X peut se prendre à volonté dans l'un ou l'autre des deux cercles.

            Le cartouche no 9 est pareil sauf deux barres qui terminent le monogramme à droite et à gauche. Je n'ai pu trouver à ces barres qu'une explication ; j'ai pensé que c'était une fantaisie du graveur qui avait voulu indiquer ainsi la fin de l'inscription.

            Le monogramme no 1 est placé en dehors des autres, sur la façade latérale ; il a donc un sens séparé. Ce sens me parait évidemment religieux. La châtelaine de Doazit aura voulu placer son château sous le patronage de ses saints préférés : S. M. et S. A. (le 2e S retourné s'applique évidemment à l'A qui le précède.

            Pour le premier nom, on a le choix entre S(anctus) M(artinus), patron de l'église du Mus, voisine du château qui est dans sa paroisse, et S(ancta) M(aria), patronne de Doazit.

            Pour le second, je propose de choisir entre S(ancta) A(nna), patronne d'Anne de Lubersac (qui était la mère de Jeanne de Bersier) et S(anctus) A(ntonius), patron d'Antoine de Belsier (père de Jeanne).

            Quels que soient les noms que l'on adopte, il est certain que ce sont deux des saints patrons du château. St-Martin et St-Antoine ou Ste-Marie et Ste-Anne.

            Il reste à expliquer les S barrés qui se répètent dans chaque cartouche et encadrent chaque monogramme. Je les considère comme l'initiale de Sarran de Foix Candale répétée partout comme motif décoratif. Il était du reste naturel que le jeune seigneur de Doazit eut son nom près de celui de ses parents.

            Enfin dans les cartouches nos 4 et 7, le monogramme DE est répété. Comme ce monogramme seul eut tenu peu de place et n'eut pas garni suffisamment le cartouche, l'artiste aura voulu, en répétant le monogramme à rebours, remplir la place vide et mettre ainsi ce cartouche plus en harmonie avec les autres.

            On sait quelle fantaisie règne dans les monogrammes pour lesquels il n'existe aucune règle précise ; aussi ne doit-on pas s'étonner qu'il y en ait un peu dans ceux du château de Candale.

            En résumé, je lis ainsi les neuf monogrammes :

1.

2.

S(anctus) M(artinus), S(ancta) A(nna)

ou

S(ancta) M(aria), S(anctus) A(ntonius).

I(acques) D(e) FOIX C(andale).

 

3.

4.

5.

6.

7.

8.

IEANNE

DE

BELSIER

DAME

DE

DOVASIT

 

9.

| I(acques) D(e) FOIX C(andale). |

et l'initiale de S(arran) de Foix Candale répétée sur les huit derniers cartouches.

            Si quelques doutes peuvent s'élever sur la lecture des monogrammes 1, 2 et 9 et sur celle des S barrés, en tout cas les six monogrammes 3 à 8 sont indiscutables et nous donnent à eux seuls l'histoire du château. C'est là le point essentiel.

            Dax, le 20 octobre 1886.

Emile TAILLEBOIS.

 

(1) Voir à la planche ci-contre le fac-similé de la fenêtre no 3-4, et la reproduction des neuf monogrammes, dessinés par M. Ozanne. Ces monogrammes sont numérotés dans l'ordre où ils sont placés, savoir : no 1, fenêtre sur la façade latérale de l'aile droite ; no 2, fenêtre de face de l'aile droite ; nos 3 et 4, première fenêtre de la façade principale, en partant de l'aile droite ; nos 5 et 6, deuxième fenêtre de la façade principale ; nos 7 et 8, troisième fenêtre de la façade principale ; no 9, fenêtre de face de l'aile gauche.

Nota. - Les monogrammes 3-4, 5-6 et 7-8 sont groupés deux par deux au-dessus des trois fenêtres de la façade principale, chacun dans un cartouche, à raison de deux cartouches, l'un au bout de l'autre, par chaque fenêtre. Au contraire, les monogrammes 1, 2 et 9 sont chacun séparément dans un seul cartouche, chacun au-dessus d'une fenêtre.

============================================

Extrait du bulletin de la Société de Borda 1887, p.47 à 50.

A Propos des monogrammes du Château de Candale à Doazit (Landes)
par le Docteur L. SORBETS

(Nous extrayons de cet article une phrase concernant les « S » barrés, et un paragraphe faisant allusion au monogramme numéroté 1 dans l’article ci-dessus : )

....
«  Je considère comme les initiales I(acques) S(arran) les lettres barrées S, la barre étant l’initiale de iacques et répétées partout comme motif décoratif. »
...
«  Le monogramme de la Sainte Vierge doit être expliqué. Dans l’épigraphie chrétienne, on l’a formé des deux lettres grecques AM, entrelacées. J’ai cru pendant de longues années, et beaucoup peut-être croient encore que ce monogramme signifiait AVE MARIA. C’est une erreur. Il signifie AYIA MARIA, tiré du grec qui veut dire ou Sainte Marie ou Marie la Sainte par excellence. »

============================================

Extrait du bulletin de la Société de Borda 1888, p.51 à 56.

Les monogrammes des Foix-Candale aux châteaux de Doazit (Landes) et de Cadillac-sur-Garonne (Gironde)
par BRAQUEHAYE

            Depuis plus de dix ans je recueille des documents sur l’histoire des Beaux-Arts en Guienne et notamment sur le château des ducs d’Epernon à Cadillac-sur-Garonne (Gironde). Cette somptueuse demeure, bâtie sur le même emplacement que le château des Candale, présente encore de nombreux débris des brillantes décorations qui affirment le luxe princier déployé par le puissant favori de Henri III, quoique ce palais de l’orgueil soit devenu la maison centrale de Cadillac.
            J’avais remarqué qu’un monogramme était répété avec persistance dans les ornementations des façades, dans celles des cheminées monumentales, dans la chapelle funéraire et sur le superbe mausolée que Jean-Louis de Nogaret avait élevé dans la collégiale de St-Blaise. On le voyait et on le voit encore, dans les carrelages, dans les peintures des plafonds, des lambris et des portes, dans les fines broderies comme dans les découpures du fer. Ce monogramme est composé de deux M entrelacés, quelques-uns y voient : M de Marguerite-Louise de Foix-Candale et λ de Louis de Nogaret ; on peut tout aussi bien y lire : M de Marguerite et λ de Louise, si l’on ne veut pas y reconnaître le chiffre de la famille elle-même. J’ai donc été vivement attiré par le titre des communications faites, par MM. Taillebois et Sorbets, sur les monogrammes du château de Candale, à Doazit, qui avaient été relevés par M. Ozanne.
            La lecture que M. Taillebois en a faite, avec une sagacité rare, m’a d’autant plus intéressé que le chiffre que j’avais relevé à Cadillac semblait être le même que l’un de ceux du château de Doazit. Malheureusement M. Taillebois reconnaissait que la traduction de celui-là n’était pas indiscutable et que des doutes pouvaient s’élever.
            Les S barrés, indiquant le mot Sanctus ou Sancta, avaient laissé M. Taillebois presqu’incrédule ; il expliquait les autres par l’S de Sarran de Candale, répété deux fois sur chaque fenêtre. Ne le voyant pas plus convaincu que moi-même, j’ai moi aussi essayé de déchiffrer l’énigme.
            Mais trouver une bonne explication à ce signe mystérieux après l’heureux traducteur de : JEANNE DE BELSIER DAME DE DOUASIT, me semblait une entreprise téméraire, aussi je crus tout d’abord devoir me contenter de faire remarquer que les mêmes lettres entrelacées, étant placées sur les deux châteaux de Candale, devaient rappeler la même origine c’est-à-dire le nom de cette illustre famille.
            Heureusement, le hasard, cette Providence des chercheurs, devait venir à mon aide ; s’il ne m’a pas fourni des preuves indiscutables, il m’a tout au moins mis en main des documents intéressants.
            J’avais à peine lu le travail de M. Taillebois, que je trouvai à la foire de Bordeaux, en octobre dernier, un in-18, couvert en parchemin : Les bigarrures du seigneur des Accords, Poitiers, Jean Bauchu, 1615, où je fus étonné de rencontrer, au milieu de contes rabelaisiens, le dessin exact et le sens attaché à ces S barrés dont je ne connaissais que de muettes représentations. Après avoir expliqué le titre du chapitre c’est-à-dire après avoir défini les Rébus de Picardie, après avoir cité ces vers de Marot :
            « Car en Rébus de Picardie
            « Une faulx, une estrille, un veau,
            « Cela faict, estrille fauveau.

L’auteur ajoute, p. 16 et 17 : « Or ces subtillitez ont esté de longtemps en vogue... de sorte qu’il n’estoit pas fils de bonne mère qui ne s’en mesloit. Mais depuis que les bonnes lettres ont eu bruit en France, cela s’est je ne sçay comment perdu, qu’à grand peine la mémoire en est-elle demeurée pour en faire estime, sinon envers quelques cervelles à double rebras, qui en sont encore aujourd’huy si opiniatres qu’on ne leur sauroit oster de la teste qu’une sphère ne signifie espère ; un lit sans ciel, un licentié ; l’ancholie, mélancolie ; la lune bicorne, pour vivre en croissant ; un banc rompu, pour banqueroute ; une S fermée avec un traict ainsi (suit la figure), pour dire fermesle au lieu de fermeté. Et autres, dont les vieux courtisans faisoient parade, selon que tesmoigne Rabelais, l. 2, c. 19, qui s’en mocque plaisamment. » Il n’y a donc plus d’erreur possible, les S barrés sont des signes conventionnels, des « Rébus de Picardie » qui, placés autour des monogrammes, signifient fermeté et non Jacques Sarran(1), ou Sanctus, ou Sigillum, ou Souvenir, ou Estrées (S trait) qu’on a pu proposer. (2)
            La difficulté semblait moins grande pour les lettres entrelacées. Les monogrammes de Cadillac et ceux de Doazit ont entr’eux la plus grande ressemblance, et les deux châteaux où ils sont placés appartenaient à la même famille. Il était facile d’en déduire que les uns et les autres désignaient les Foix-Candale.
            Mais quelques sérieuses objections peuvent être faites tant qu’on n’aura pas lu tous les signes gravés sur les croisées du château de Candale, à Doazit, car les n° 2 et 9 (3) sont encore restés indéchiffrables. Tout en reconnaissant l’ingéniosité de la lecture que M. Taillebois ne propose du reste que comme douteuse, Jacques de Foix-Candale, je crois qu’il faut chercher un autre nom ou un autre sens. Les F n’existent pas, mais on y voit des lambdas λ, et ce sont des lambdas qu’on trouve dans les chiffres peints et sculptés dans le château de Cadillac. De plus, le n° 9 n’est pas semblable au n° 2 et là, on peut isoler très nettement le chiffre attribué à Marguerite de Foix et à Jean-Louis de Nogaret.
            Les monogrammes, relevés par M. Ozanne au château de Doazit, rapellent donc : le n° 1, les M entrelacés, le n° 2, les λ et le n° 9, ces deux lettres réunies dans un seul chiffre qui est celui qu’on voit à Cadillac. C’est donc plus qu’une conjecture que de proposer d’y reconnaître le monogramme, non d’une personne de la famille de Candale, mais celui de la famille elle-même.
            Il y a lieu d’espérer que M. Taillebois, qui a su deviner avec tant de bonheur cinq de ces énigmes, saura fixer aussi sûrement la lecture des trois autres, et qu’il nous dira quel rapprochement sérieux peut être fait entre les monogrammes du château de Doazit et ceux du château de Cadillac.

                        Notes sur divers Monogrammes

            Les difficultés de la lecture des M entrelacés résultent surtout des nombreux exemples à peu près semblables qu’on peut relever sur les monuments, sur les pièces d’orfévrerie, sur les reliures, sur les broderies.
            Le connétable Anne de Montmorency se servait du même chiffre traversé par une épée (4) sa fille Marie de Montmorency portait les initiales MM, or, elle fut la mère de Marguerite-Louise de Foix-Candale femme du duc d’Epernon, qui prit à peu près ce monogramme. D’autre part Marie de Médicis employait la même marque accompagnée d’S barrés ; Habert de Montmort mettait le même signe avec une légère variante sur les livres de sa bibliothèque HM (5) ; André de Meslon, un bordelais, maréchal de camp sous Henri IV, signait quelquefois avec un chiffre analogue. Combien d’autres personnages étaient dans le même cas ! Je possède moi-même un livre d’heures de 1630, contenant de fines gravures de Ménager, dont la reliure est couverte de très riches ornements au petit fer et porte, sur le plat un ovale dans lequel on voit le monogramme MM accompagné de quatre S barrés, en haut, en bas, à droite, à gauche. Ce chiffre fut donc souvent employé, aussi l’interprétation en est-elle d’autant plus difficile. (6)
            J’ajouterai pour faciliter les recherches un extrait des Bigarrures du seigneur des Accords, déjà citées ; il donnera l’avis d’un contemporain sur ces signes qu’il nomme notes ou chiffres. « Chapitre XXI. Des Notes... Or à fin que chacun sçache en bref que c’est que note, il doit sçavoir que par une dénomination générale note signifie une marque.... Il y a encore une autre façon de chiffres practiquée par des brodeurs, comme quand on enlace ensemble les premières lettres des noms et surnoms de quelques uns, que je trouve avoir bonne grâce, mais les uns plus que les autres. Plusieurs sont d’avis que pour le bien faire il ne faut que deux lettres seulement, sçavoir les deux premières lettres capitales des deux noms propres de l’homme et de la femme, comme estoit celuy du roy Henry, et de Catherine de Médécis : qui se void aujourd’hui encore ensculpté en infinis bastimens, ainsi de quelque endroit que la puissiez tourner, il y a toujours un C et une H. J’en ai vu d’autres infinis de ceste façon, comme deux C deux V et autres semblables. Quelques autres en font des lettres grecques, comme j’en ai veu un composé par un brave amoureux d’un φ et d’un double ωω. Les autres les veulent de quatre lettres, afin d’y comprendre les noms et les surnoms des Amans. 
            J’en ay veu d’autres si curieux que toutes les lettres, généralement des noms et des surnoms y sont comprises, mais cela me semble trop encharboté et confus pour les reduire à leur quarré. Car il faut pour une règle generale retenir que pour faire un beau chiffre, il ne faut pas qu’il excède la grandeur d’une lettre quarrée. J’appelle une lettre quarrée, celle qui a un quarré parfaict, comme M. H. V. A. X. O. Q. Davantage il ne faut qu’il y ayt une combination s’il est possible, c’est à dire que trois lignes ne se rencontrent point l’une sur l’autre : car cela estant ainsi on ne peut entrelasser par bastons rompus les lettres, de sorte qu’elles perdent leur grâce, comme au chiffre fait d’un NTH. Tu voids qu’au milieu la jambe du T, le travers de H, et le milieu de la jambe de N, se joignent et se combinent : Pour donc le rendre beau, il faudroit hausser le trait de H. o.
            Faut encor noter pour une autre règle que jamais une lettre ne doit estre plus longue ni plus courte l’une que l’autre.
            J’ai veu aussi practiquer des chiffres en forme de lettres Moresques pour servir de pendans de fort bonne grâce, et croy que si l’invention estoit cogneuë qu’elle ne seroit pas mal plaisante. L’on faict ainsi des lettres de Tout en Bonté seray. (Suit la figure).
            Si ce chiffre estoit bien entrelassé, il se trouveroit beau comme aussi les semblables qu’on voudra faire. »
(loc. cit. p.178, 181 et suiv.)
            Comme on peut le voir les chiffres formés par des lettres majuscules contournées qui ont été si souvent employées sous Louis XIV et Louis XV, datent du commencement du XVIIe siècle et ceux qui étaient formés par des lettres romaines comme à Doazit et à Cadillac, étaient déjà passés de mode vers 1615.
            Les citations qui précèdent prouvent encore que les lettres grecques étaient assez souvent utilisées seules ou mêlées aux lettres romaines. S’il n’est pas suffisamment démontré que des lambdas peuvent avoir été employés concurremment avec des lettres romaines, je puis fournir une autre autorité indiscutable. Le collier de l’ordre de St-Esprit, institué par Henri III, était composé de fleurs de lys d’or, de trophées d’armes et des lettres entrelacées : HMλ, dont un lambda. Cet assemblage de lettres rappelle même beaucoup le monogramme que d’Epernon, qui fut si fidèle à la Henri III, fit répéter tant de fois près de la célèbre devise du roi : Manet ultima cœlo, dans son château de Cadillac.
            Il faut donc le reconnaître, ce très simple monogramme, quoiqu’appartenant probablement aux Candale, présente de réelles difficultés, et prête à bien des interprétations. (7)  Je serais heureux si cette note pouvait aider à en affirmer définitivement la lecture.
                                                BRAQUEHAYE.
Bordeaux, février 1888.

(1) Lecture proposée aussi par M. le Dr Sorbets, Société de Borda, 1887, p.47.
(2) Mon auteur définit ainsi le titre de son chapitre II « Des Rébus de Picardie. – Sur toutes les follatres inventions du temps passé, j’entends que depuis environ trois ou quatre cens ans en ça, on avoit trouvé une façon de devise par seules peinctures qu’on soulait appeler des rébus, laquelle se pourroit ainsi définir, que ce sont peinctures de diverses choses ordinairement cognues, lesquelles proférées de suite sans article font un certain langage : ou plus briefvement que ce sont équivoques de la peincture à la parole... Quant au surnom qu’on leur a donné de Picardie, c’est à raison de ce que les Picards sur tous les Français s’y sont infiniment pleus et delectez. » loc. cit. p. 16.
(3) Voir Planche – Soc. de Borda – 1886 – 4e trim.
(4) Gazette des Beaux-Arts – 1886, p. 47.
(5) Voir Spire Blondel. L’art intime et le goût en France, Paris, Rouveyre, 1884.
(6) Voir Intermédiaire des chercheurs et des curieux, Paris, t. XX. 514/
(7) M. Jacquelin y voit le chiffre d’Anne de Monnier, qui aurait été épousée par d’Epernon en 1596, d’après un acte de mariage trouvé à Caumont par M. le Marquis de Castelbajac.