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Le Huque des Faux Nobles

Satire burlesque

[Préface]
[Satire « Le Huque des faux nobles »]
[Généalogie de la famille de Busquet]

par

 

Arnaud(1) de BUSQUET,

Chanoine de Saint-Girons.

 

Mise au jour par l’Abbé V. Foix

 

Toulouse

Imprimerie Saint-Cyprien, A. Nauze, Imp.-Édit.

27, Allées de Garonne, 27

_

1913

 

(1) Ndlr : Sur la page de couverture de l’édition de 1913, l’auteur est prénommé « Armand » par erreur ; nous avons rétabli « Arnaud »..

[5]

LE HUQUE DES FAUX NOBLES

Satire Burlesque

[Début de page]
[Satire « Le Huque des faux nobles »]
[Généalogie de la famille de Busquet]

 

PRÉFACE

 

 

     « Un homme de néant prenoit dans tous les actes qu’il signoit la qualité de messire, chevalier, etc. Un de ses parens, choqué de cette vanité, luy dit : « Vous moquez-vous du monde ? Ne sait-on pas qui vous êtes, et que votre frère est venu des champs avec des guêtres et des sabots s’habituer à la ville ? Il n’y a que deux jours que vous êtes sorti de votre petit nid, et vous faites le grand seigneur ?

     - Mon cousin, répondit le drôle qui avait de l’esprit, ce que je fais aujourd’huy ne vaut rien ; mais dans cent ans d’ici il ne se pourra pas payer. »

     Il avoit raison, car c’est le tems qui fait la plus part de nos gens de qualité. Avec du bien et de l’effronterie on devient grand seigneur ; on le fait accroire à soi-même, et enfin aux autres qui en demeurent si persuadés, qu’ils ne peuvent croire autrement, surtout si l’on a l’adresse de faire couler la généalogie prétendüe dans le Dictionnaire historique de l’incomparable Moréri.

     On connoît l’origine de ces faux nobles ; on s’en moque, on en rit, et au bout du compte bon gré mal gré ils se trouvent gentilshommes comme le Roy, mais ils ont moins d’écus.

     Soy hidalgo como el rey, dineros meños, dit le proverbe Espagnol.

[6]

     J’ai lu les informations qui se firent il y a quelques années durant la recherche de la noblesse de cette province, et j’ay remarqué que de cent gentilshommes de la nouvelle fabrique, il n’y en a pas six qui ayent mérité leurs lettres de noblesse par de véritables services accordés à l’Estat. On y voit quelques nobles réhabilités pour peu de chose, des gens annoblis pour avoir financé cent ou deux-cent pistoles et une infinité qui sont passés de la maltôte, de la banque, du greffe, de l’Election et recette des tailles, vraies pépinières de noblesse, à la qualité de barons, comtes, marquis, etc.

Amicus noster qui fuit rana, nunc est rex.

     La plûpart des maisons en France se font par le négoce ou par l’usure ; elles se maintiennent quelque temps par la robe et s’en vont par l’épée. Un seigneur mange son bien à l’armée ; ses enfans chargés de dettes défendent le terrain encore quelque tems par les procès ; leurs châteaux deviennent des masures, et leurs descendans labourent la terre. Ceux-cy envoyent leurs enfans à Paris chercher fortune. Ces enfans revêtus de toile se rangent sur le perron du Palais, et devenus laquais, ils remontent à la place de leur père, quelquefois par degrès et à pas comptés, et quelquefois d’emblée et tout d’un coup. Ainsy va le monde, circulant toujours et passant de la roture à la noblesse, et de la noblesse à la roture sans discontinuer. Savoir laquelle des deux est venue la première, je m’en rapporte à la chanson :
               « D’Adam nous sommes tous enfans,
               La preuve en est connüe,
               Et que tous nos premiers parens
               Ont mené la charrüe.
               Mais las de cultiver enfin
               La terre labourée,

[7]

               L’un a dételé le matin,
               L’autre l’après dinée. »

 

     En copiant, dans les Dossiers bleus (1), cette amusante boutade des « Meslanges d’histoire et de littérature de M. de Vigneul-Marville », je pensais qu’elle arrivait à point comme avant-propos pour présenter au public le plaisant auteur du « Huque des faux nobles » ; car, si je ne m’abuse, celui-ci a traduit en vers ce que le premier a mis en prose.

 

     Analyse du poème. – M. Lespy a découvert dans un manuscrit de la Bibliothèque de Pau, une analyse de ce poème. Nous la donnons ici telle qu’il l’a publiée :

     « Le plan de la satire contre les faux nobles est fort ingénieux ». L’auteur « suppose que dame Roture, résidant à Bayonne (2), fut avertie par le syndic de Chalosse que la plupart de ses sujets allaient l’abandonner pour se ranger du parti de dame Nobilité, qui se tenait dans le Périgord (3).

     Le seul moyen de prévenir ce malheur, également préjudiciable aux deux souveraines, était d’avoir ensemble une conférence où elles pussent régler les limites de leurs Etats. Elles convinrent donc de se voir ; le bourg de Saint-Cricq, dans les Lanes (sic), fut indiqué pour le lieu du rendez-vous (4).

     Dame Roture partit de Bayonne et arriva à Dax, où elle reçut l’hommage de tous les habitants, comme étant ses...

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(1) Biblioth. Nat. Dossiers bleus, vol. 670.

(2) Ce qui n’a pas empêché cent cinquante Bayonnais d’être blasonnés à l’Armorial général de 1696. Il est vrai que j’y compte 16 juifs et qu’entre le blason et la vraie noblesse il y a parfois des distances... appréciables.

(3) On sait que dans le Périgord tout le monde ou à peu près est ou se dit noble.

(4) Exactement Saint-Cricq-Chalosse, commune du canton de Hagetmau.

 

[8]

... bons amis et fidèles sujets, à l’exception de quatre ou cinq qui ne voulurent pas la reconnaître, et qui, néanmoins, dit l’auteur, n’étaient pas aussi nobles que le Roi. Sensible aux honneurs qu’elle recevait, elle fit ce compliment aux habitants de Dax :

               Bons orateurs, méchants gens d’armes,
               Dont jamais par le sort des armes
               Nul ne s’est soustrait à ma loi ;
               Faites des odes pour le Roi,
               Laissant, pour la gloire d’écrire,
               Aux autres le soin de l’empire.

     Dame Roture se rendit ensuite à Saint-Cricq (1), où elle attendit dame Nobilité, qui avait un plud long trajet à faire.

     Celle-ci arrivant à Mont-de-Marsan :

               Fouette cocher, dit-elle avant !
               C’est la seule ville de France
               Où je n’ai point de connaissance (2).

     Il est vrai qu’elle avait été escortée jusqu’à la porte de la ville par plus de deux mille nobles d’Armagnac le Blanc et d’Armagnac le Noir (3) :

               Et jamais dans son plus beau jour,
               La Dame n’eut si grande cour ;
               Mais ce qui la rendait chagrine,
               Chacun l’appelait sa cousine,
               Et, sans façons ni complimens
               Ils mangeaient tous à ses dépens.

 

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(1) On sait qu’à Saint-Cricq-Chalosse habitaient les de Poudenx et les de Lataulade dont la noblesse authentique remonte au XIVe siècle au moins.

(2) On pourrait cependant objecter : Et les de Prugue, les de Mesmes, les de Capfaget, etc. ? Il est vrai qu’ils n’habitaient Mont-de-Marsan que par occasion.

(3) L’Armagnac et le Gers sont en effet comme le Périgord, une pépinière de gentilhommes, pauvres et honnêtes, mais généralement d’assez bonne extraction. Le Gers n’a pas de Nobiliaire, et c’est fâcheux, car il y faudrait plusieurs volumes dont l’intérêt compenserait largement le labeur.

 

[9]

     Elle trouva peu de nobles à Saint-Sever. Cependant elle fit amitié aux habitants :

               Ces gens ont bonne renommée,
               Dans l’Eglise, en Cour, à l’Armée.
               S’il en est peu de qualité,
               Dit madame Nobilité,
               Ils ont de l’esprit, du courage ;
               Les grands leur rendent témoignage.
               La plupart ont un très grand air
               Et méritent d’aller de pair
               Avec le mieux fait gentilhomme.

     On voit que l’auteur ne veut pas se brouiller avec ses compatriotes. Quand Nobilité eut passé Hagetmau, elle rencontra Roture. Elles se firent des compliments peu sincères, et aussitôt qu’elles furent à Saint-Cricq, elles firent assigner ceux qui se prétendaient nobles :

               Mais de cent cinquante assignés,
               Plus de cent saignèrent du nez.

     Les autres se présentèrent pour être examinés, au jour marqué, mais

               Le Huque était déjà venu,
               Plus affreux qu’un Faune cornu.
               Des morts il rongeoit les carcasses ;
               Les cranes luy servoient de tasses,
               Et les plus moisis ossements
               Etoient ses meilleurs alimens.
               Chaque nuit dans un cimetière
               Avecque les morts il confère,
               Et s’instruit des siècles passés
               De la bouche des trépassés,
               Qui de crainte qu’il les dévore
               Disent plus qu’il ne veut encore.

 

     Sa figure fit peur aux nobles ; il s’en échappa trente...

[10]

...durant la nuit ; des vingt qui restèrent, sept seulement furent jugés de bon aloi. Les treize autres furent mis de côté, et afin qu’ils ne fussent pas tentés d’appeler du jugement du Hugue, il fit à chacun sa généalogie en deux mots (1) ».

 

     La fidélité de cette analyse n’est qu’approximative, et quand on lit le poème en la forme où nous le publions, on est à se demander s’il ne se réduisait pas à une simple esquisse quand fut fait ce résumé sommaire. De fait, l’analyse met au premier plan la conférence de dame Roture et dame Nobilité pour régler la limite de leurs Etats. Ici le sujet du poème, c’est la comparution forcée des nobles ou prétendus tels devant un personnage qui a le secret de distinguer « le faux noble ou le fin » ; dame Nobilité et dame Roture sont ici simples spectatrices de l’opération ; elles n’ont rien à régler, rien à décider, mais simplement à enregistrer les résultats de l’épreuve à laquelle vont être soumis les sujets anciens ou nouveaux de dame Nobilité.

 

     Explication du titre. – Et d’abord, quel est exactement ce titre ? Faut-il lire hugue ou huque ?

     L’analyse que nous venons de citer ne pose pas la question par la raison bien simple qu’on a lu hugue. Et de ce mot qui n’est pas précisément des plus communs elle donne une explication ingénieuse.

     « Le Hugue (2) des faux nobles signifie le révélateur des faux nobles. Le Hugue ou Hugon était un jeune aventurier sorti de quelque coin de la Gascogne, qui parut dans le Béarn vers 1663. Il se vantait d’avoir la propriété...

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(1) Revue d’Aquitaine 1859, pp. 171-173.

(2) Id., p. 171.

 

[11]

...de connaître les sorcières en soufflant sur les yeux des personnes. On lui amenait celles qui étaient suspectes ; il les jugeait, suivant son caprice, avec une effronterie étonnante, et, sur son témoignage, on était diffamé ou mis entre les mains de la justice. On ne sait ce qu’il devint ; il disparut au moment où ses impostures commençaient à se découvrir (1). Il aurait sans doute été puni comme il le méritait. »

     Sans donner plus de crédit qu’il ne faut à la dénomination de ce personnage, il est bon de rappeler aussi que ce mot Hugue est à rapprocher d’un nom Hugon ou Huguet donné, d’après Lacurne de Saint-Palaye, à un « esprit ou fantôme qui, suivant le peuple, courait les rues de Tours pendant la nuit (2) ». Littré en donne pareille explication : « Hugon ou Huguet, espèce de revenant qui se montrait dans la ville de Tours et dont on effrayait les enfants. » De là serait même venu, au dire de quelques-uns, le mot Huguenot.

     Ce qu’il y a de curieux dans notre texte, c’est que ce mot est employé dans les deux sens précités. L’explication fournie par l’analyse est relative au premier et le passage cité relève du second. On verra dans le poème lui-même que le Huque nouvel est un « homme » qui « vient de Grenoble », qui procède à son examen, en regardant au visage les nobles vrais ou faux, qui exprime ses jugements avec franche liberté et bel esprit, qui à la fin prend peur et est mis en fuite par la menace du bâton.

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(1) Voir là-dessus mon étude « Sorcières et Loup-Garous dans les Landes », Auch, 1904, pp.54-59.

(2) Dictionnaire historique de l’ancien français, Niort, s.d., t.VII, ad cerbum.

 

[12]

     Mais, autre difficulté, nous avons, à la suite de Lespy, écrit partout Hugue. En réalité, tous les manuscrits que nous avons sous les yeux portent Huque, et c’est vraiment Huque qu’il faut lire. Je n’en veux pour preuve que ces deux vers du poème :

               Lendin avec votre perruque,
               Vous ne tromperez pas le huque.

     Hugue n’a jamais rimé avec perruque.

     Mais aussitôt surgit une question nouvelle. Que signifie ce mot huque ? M. Léopold Sudre, le savant romaniste à qui nous devons la publication de la Grammaire historique de Darmesteter, a eu en main une copie de notre poème, et il a expliqué le mot « huque » comme un « substantif verbal du verbe huquer, qui signifie crier, décrier, se moquer ». Tout en admettant cette explication, j’observe que vivant, agissant, parlant, ayant un état civil déterminé « il vient de Grenoble », réel ou imaginaire : il fait fuir les faux nobles et il rassure les vrais.

 

L’auteur. – Constatons d’abord que pas un de nos manuscrits ne désigne l’auteur. D’après M. Lespy, qui a dû trouver cette indication dans l’analyse ci-dessus mentionnée, la satire fut faite à Saint-Sever, il y aura bientôt deux cents ans, par un abbé du nom de Bosquet (1). M. Batcave ajoute en renchérissant : « L’abbé de Saint-Sever, Bosquet, publiait la Hugue des faux nobles en vue de flageller les hoberaux Landais de mince extraction (2). »

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(1) Rev. d’Aquit. 1859, 170.

(2) BATCAVE : Esquisse d’une hist. de la Littérature Béarnaise, Marseille, 1909, p. 13.

 

[13]

     En réalité, notre satirique était chanoine de Saint-Girons-Hagetmau, et avait nom Busquet (1). Comme on prend toujours un certain intérêt aux auteurs comme aux héros de l’aventure, nous avons pieusement recueilli tout ce qu’il a été possible de trouver sur notre personnage. Si la moisson n’est pas abondante, elle est du moins précieuse, et elle présente un cachet d’originalité qui ne déplaira pas sûrement à nos lecteurs.

     Me Arnaud Busquet naquit à Horsarrieu près Hagetmau, vers 1630, d’une ancienne famille bourgeoise qui, dès le XVe siècle, s’était imposée à la reconnaissance publique par de nombreuses et pieuses libéralités, entre autres par la fondation d’une prébende appelée du nom même de son bienfaiteur, la prébende de Busquet. Comme tant d’autres de ses parents, initié dès sa prime jeunesse à la vie cléricale, notre futur chanoine reçut bientôt la tonsure des mains de l’évêque de Dax, suivant le certificat qui nous en a été conservé. Nous le publions in extenso parce que les pièces de ce genre et surtout de cette époque sont excessivement rares.

 

     « Jacobus Desclaux, Dei et Sanctæ Sedis apostolicae gratia Episcopus Aquensis, Notum facimus universis, quod nos die et anno infrascriptis, in sacello domus nostrae episcopalis, dilecto nostro Arnaldo du Busquet, filio Andreae du Busquet et Joannae Dabadie conjugum diœcesis Adurensis, de legitimo matrimonio procreato, examinato, capaci et idoneo reperto ac dimisso, tonsuram contulimus in Domino clericalem, Datum Aquis in aula episcopali sub...

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(1) Le Livre de raison de M. de Busquet, maire de Saint-Sever, désigne nommément Arnaud, le chanoine, comme l’auteur du poème.

 

[14]

...signo sigilloque nostris signoque secretarii nostri die prima (le reste a été enlevé) anno millesimo sexcentesimo quinquagesimo.
     Jacobus, Ep[iscopu]s Aquensis.

               De mandato Illustrissimi ac Reverendissimi Domini mei Episcopi, MALLÈS, secret.

     Eadem die praesentes litterae fuerunt insinuatae per me subsignatum, DUCLOS, loco greff. » (1)

 

     A peine tonsuré, il est présenté par Antoine Dupoy, un des patrons laïques, à la prébende de Busquet, vacante par la mort de Me Mathieu Dupoy, prêtre, ancien diacre et sous-diacre de Pouy. Puis Mes Pierre de Laqueille, licencié en droit, chanoine et grand-archidiacre d’Aire, et Gilbert Broune, archidiacre de Chalosse, tous deux vicaires généraux d’Anglure de Bourlemont, évêque d’Aire, expédient le titre canonique au nouveau tonsuré qui prend possession le 15 octobre 1650 (2).

     Où l’envoya-t-on faire ses humanités ? A Paris, sans doute où nous le trouvons en 1660 en pleine ferveur d’études théologiques. A cette date en effet, il n’est pas encore entré dans les ordres, mais il est déjà bâchelier en Sorbonne et nommé, à la pluralité des voix, chanoine de Saint-Girons Hagetmau, le 8 octobre (3). Il paraît même qu’a cette occasion, ses confrères en canonicat, rompant...

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(1) J’ai l’original en main.

(2) Arch. de M. le vic. gén. Lafargue.

(3) Arch. de Saint-Girons (non classées).

 

[15]

...avec les formules protocolaires, employèrent des termes nouveaux de « participation aux honneurs, prééminences et autorités » qu’on leur reprochera plus tard. Dans tous les cas, le sujet était digne de cette innovation, et ce n’est pas la seule originalité qui le caractérisera.

     Chose bizarre, lui qui s’est tant moqué des faux nobles, et qui, de son vivant, n’a jamais eu la moindre velléité, de s’affubler d’un titre nobiliaire quelconque, lui qui trouvait bien suffisante la qualification de « Monsieur Maître » accolée à son nom, qu’eût-il dit en se voyant qualifié de « Noble Arnaud de Busquet, bâchelier en Sorbonne », dans le contrat de mariage de son frère Pierre avec Madeleine de Cabanne, passé la même année 1660 ? Heureusement il n’en a rien su, sans quoi peut-être notre satire n’eût jamais vu le jour. Et s’il n’en a rien su, pas plus d’ailleurs que les intéressés, c’est pour la raison bien simple que l’addition frauduleuse des titres nobiliaires accolés aux trois quarts de l’assistance ne s’exerça que cent ans après par un descendant anobli qui, par de savantes manipulations sur les contrats originaux, réussit à se créer plusieurs générations d’ancêtres qualifiés.

     Cependant, notre chanoine achevait le cours de ses études et se retirait avec le grade envié de docteur en Sorbonne. Nombreux étaient alors les docteurs en théologie, mais les docteurs en Sorbonne n’apparaissent qu’assez rarement en notre pays. Il y fallait plus de goût et de dépenses. Aussi pour compenser un peu les frais d’éducation, Arnaud souscrivit bien volontiers à un échange qu’on lui proposa : il troqua sa prébende de Busquet pour celle de Larrezet, les deux en Horsarrieu. Il convint donc le 31 août 1665 avec Me Jean d’Abadie, qu’il desservirait désormais sa prébende de Larrezet, beaucoup mieux rentée que la première. Après quoi, se consacrant au minis-...

 

[16]

...tère des âmes, il résolut de tirer parti de ses talents naturels pour s’adonner à la prédication.

     Nous en avons la preuve dans le texte que nous allons aussi reproduite in extenso. C’est l’autorisation de prêcher le Carême dans les églises de Doazit (paroisse voisine de Horsarrieu) que lui accorde son évêque, Louis de Fromentières. Le document est rare et curieux encore que bien des termes soient simples formules de style.

 

     « Joannes Ludovicus de Fromentières, miseratione divina et auctoritate Apostolica Adurensium Episcopus et Dominus, Dilecto nobis in Christo Magistro Arnaldo Busquet, presbytero nostrae Adurensis diœcesis et in ecclesia nostra collegiata Sancti Geruntii canonico, Salutem et benedictionem. De tua capacitate et doctrina fide dignorum testimoniis certiores facti, et de tua pietate, prudentia et zelo plurimum in Domino confidentes, operantesque quod ea quæ tibi duxerimus committenda sedulo curabis adimplere, Idcirco te ad sacras verbi divini conciones in ecclesiis parochialibus oppidi de Douazit dictæ nostræ diœcesis proximo quadragesimo tempore pro more ad populum habendas elegimus, rogamusque parochos dictarum ecclesiarum te benigne excipiant, ceterosque dicti oppidi incolas ut tibi grata benevolentiae pro solita laudabilique consuetudine impendant obsequia, omnibus prohibentes ne alium in concionatorem hoc dicto tempore admittere praesumant, tibi praeterea sacramentales utriusque sexus pœnitentium confessiones audiendi eosque e peccatis, exceptis tamen casibus authoritati nostrae a jure vel consuetudine reservatis, absolvendi pro dicto dumtaxat tempore in prædictis ecclesiis et aliis dicti oppidi ubicumque haberi consueverunt, licentiam concedimus et protestatem impertimur. Datum Aduri in palatio nostro episcopali sub signo sigilloque nostris secretariique nostri chirographo die nona mensis Novembris anno Domini millesimo sexcentesimo septuagesimo quarto.
     Joannes Ludovicus Ep[iscopu]s Adurens.

               De Mandato Illustrissimi et Rmi D.Domini Adurens. Episcopi Domini mei, SORBIER (1). »

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(1) Archiv. particul.

 

[17]

     Intelligence, piété, doctrine, zèle et talents oratoires, n’est-ce pas, même sous la réserve que nous venons de faire, un bel éloge, surtout sous la plume ou la garantie de Fromentières, un évêque aussi zélé qu’expert dans l’art de bien dire ? D’autre part, le chapitre de Saint-Girons lui reconnaissait d’autres aptitudes encore en le nommant jusqu’à deux fois de suite son syndic (1677-1685). Il était ainsi chargé de poursuivre la rentrée des fonds, réduire la résistance des mauvais payeurs, entamer ou soutenir les procès, se tenir en un mot toujours sur la brèche pour assurer la bonne gestion du temporel de l’abbaye et son intégrale conservation.

     Mais le maniement des fonds abbatiaux ne l’empêchaient pas de veiller à l’accroissement ou à l’amélioration de ses propres revenus. Ainsi nous le retrouvons résignant définitivement en 1676 la prébende de Busquet, qu’il avait reprise, pour se mettre en possession du diaconé de Pouy qu’il conserva jusqu’à sa mort. Cela d’ailleurs s’était fait en famille. Augier de Busquet, son oncle, conservant sa cure de Horsarrieu, s’était démis en faveur d’Arnaud de son diaconé de Pouy qui valait au moins 150 livres, et avait pris en légère compensation la prébende familiale et quasi-héréditaire de Busquet beaucoup moins rentée (1). Ce ne sera pas le dernier échange.

     Cependant les années s’accumulaient sur la tête de notre chanoine, et beaucoup plus que les engouements d’une mode dont la modestie professionnelle ne défendait même plus le monde ecclésiastique (2), toute une foule...

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(1) Arch. des Landes, dossier Busquet.

(2) Sur cette pénétration de la perruque dans le monde ecclésiastique on peut voir : A. DEGERT, Histoire des Séminaires français, Paris 1912, t. II, p. 49 et suiv.

 

[18]

...d’incommodités et d’infirmités dont il nous fait l’effrayante énumération dans sa supplique portèrent notre satirique à chercher dans un couvre-chef d’emprunt le moyen de protéger sa tête contre la rigueur des saisons et l’humidité de l’air natal. Il demanda, par voie hiérarchique et avec force attestations médicales, autorisation de porter perruque même à la messe. L’autorisation lui fut accordée sur le champ. Les formules de ce genre sont assez rares, pour que celle-ci, m’ait paru mériter les honneurs de la publicité. La voici en sa teneur originale :

 

     « Joannes Maria de Prugue, presbyter in sacra theologiae facultate doctor, abbas sive Decanus ecclesiæ saecularis et collegiatae Sancti Leborii, necnon illustrissimi ac reverendissimi D. Domini Joannis Ludovici de Fromentieres, Dei gratia Adurensium Episcopi et Domini Regis a sanctioribus consiliis, etc. Dilecto nobis in Christo magistro Arnaldo du Busquet presbytero doctori theologiæ, canonico ecclesiae collegiae Sancti Geruntii hujus Adurensis diœcesis Salutem in Domino. Supplicasti nobis quatenus tibi qui variis capitis, gutturis, aliarumque inferiorum partium affectibus obnoxius existis, ob cerebri tui singularem, qua laboras a septennio, humidam frigidamque intemperien, unde calvities exorta et pluribus aliis symptomatis afflictus existis, etiam cum periculo, ne in alios affectus rhumaticos instante automno vel hyeme subsequente incidas, nisi maxima cautela istam partem tuearis ab aeris frigidi injuriis, ipsam calefaciendo, fovendo et roborando, tuaeque valetudini et conscientiae quieti in præmissis opportune consulentes, dispensationis gratiam tibi ut infra gratiose impendere velimus et dignemur.
     Cum igitur dictae tuae infirmitati nihil magis, ut asserunt doctores medici quorum testimonia in scriptis nobis exhibuisti, contrarium esse videatur quam si vel tantillum temporis, etiam in sacris faciendis, inoperto capite extiteris, quod tamen ex officio facere sæpè teneris, Idcirco nos tecum benigniùs agere et te eximio favore prosequi volentes, quo tuum hac in parte desiderium adimplere queas, ut deinceps, quoties infirmitas tua exegerit, parvam cæsariem sive pyrrichium, etiam in altaris ministerio et sanctum...

 

[19]

...missæ sacrificium celebrando, in capite licite gestare possis et valeas, nonobstantibus constitutionibus, decretis, ordinationibus et cœteris contrariisque quibuscumque authoritate nostra vicaria, tecum in Christo dispensamus. Datum Monte Martiano in aedibus nostris die vigesima prima mensis Augusti anno Domini millesimo sexcentesimo octogesimo (1).
               J.-M. DE PRUGUE, Vic. glis.
     Per dictum venerabilem Dominum vicarium generalem, FOUSSIER. »

 

     La requête de l’illustre rhumatisant devait être évidemment aussi originale que la formule de la dispense est motivée ; les faux nobles ne l’auraient peut-être pas contresignée, mais il en ressort néanmoins que ses supérieurs hiérarchiques tenaient à sa santé comme à une des plus précieuses du diocèse.

     Notre chanoine avait quelque argent ; il en usa pour acquérir, à la mort d’un de ses confrères, la maison dite de Candau, en Saint-Girons, payée 600 francs à Messire Joseph de Candau, conseiller au parlement de Navarre et frère de Théophile, le dernier possesseur (2).

     Me Arnaud de Busquet a-t-il été un moment abbé de Saint-Girons ? Nous serions tentés de le croire en lisant le contrat de mariage de noble Christophe Durou avec Jeanne de Busquet, nièce du bon chanoine que le notaire par distraction peut-être a qualifié pour la circonstance d’abbé de Saint-Girons. Mais comme le titre d’abbé ne paraît que là – et peut-être avons-nous mal copié ? - ...

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(1) Arch. particul. Ce document si curieux n’est pas précisément inédit car nous l’avons déjà publié dans la Sem. Relig. d’Aire, 1900, p. 606 ; mais nous ignorions alors que le bénéficiaire était notre malin poète.

(2) Arch. des Landes (n. cl.).

 

[20]

...et qu’il ne peut s’accorder avec les dates extrêmes authentiques et connues des abbés de l’époque, il faut renoncer à cette hypothèse (1).

     Ce qu’il y a de plus sérieux et de plus positif fut le multiple héritage qui lui échut par la mort de son oncle, Me Augier de Busquet, lequel se sentant de plus en plus impotent et décrépit, commença par résigner en faveur d’Arnaud la cure de Horsarrieu, résignation qu’il parvint à faire agréer par le chapitre de Saint-Girons, patron du bénéfice, et surtout par Rome, bien que le résignataire fut déjà pourvu d’un canonicat, de la prébende de Larrezet et du diaconé de Pouy. Non content de cette libéralité, après avoir recommandé qu’on l’ensevelît « au presbytère de l’église paroissiale Monsr Saint-Martin dud. Horsarrieu en l’endroit ou messieurs les curés ses prédécesseurs ont esté ensevelis », après avoir pourvu au salut de son âme par de nombreux legs pies, l’oncle débonnaire institua pour son héritier général et universel Me Arnaud du Busquet, prêtre et chanoine de Saint-Girons, son neveu. (19 mai 1693).

     La valeur de cet héritage, qui nous la dira ? Toujours est-il que les confrères l’entourent désormais de soins, de prévenances, d’attentions diverses, jusqu’à lui donner à nouveau la charge de syndic qu’il exerçait de plus belle à la veille même de sa mort.

     Son influence fut même prépondérante lorsqu’il fut question, en 1715, de désigner le successeur de son compatriote de Horsarrieu, l’abbé Pierre Dabadie. Trois compétiteurs se disputaient la succession : M. de Barry, lieu-...

---

(1) A la réflexion, je m’arrête à une troisième hypothèse : il n’en coûtait pas plus au faussaire du XVIIIe siècle de qualifier notre bon chanoine d’abbé que de noble.

 

[21]

...tenant-général de Saint-Sever, l’abbé d’Arboucave et le sieur Laborde, curé de Benquet. M. de Barry était nommé par l’Ordinaire, l’abbé d’Arboucave par Rome, et Laborde par lui-même, pour ainsi dire, prétendant emporter le bénéfice en vertu de ses grades. Mais M. Busquet fit nommer par délibération canoniale « le sr César Dabadie d’Espaunic au doyenné de Saint-Girons, et il mit tout en œuvre pour le faire maintenir dans cette place (1) ». Il y réussit d’ailleurs, puisqu’après des plaidoiries sans fin, le parlement de Bordeaux jugea que César Dabadie serait maintenu (1717).

     C’est à notre syndic Busquet que fut adressée la lettre suivante de Gaspard Montmorin de Saint-Hérem, évêque d’Aire. Elle fait allusion à un vieux procès, qui traînait depuis cent ans, entre les évêques et le chapitre de Saint-Girons à propos des novales réclamées par le chapitre à son vicaire perpétuel de Hagetmau, et dont l’évêché s’était engagé depuis 1330 à garantir la perception.

     Comme ni la question ni la lettre ne sont guère connues, nous insérons ici cette missive :

 

     « Il est très-juste, Monsieur, que le chapitre de Saint-Gerons conserve ses droits, et que pour cette fin il fasse au sénéchal de Saint-Sever quelque procédure qui empêche la péremption de l’instance commencée. J’y donne volontiers les mains, bien entendu néantmoins que conformément à vostre lettre de ce jour on se contentera d’empêcher simplement cette péremption, et qu’on ne suivra cette instance qu’après mon retour de Paris. J’en ay parlé dans les mesmes termes à feu Mr vostre abbé, que Dieu absolve, et que je regrette de bon cœur. Il m’avoit promis une copie de la transaction passée avec l’évêque d’Aire, par laquelle cet évêque s’obligea ainsi que ses successeurs à garantir vostre chapitre des...

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(1) Archiv. de Saint-Girons. Hagetmau.

 

[22]

...demandes que pourroient faire certains curés touchant les novales (1). Je vous prie de me donner cette coppie, ensemble un mémoire des jugements ou traittés qui depuis sont survenus sur cette affaire, afin que pour une fois je me mette bien au fait, et que je sois en état de convenir de ce qui sera raisonnable. Vous pourrés envoyer ces pièces à Mr Roux (2) qui demeure icy, et qui me les envoiera. Je suis, Monsieur, sincèrement et de bon coeur entièrement à vous.
               † L’Evêque d’Aire.
     Ce 2 May 1715, à Aire ».

 

     Cependant notre bon chanoine touchait à sa fin. On le voit encore en 1719 ; mais il était mort avant le 25 septembre de cette année, sans que nous puissions pour le moment préciser davantage. Il n’est pas mort tout entier. Son œuvre littéraire jalousement conservée dans les meilleurs tiroirs de famille lui survivra. Sa mise au grand jour de la publicité sera, je crois, la justification, la confirmation de notre dire, et donnera des talents du malicieux chanoine une opinion assez avantageuse.

 

     Qualités et défauts littéraires. – Sans vouloir nous enthousiasmer outre mesure, nous pensons qu’on peut louer dans notre poème des vers faciles et abondants, une forme généralement aisée, élégante parfois, des descriptions assez pittoresques, des traits vifs, malins dont quelques-uns se graveront dans la mémoire, beaucoup plus d’esprit que de méchanceté, ce qui en rendra la lecture particulièrement intéressante et agréable. La langue n’est pas toujours d’une pureté irréprochable, des gasconismes d’expression et d’orthographe accusent trop sou-...

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(1) Il s’agit de la transaction de 1300 par laquelle, sous la condition ci-dessus indiquée, le chapitre de Saint-Girons céda à l’évêque d’Aire la moitié des dîmes de Horsarrieu et Saint-Jean-d’Aulès avec la quarte de celles de Dumes.

(2) Antoine Roux, alors percepteur, puis vicaire-général.

 

[23]

...vent l’influence du terroir. Il y a bien aussi des prosaïsmes dans ses vers et des rimes pauvres à l’excès. Quelques discours sont bien longs. Ses personnages aiment à disserter à tout bout de champ, et au moment où l’on croit en avoir fini, ils recommencent encore à parler. Aussi l’action traîne parfois lamentablement. A un autre point de vue, quel dommage que notre Juvénal landais n’ait pas mis les points sur les i, en donnant les noms vrais de ces faux nobles qu’il flagelle si spirituellement, pour ne pas dire parfois si cruellement. Aussi en est-on réduit souvent à chercher, sans trouver, à qui s’appliquent les pseudonymes dont il a affublé le nom de ses victimes. C’est un livre à clef, ce qui ne diminuera pas son intérêt, au contraire. Mais en attendant qu’on résolve tant de problèmes, nous restons dans l’embarras, et c’est là un inconvénient.

 

     Manuscrits divers. – Avons-nous le texte original ? Ce n’est pas probable ; aucun des manuscrits consultés ne portant de signature. En tous cas, celui que nous imprimons nous paraît se rapprocher davantage du texte primitif ; il a été en effet trouvé dans une liasse de papiers venant de Horsarrieu et appartenant à la maison de M. de Busquet, ancien maire de Saint-Sever. Il présente, du reste, tous les caractères d’un écrit de la fin du XVIIe siècle.

     Il ne porte aucune des additions qui constituent chez les autres d’évidentes interpolations. Ce manuscrit, qui appartient à M. Lafargue de Horsarrieu, est un cahier de 28 pages, format in-18, sans pagination, ni ponctuation. Nous respecterons l’orthographe, mais pour la facilité du lecteur, nous mettrons les guillemets, les accents, les points et les virgules indispensables.

 

[24]

     L’édition que nous avons entreprise est avant tout critique. Nous prendrons pour base ou plutôt nous reproduirons intégralement le texte du manuscrit, - que nous appellerons : manuscrit de Horsarieu, - sauf à publier en note les variantes empruntées aux autres copies qui présentent quelque intérêt.

 

     Ces copies sont au nombre de quatre :

 

     1° La plus importante de ces copies – que nous appellerons Manuscrit du Pont – parce qu’elle appartient à M. du Pont, avocat de Saint-Sever, a l’avantage de présenter les variantes les plus nombreuses, les plus longues et les plus intéressantes. Elle se termine par deux couplets ajoutés sûrement après coup pour satisfaire, sans doute, quelque rancune particulière. On lit, en effet, en marge des rimes qui ne sont pas dans les autres copies : « Vers ajoutés depuis la fin de la pièce. C’est celuy dont je vous avés fait l’explication. » Or, comme il s’agit dans ces vers ajoutés d’un certain Segas, il est à présumer que le copiste avait donné à son correspondant des explications préalables dont malheureusement nous n’avons pu retrouver la moindre trace. Le manuscrit du Pont contient 30 pages in-18°, d’une écriture qui paraît être de la première moitié du XVIIIe siècle. Il semble qu’il y ait dans le filigrane le mot « Mondeverdir (?) »

 

     2° Le Manuscrit Léon-Dufour. Le savant généalogiste de Saint-Sever a mis le plus aimable empressement à nous communiquer la copie qu’il avait prise sur un manuscrit du XVIIIe siècle extrait des archives de M. Balleton, de Saint-Sever. Ce texte a l’avantage, outre de précieuses variantes, de nous donner une date et des noms...

 

[25]

...propres. On y lit : « S. Genez et Fautoux, 1757 », copistes, sans doute, ou peut-être mieux possesseurs du manuscrit en question. M. Léopold Sudre a écrit sur cette copie des remarques diverses dont nous avons déjà fait notre profit.

 

     Les deux copies ci-dessus sont d’ailleurs complètes.

 

     3° Manuscrit de Laborde. Cette copie au moins aussi ancienne que celle que nous éditons a le grand tort d’être incomplète et de s’arrêter aux trois-quarts du poème. Elle a 12 pages in-12 écrites seulement sur la première moitié du feuillet. Elle appartient à M. Robert de Laborde d’Arbrun, le chercheur bien connu de Montfort, l’heureux possesseur de nombreux trésors littéraires, généalogiques et artistiques dont il ne cesse d’enrichir ses précieuses collections.

 

     4° Manuscrit de Classun. Encore plus incomplète est cette copie trouvée dans les archives de cette ancienne maison. Elle n’a que 8 pages in-8° et ne donne ni le commencement ni la fin. Mais elle paraît contemporaine de l’auteur et transcrite par quelque habitant de Hagetmau, qui cherche et manque rarement l’occasion de gloser sur le seigneur du cru.

 

     Toutes ces copies ont leur intérêt. En tous cas, elles nous ont servi pour rendre la physionomie de l’œuvre du plaisant chanoine et en donner une idée aussi ressemblante que possible.

 

     Date de la composition. – Qui a inspiré la satire contre les faux-nobles ? Qui a provoqué le modeste chanoine à persifler en eux la vanité landaise ou si l’on veut la vanité humaine ? Ne serait-ce pas l’exemple même de Pel-...

 

[26]

...lot ? l’impitoyable intendant qui, sur l’ordre du Roi Louis XIV, peu après son arrivée en notre pays, se livrait, dans un intérêt fiscal, à l’examen et à la vérification des titres nobiliaires. Tous les nobles ou soi-disant tels étaient sommés de produire leurs titres. Malheur à eux s’ils n’en produisaient pas d’authentiques, valables depuis cent ans au moins. Ils étaient condamnés sans merci à une amende qui débutait par un minimum de mille livres, intérêts et dépens. Pellot fut le véritable huque des faux nobles, et je conçois, à voir la déconfiture de bon nombre d’anciens titrés et la pluie d’amendes qui tombait dru sur leurs titres frelatés qu’un roturier, homme d’esprit comme l’était le chanoine Busquet n’ait pas su résister à la tentation de donner libre cours à sa verve.

     Pellot et son subdélégué Daillenc de Dax ayant convoqué, approuvé ou condamné en 1666 et 1667, il est assez vraisemblable que notre poème a dû suivre d’assez près cette mémorable hécatombe. En 1671, notre chanoine était dans la pleine maturité de son talent. Je crois donc, jusqu’à preuve du contraire et en l’absence de toute indication plus précise, que « Le huque des faux nobles » a dû être composé à cette date ou aux environs (1).

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(1) Que sont devenus les deux volumes originaux des Jugements de condamnation ou de maintenue prononcés par Claude Pellot ? Ils semblent perdus à tout jamais. Nous avons rencontré, au cabinet des titres, quelques productions des nobles assignés dans les Landes, très-peu, mais entre autres celles de MM. de Prugue et de Saint-Martin-Lacaze, du plus puissant intérêt : ce qui avive et redouble nos regrets pour la perte de ces inestimables procédures.

 

[27]

 

Le huque des faux nobles

 

Satyre burlesque

[Début de page]
[Préface]
[Généalogie de la famille de Busquet]

_______

 

Roture, très-bonne  personne,
Tenoit son siège dans Bayonne
Où loin du noble et de la cour
Elle avoit fixé son séjour.
Là, parmy les gens d’écritoire,
Gens de marine, gens de foire,
Gens de boutique et de palais,
Elle couloit ses jours en paix,
Goûtant sans bruit et sans envie
Toutes les douceurs de la vie,
Et sans chagrin passant le temps,
L’un jour en ville et l’autre aux champs, (1)
Lorsque le sindic de Chalosse
Non moins essoufflé que sa rosse, (2)
Sans quitter botte ny manteau,
Vint l’aborder dans son château.

 

« C’est fait de vous, dame Roture :
Chacun aujourd’huy vous abjure,
Luy dit-il d’abord en entrant,
Et votre sindic vous apprend
Que hors les gens menant charrue
Ou tenant boutique sur rue,

---

(1) Bayonne, ville roturière par excellence, bien que peu connue sous ce jour spécial, pouvait justifier l’appréciation du malin chanoine par le grand nombre de greffiers, procureurs, marchands surtout, armateurs et négociants qui y ont toujours pullulé. Nous pourrions néanmoins citer quelques hommes d’armes de l’époque, les de Rol, du Sault, de Laborde, de Lalande, de Bruix, etc., et même de la bonne noblesse, comme les Larralde, Daguerre, Haïtze, d’Urtubie, etc. Il est vrai que ceux-ci sont plutôt des environs.

(2) Plus hatée qu’un coureur de rosse (LAB.).

 

[28]

Tous vous donnent le démenti
Et désertent votre parti.
La plus modeste bourgeoisie
Vous rit au nez et vous renie.
Enfin il ne vous reste [... (?)]
Que le bonnet et le sabot.
Honteux de me voir à la tête
D’un tas de gueux je deviens bête,
Et vous remets mon sindicat,
Car il n’est plus de tiers état ».

 

Jugez comme dame Roture
Sentit vivement la piqûre.
A peine arrêtant ses sanglots,
Elle prononça ces deux mots :
« Un commissaire, un commissaire !
Unique salut que j’espère.

 

- Madame, qu’avez-vous songé ?
C’est faire du loup le berger,
Reprit le sindic en colère.
Gardez-vous bien d’un commissaire
Quoy donc, ne vous souvient-il pas,
Ce que fit Pons (1) en pareil cas ?
Jugeant au poids de sa balance
La noblesse par la finance :
Car il tenoit à prix compté
Boutique de nobilité.
Ecussons, armes et livrée
Etoient son enseigne à l’entrée,
Champ d’or, champ d’azur ou d’argent :
Nargue pour toy, noble indigent.
Pons te dégrade sans ressource
Si tu n’as les titres en bource (2)

---

(1) Il s’agit peut-être de Me Pierre de Pons, greffier du présidial de Dax, 1655-1686, marié à Marguerite Daillenc, dlle.

(2) Tout le mérite est dans la bource (LAB.).

 

[29]

Alidor, parti roturier
De Dax, retourna chevalier :
Mais le cheval de ce bonhomme
Sentit bien que ce gentilhomme
Pesoit, au retour sur l’harnois,
Cincq cens livres moins qu’un bourgeois (1).
Lydas, pour passer gentilhomme,
S’obligea d’une grosse somme.
Aujourd’huy son bien décrété,
Victimes de sa vanité,
Ses enfans, faute de pâture,
Regrettent trop tard la roture (2).
Licidas, pour un titre vain,
Y laissa le prix de son vin,
Puis emprunta du grain pour vivre.
Le marchand, qui n’étoit pas yvre,
Luy répond sans faire le fin :
« Je baille du grain pour du vin :
Mais je gâterois mon ménage
Prenant votre titre pour gage,
Car comptant la dette pour prest,
Mon hypothèque et l’intérest,
Par votre noblesse naissante
La dette seroit bien risquante ».

 

Mon voisin, grâces aux perdreaux,
Tient rang parmi les hobereaux
Et doit sa qualité prétée
Plus à son chien qu’à son épée.

 

Mais ce n’est pas le seul endroit
Par où l’on grève notre droit :
Rien ne gâte tant vos affaires
Comme la plume des faussaires.
Voilà l’abus, voilà le mal
Quy va vous mettre à l’hôpital !

---

(1) Maintes livres moins qu’un bourgeois (LAB.).

(2) Ces six vers ne sont pas dans les autres manuscrits.

 

[30]

Voilà, Madame, je vous jure,
La mort aux rats de la roture.
Les Capets, Bourbons et Valois,
Ont moins annobli de bourgeois,
Et fait d’écuyers dans leur vie
Que n’ont fait Delcamp (1) et Sylvie.
C’est assez d’avoir un beau nom
Pour scalader une maison ;
Un nom de terre ou seigneurie
Est reste de droit pour Sylvie.
Il prouvera par bons contrats,
Par testaments et par légats,
Que vous sortez de cette race
Si vous payés de bonne grâce (2).
Un bâtard a-t-il bien de quoy
Il le fera de bon aloy,
Et, par un détour tout contraire
Ce subtil et hardy faussaire,
Lorsqu’un proche fut roturier,
Procureur, notaire ou fermier,
Ou qu’il eut par quelque bassesse
Dégénéré de la noblesse,
Un coup de plume de son art
Fait d’un bon germain un bâtard.
C’est ainsy que d’une encre blême
Comme par un second batême
Colas fut par un homme tel
Lavé du crime originel.
Il manquait à sa pauvre mère
Un contrat signé de notaire
Pour être femme de Dorgas.
Mais un bon fils comme Colas (3),

---

(1) Delcamps (Léon-Duf.) Qui nous dira à qui fait allusion notre satirique ?

(2) S’il est payé d’une main grasse (mss. LAB. et Du P.).

(3) Variante d’autres mss. :
               Colas, de son honneur jaloux
               Vient de luy trouver un époux
               Qu’elle n’eut point durant sa vie :
               Elle en a, grâces à Sylvie.
               Le contrat paroit ; c’est assez,
               Quoyque fait entre trépassez.

 

[31]

Répare l’honneur de sa mère,
Luy donnant pour époux son père,
On voit le contract : c’est assez,
Quoique fait entre trépassez
Mais avec quelle ignominie
Ont-ils exercé leur manie
Contre notaires et sergens
Et tous autres semblables gens
Qui par leur plume mercenaire
Eternisent leur caractère !

 

Qui ne sçait qu’Argant a fouillé
Archives, greffes et pouillé
Pour ensevelir la mémoire
D’un ayeul, homme d’écritoire,
Dont le nom au pied des contrats
N’est pas encore mangé des rats
Et porte guignon à la gloire
De cet ingrat dont l’âme noire
Cache avec soin le testament
Qui le fait vivre noblement. (1)

 

Avant ces insignes faussaires
Et ces avares commissaires,
Les nobles de notre détroit
N’étaient pas certes à l’étroit.
Ils paroissoient sur notre terre
Comme les loups en Angleterre,
Comme en Biscaye les docteurs,
Dans l’Empire les électeurs (2).
A présent, si je les compare,
Il n’est icy rien de moins rare,
Gramercis (3) à ces compaignons,
Que les nobles et les oignons ».

 

Le sindic alloit encore dire

---

(1) De cet homme vêtu de moire (LAB. et Du P.).

(2) D’abord au nombre de sept, puis de dix seulement.

(3) Gasconisme d’expression, pour grand merci.

 

[32]

Cent choses bonnes à satire,
Mais la dame l’interrompit,
Et, fondant en larmes, lui dit :
« L’avis est bon, mais quel remède ?

 

- Je n’en sçais aucun, ou Dieu m’aide,
Reprit le sindic aussitôt,
Si vous ne tâchez au plutôt
De débrouiller par sûre voye
La bonne ou la fausse monnoye,
Et de démêler avec soin
Tout ce qui n’est pas du fin coin,
Pour rejoindre à votre domaine
Ce que chaque jour on alliène,
Et punir par notables griefs
Tous ceux qui fraudent notre fief ;
Mais non plus par le ministère
D’un partisan ou commissaire,
Qui du sang font la transfusion
Par une plus rare invention
Que ces médecins empiriques,
Les métamorphoseurs chimiques,
Qui pour rajeunir les humains
Font des essais brutaux et vains,
Et par leur méthode indiscrète,
Mettent en l’homme un sang de bête.
Ceux-cy plus favorablement,
Seignant la bource largement,
Sur des gens quy n’ont pas cinq lustres (1)
Transmettent le sang des illustres,
Et vendent aux plus méprisés
Des ayeuls parmi les croisés.

 

Voicy donc ce que je propose,
S’il vous plaît de goûter la chose.
Je ne sçay si vous avec sceu

---

(1) Lustre, espace de 5 ans.

 

[33]

Qu’un huque nouvel a pareu
Arrivé, dit-on, de Grenoble,
Et c’est le huque du faux noble.
Cet homme, par son art divin,
Connoit le faux noble ou le fin,
Et développe le mistère
Quy cache votre caractère.
Ils ont beau déguiser vos airs,
S’engendarmer des noms divers,
Charger leurs laquais de mainte aune
De galon verd ou bien du jaune,
Parler chasse ou guerre en tous lieux,
Rien ne peut fasciner ses yeux.
Il voit aussi bien votre allure
Sous le plumet que sous la bure,
Et sous le plâtre et le plafond
Du bois il tâtonne le fonds.

 

Quel plaisir ! qui peut assez rire
Lorsqu’on entend le huque dire
A quelque fanfaron tout haut ?
« Monsieur, j’aperçois le crapaut,
Et je vois sur votre moustache
Le rabot, l’enclume ou la hache
Dont vos pères, il fait cent ans,
Vivoient et tenoient contens ».

 

Vous pouvez à présent, Madame,
Deviner ce que j’ay dans l’âme
Et juger bien que mon conseil,
Dans un événement pareil,
Est de citer devant cet homme
Quiconque se dit gentilhomme,
Pour subir un tel examen ;
Que le condamné dise amen,
Et que jamais il n’ait l’audace
De vous plus disputer sa race.
Mais il faut que Nobilité
Vous prête son authorité

 

[34]

Pour procéder selon la forme,
Et que d’un intérêt conforme
Au nom des deux incessament
On leur donne l’ajournement,
Pour que la chose étant réglée,
Et la noblesse démêlée,
Chacune comme un cher dépôt
Garde ce qu’elle aura pour lot ».

 

Jamais avis dans une affaire
Ne fut trouvé plus salutaire.
Roture en conçut grand espoir,
Et, relevant son crêpe noir,
Au sindic fit un coup de tête,
Et puis luy donnant sa main droite,
Le fit asseoir sur un fauteuil, (1)
Et donnant trêves à son deuil :
« Vous êtes un de nos plus sages,
Et j’entends qu’on double vos gages,
Luy dit-elle ; mais sans tarder
Que chaque noble soit mandé,
Avant qu’il passe deux semaines,
De se rendre sous grandes peines
Dans le petit bourg de Saint-Cricq, (2)
Et surtout, Monsieur le sindicq,
Vous quy scavez l’art de harangue,
Affilez si bien votre langue
Que madame Nobilité
Daigne approuver votre arrêté
Et se trouver en diligence
Au lieu pris pour la conférence,
Où le huque de ce requis
Viendra pasquiner nos marquis.
Pour moy, grâces à ma voiture,

---

(1) Ce vers et le suivant manquent dans les mss. LAB., CLASSUN et Du P.).

(2) Saint-Cricq-Chalosse (canton de Hagetmau, Landes) est le berceau des de Poudens et de Lataulade, deux maisons de haute noblesse.

 

[35]

Je n’en fairay pas court d’une heure (1).
Allez, vous sçavez nos besoins (2)
Je me repose sur vos soins ».

 

En effet, à Dax, d’une traite
Elle vint prendre sa retraite,
Où les bourgeois, ses bons amis,
Toujours fidèles et soumis
Vinrent en corps luy faire hommage,
Excepté deux du haut étage (3)
Et deux autres dont l’un, ma foy,
N’est pas si noble que le Roy (4).
Roture de gloire comblée
De voir si grande assemblée,
Et l’élite du tiers-état,
Leur donna ce certificat :
« Bons orateurs (5), méchants gens d’armes,

---

(1) J’y seray demain à l’une heure (Du P.) ; J’y seray dimanche à l’une heure (CLASS.).

(2) Allez, courez à nos besoins (Du P.)
               Allez, Monsieur, dès ce moment :
               Pour moy je pars incessament. (Mss CLASS.).
               Et vous, partez incessament,
               Et ne perdez pas un moment. (L.).

(3) De ce passage un peu vif il y a plusieurs variantes :
               Excepté deux du haut étage,
               Et trois autres... (LAB. Du P. et DUFOUR).
               Excepté trois du haut étage
               Et trois autres...

(4) Sans doute les de Borda d’Oro, de S. Martin, d’Antin de S. Pée, de Betbeder et quelques autres qui se targuaient, avec raison d’ailleurs, d’une noblesse plus ancienne.
     Dax était cependant appelée, au Moyen-Age, la ville des nobles. A la fin du XVIIe siècle on voit parmi les plus huppés les de Borda, d’Antin de S. Pée, de S. Martin, de Lalande, Dupuy de Sauvescure. Ce sont là probablement les quatre ou cinq qui trouvent grâce, et encore !

(5) Sans doute Arborius était de Dax, quelques chanoines ont prêché de retentissants panégyriques, plusieurs avocats ont laissé des mémoires tous manuscrits, et l’éloquence officielle et municipale s’étale avec complaisance en un cahier-formulaire du XVIIe siècle qui fait partie des Archives de M. de Laborde : mais les Dacquois beaux diseurs, laissant pour la gloire d’écrire, aux braves le soin de l’empire, n’est-ce pas une révélation... de la réalité ?

 

[36]

Dont jamais par le droit des armes
Nul ne s’est soustrait de ma loy,
Faites quelque ode pour le Roy,
Laissant pour la gloire d’écrire
Aux braves le soin de l’empire ».

 

Cependant l’avis fut porté
A madame Nobilité
Quy, nonobstant la chambre ardente,
En Périgord est résidente.
D’abord le lendemain matin
Tout son train parut en chemin,
Et vous n’ignorez pas sans doute
Les avantures de la route.
Au Mont-de-Marsan arrivant :
« Fouette, cocher, dit-elle : avant !
C’est la seule ville de France
Où je n’ay pas de connaissance (1).
A propos, il faisait beau voir
Mille hommes d’Armagnac le Noir
Et du Blanc Armagnac deux mille
L’escorter jusque à cette ville.
La dame dans son plus beau jour
N’eut jamais de si grande cour.
Mais ce qui la rendit chagrine,
Chacun l’appelloit ma cousine,
Et sans façon ni compliment
Ils mangeoient tous à ses dépens.

---

(1) Les cinq manuscrits sont unanimes à donner ce vers sans aucune variante. Et cependant il y a bien des marquis du Lyon, des comtes d’Avaux, des barons du Poyferé, mais... dans le voisinage. Dans les Carrés d’Hozier, vol. 67, p. 222, nous avons trouvé la précieuse annotation suivante : « Nobles de Marsan vérifiés sans conteste par Claude Pellot. Valier La Crauste ; Cafaget ; Les Talances (les Camon-Talance) ; Dulin, baron de Marsan ; Ferbeaux du Tastet ; Daons, baron de Honteanx ; Lompagieu (abbé de la Castelle) ; les Laminsans ; Taret de Loubens ; Mélignan ; Maignos : Rimblès ; les Mesmes ; Joseph Sabourié (qui est-ce ?) ; Daniel de Frère ; Messieurs de La Sale ; Caucabane Baudignan ; Charles de Batz ; Cours ; Victor Laborde, sgr de Tampoy. »

 

[37]

Et comme cette grande escorte
Voulut la laisser à la porte,
Un marquis luy fit compliment :
« Parbleu, madame, franchement
Cette troupe vous fait excuse
De ce quelle est si peu nombreuse (1).
Si l’on eut remis à l’été
Ce voyage précipité,
L’on auroit fait passer en file
Des nobles plus de quinze mille,
Mais en hiver il fait crotté,
Et tout noble n’est pas botté.
Ouy, morbleu, ma chère cousine,
J’ay encore assez bonne mine,
Pour dire au Roy, notre cousin,
Que s’il lui plaît un bon matin
     Envoyer une colonie
     De noblesse bien unie
Pour peupler les païs nouveaux
Nous en remplirons vingt vaisseaux.
Il peut mieux que l’ancienne Rome
Faire un peuple tout gentilhome,
Tous braves et vaillants soudards,
Enfin un peuple de Césars.
Je veux lui faire cette avance
Et demander pour récompense
Que, par amour paternel,
Il nous permette le duel,
Si cela lui fait tant de peine,
Du moins une fois par semaine,
Etant trop sur et trop certain
Qu’il meurt plus de gens de chagrin
Chez nous de ne pouvoir se battre

---

(1) Ces rimes pour l’oreille indiquent quelle était, à cette époque, la prononciation de eu dans les Landes.

 

[38]

Qu’il n’en mourroit pas pour combattre (1).
Enfin, si c’est votre plaisir,
Cette noblesse est de loisir
De vous faire fidèle escorte
Jusqu’à la prochaine récolte. »

 

La dame répond doucement
A ce vigoureux compliment :
« Entre cousins, je vous en prie,
Monsieur, moins de cérémonie,
Notre maître d’hôtel est las
De tant d’honneurs et de tracas,
Et comme il n’a point de soucoupe
Pour trois mille seigneurs en troupe
Qui viennent manger dans l’hôtel,
Il craint qu’on ne luy fasse appel.
D’ailleurs, Monsieur, quelle apparence
Que ce grand train plus loin avance !
Il ne faut dissimuler rien,
Comme vous, nous le sçavons bien,
Que si vos jumens polinières
Ne rentrent tôt dans vos chaumières
Cinq cent poulins mourront de faim
Si vous restez jusqu’à demain » (2).
Aussitôt la réponse faite,
Le marquis sonna la retraite,
Et la dame de son côté
Dit au cocher de se hâter.
« Sans ces harangueurs, sur mon âme,
Nous serions à Saint-Cricq, Madame,
Dit le cocher ; mais nous voicy
Hors de tout péril, Dieu mercy.

---

(1) Les mémoires du temps parlent en effet de plusieurs gentilshommes de l’Armagnac tués en duel. Mais qui nous donnera l’Armorial ou le Nobiliaire de l’Armagnac ?

(2) A titre de consolation pour nos voisins si maltraités, on peut soutenir que les marquis d’Argencourt plus que les barons de Sainte Abondance foisonnent un peu partout.

 

[39]

Nous n’entrons que dans une ville
Où je passerois pour habile :
Car à Saint-Sever, sur ma foy,
Ils sont moins orateurs que moy
- Ces gens ont bonne renommée
Dans l’église, en cour, dans l’armée,
Dit Madame Nobilité.
S’il en est peu de qualité (1),
Ils ont de l’esprit, du courage ;
Les grands leur rendent témoignage,
La pluspart d’eux ont le bon air
Et méritent d’aller de pair
Avec le mieux fait gentilhomme.
Tout noble n’est pas honnête homme,
Mais un noble sans probité
S’annoblit par sa qualité. »
En causant de cette manière,
On laissa Saint-Sever derrière,
Et puis, traversant Hagetmau,
La dame y compta maint chapeau :
« Prends le plus ancien que tu veuilles,
Il ne sera pas de trois feuilles (2) ».
Comme elle passoit plus avant

---

(1) Néanmoins Saint-Sever a de tout temps vu dans ses murs de nombreux représentants de familles nobles.

(2) Le MSS. CLASS. a une variante intéressante :
               Puis, arrivant à Hagetmau,
               La dame trouva l’endroit beau,
               Ce n’est pas qu’on lui fit hommage
               Parce qu’un certain personnage
               Dont autres fois la vanité
               Se traita gens de qualité.
               Marquis, baron et gentilhomme
               A perdrix, ortolan, palombe,
               Est remis sur le petit pied
               Ainsy la dame sans trop rire
               Voit le château puis se retire
               Et comme elle alloit plus avant
               Roture...

 

[40]

Roture luy vint au devant,
Sans lui donner présent ny gage,
Car cela n’est plus en uzage.
Pourtant dame Nobilité
Luy fit beaucoup d’honnêteté,
Des offres et grandes avances ;
Roture, mille révérences.
Mais toutes leurs démonstrations
Ne sont que pures illusions ;
Elles ont beau se contrefaire
Je sçay qu’elles ne s’aiment guère.

 

Bientôt après passant le Lous (1)
Chacune arrive au rendez-vous.
Les nobles logés dans la rue
Passèrent d’abord en revue.
Mais de cent cinquante assignez
Plus de cent seignèrent du nez
Sans qu’aucun dans cette déroute
Perdit de sang noble une goute (2).

 

Le huque étoit déjà venu
Plus affreux qu’un faune cornu.
Des morts il rongeoit les carcasses ;
Les crânes lui servoient de tasses,
Et les plus moisis ossemens
Etoient ses meilleurs alimens.
Chaque nuit dans un cimetière
Avecque les morts il confère,
Et s’instruit des siècles passés
De la bouche des trépassés,

---

(1) Le Lous, affluent de l’Adour, baigne Hagetmau, passe près de Montfort et se jette dans l’Adour à Préchacq après un cours de 76 kilomètres.

(2) Ces deux derniers vers si délicieusement cruels ont été remplacés dans le MSS. CLASS. par ceux-ci :
               Et sans vouloir examen faire
               Ils firent confession sincère.

 

[41]

Qui, de crainte qu’il les dévore,
Disent plus qu’il ne veut encore.
Il avoit même dans son sac
La tête du feu sieur Darzac (1)
Qui luy révéloit bien des choses
Sur certaines métamorphoses
Qui depuis environ cent ans
Ont transfiguré des paysans.
Car feu Darzac avoit veu naître
Nos nobles ou soy-disant l’être,
Les caviers de la prévôté
S’embaronner d’authorité,
Leur gamache (2) contre la crotte
Prendre figure d’une botte,
Leurs maisons hausser en châteaux,
Leurs capes devenir manteaux,
Leur serpe passer en olinde
Comme nous le mil en blé d’Inde.
Ce vieux baron disoit un jour,
Comptant les nobles d’alentour :
« C’est affaire d’ariméthique
Si je les compte en politique (3) ;
Mais si je les compte en romain (4)
J’ai assez des doigts d’une main ».
On dit même que cette tête,
Un ou deux jours avant l’enquête,
Murmuroit bas entre ses dents
Quon verroit bien de mécontents.

---

(1) Sans doute messire Antonin Darsac de Léaumont, baron de Momuy, Casalon et Castaignet, mort peu avant 1650.

(2) Gamache existe encore aujourd’hui sous la forme garremache et désigne des manières de guêtres de grosse bourre que les paysans portent l’hiver.

(3) C’est-à-dire en homme soucieux de se ménager des sympathies, de ne pas se faire d’ennemis.

(4) Au sens Cornélien, homme incorruptible, préoccupé avant tout d’honneur et de vérité.

 

[42]

Et bien vray ! car, le jour et l’heure
Etant pris pour la procédure
Et les ordres étant donnés
Pour assembler les assignés (1),
Justement la nuit précédente
Il en déserta plus de trente (2)
Car huque insultoit la plus part
Avec son rire de monard (3).
« Ha ! si des autres vingt les treize
S’évadoient, que j’en serois aize.
Tout le procès seroit levé (4)
Et ce long burlesque achevé.
Mais non, ils paroissent en forme,
Requérant même la réforme ».
Aussitôt Roture parla,
Un héraut ayant dit : « Paix là »,
En fit ses plaintes à la dame,
Car le dépit luy rongeoit l’âme.
« Madame, autrefois à coup seur,
Je pouvois vous nommer ma sœur ;
Mais il me faut changer de game ;
Quoyque sœur, vous serez ma dame,
Car depuis que dans l’univers
Vous vous donnez de si grands airs
Et qu’il n’est peuple qui n’admire
Et ne respecte votre empire,
Que fuyant nos champs et nos bois,
Vous suivez la cour de nos rois,
Vous m’avez, quoyque ma cadette,

---

(1) Pour assigner les assemblées (MSS. CLASS). – Pour assembler les présentés (MSS. Du P., LAB.).

(2) Suivent dans le MSS. CLASS. les deux vers suivants
               Et du défaut l’utilité
               Pour les oster n’a point esté.

(3) Monard ou monnard signifie vieux singe, homme très laid.

(4) Seroit juge (MSS. Du P.) ; seroit vuidé (MSS. Léon DUF. et CLASS.).

 

[43]

Toujours traité comme sujette.
Je dis cadette avec raison
Commes filles d’une maison,
D’un même sang, d’un même père.
Sans choquer votre caractère
Je fus avant vous trois mille ans,
Et vous êtes du dernier tems.
Et durant le cours de cet âge
L’homme n’était pas hors de page.
Chacun ramassoit ses épis
Et menoit paître ses brebis,
Et chacun cultivant la terre
Vivoit sans procès et sans guerre.
La naissance donnoit un sort
A tous égal comme la mort.
Mais depuis deux mille ans peut-être
Que le monde vous a vu naître
Et qu’on a ces noms inventé
De roture et nobilité,
Sans égard pour mon droit d’aînesse
Vous me gourmandez en maîtresse ;
Et puis vous déchargeant sur moy
De tout soin et pénible employ,
Aux dépens de mon industrie
Vous entretenez votre vie,
Et faisant de l’oisiveté
Un droit de votre qualité,
Vous prenez pour votre apanage
L’honneur et plaisir en partage.
Rapportons donc à l’avenir
Du tems passé le souvenir,
Vous sçavez qu’ayant en partage
De tout le monde l’héritage,
Si de le dire il m’est permis,
Nous étions d’assez bons partis ;
Mais pour lot, en fille peu prude,
Je fis choix de la multitude,
Vous abandonnant sans douleur

 

[44]

Les gens illustres en valeur,
Les héros, les chefs, les grands hommes,
Qui furent nommés gentils hommes.
J’étois contente de mon sort
Si je n’avois reçu du tort :
Mes sujets remplissoient la terre,
Et le globe quy nous enserre
Pour les loger étant étroit,
Cherchoit ailleurs quelque détroit,
Et les regorgeoit dans les illes
Pour y bâtir maisons et villes.
Au lieu que ces hommes d’éclat,
Lesquels composoient votre état,
Pouvoient tous sans craindre le hale
Tenir conseil dans une salle :
En un mot quelque or du Pérou,
Une perle, un riche bijou,
Faisaient vos trésors, votre joye.
J’avois beaucoup plus en monnoye.
Aujourd’huy vous êtes, je croy,
En nombre plus forte que moy,
Et jamais par une recrue
Puissance ne s’est tant accrue.
De là vient, comme l’on peut voir,
Mon malheur et mon désespoir.
Car autrefois par leur mérite
On distinguoit les gens d’élite,
Et le noble n’étoit connu
Que par le prix de sa vertu.
En vain à ses enfants un père
Vouloit laisser son caractère ;
Sa vertu mourant avec luy
Ne brilloit jamais sur autruy.
Et vous prétendez, au contraire,
En faire un bien héréditaire
Et que d’un homme de renom
Le mérite suive le nom
Pour les armes et pour l’épée.
Vit-on jamais le grand Pompée,

 

[45]

Et sa valeur sur ses enfans (1)
Ne porta point le nom de grands ?
Et si l’état a fait deux classes
Des hommes par rapport aux races,
Certes la nature et la foy
Ignorent cette aveugle loy
Quy confond et vertus et vices.
A quoy bon ces vaines polices,
Ces noms de nobles et bourgeois ?
Le mérite règle le choix.
Nous sçavons bien qu’à ce passage
Vous opposez le long uzage,
Uzage qui par laps du temps
Prévaut en dépit du bon sens,
Et sans cyter loy ny chapitre
Tient lieu de raison et de titre.
Soit, je consens, le préjugé,
Le bon sens, dût-il enrager...
Je ne plaide plus cette cause ;
Et tout ce que je vous propose,
Le sujet quy nous mène icy,
Est que le huque que voicy
Nous démêle plus d’un grimoire
Et rabatte la sotte gloire
De quelques grimaux impudents,
Quy malgré moy, malgré mes dents,
Quoyque élevés dans ma famille
Veulent me traiter de l’étrille,
Condamnent mes mœurs, mes façons (2)
Pour se former sur vos leçons,
Et prenant vos airs, votre alleure

---

(1) Allusion à ce fait que Pompée avait reçu du Sénat et du peuple romain le surnom de Grand (Magnus) qui ne passa pas à son fils Sextus Pompée. C’est sans doute ce que l’auteur a voulu dire dans le galimatias qu’on vient de lire.

(2) Rejettent toutes mes façons (MSS. Du P.)

 

[46]

Mangent et couchent à votre heure (1),
Imitant jusques à vos défauts
Et trouvent vos vices plus beaux
Que mes vertus les plus louables.
Au lieu des places honorables
Qu’ils pourroient tenir parmy nous
Veulent être soûlés de tout.
Mais ils ont beau vous contrefaire,
Ma marque ne s’efface guère.
En cecy, Madame, je croy
Vous faites même intérêt que moy,
Et nôtre nouveau commissaire
Ne peut, Madame, que vous plaire,
Puisque d’entre vos courtisans
Il chasse les passevolans (2)
Ordonnez donc que l’on commence »
« Je le veux avec complaisance,
Répond dame Nobilité,
Car plusieurs gens de qualité
Pour travailler à cette enquête
M’ont déjà baillé leur requête.
Crainte que quelque malotreux
Ne marche de pair avec eux,
Et que son indigne conduite
La noblesse ne discrédite ».
Puis faisant signe de la main,
Le huque se lève soudain,
Et sans hésiter davantage
Il guigne chacun au visage
De ses yeux plus perçants qu’un dart.
Puis il en met sept à l’écart (3).

---

(1) Après ce vers, viennent dans le MSS Du P. les deux jolis vers suivants :
               Et mettraient leur nez à l’envers
               Si vous le portiez de travers.

(2) Les passe-volants étaient de faux soldats qui figuraient dans les revues pour faire paraître les compagnies plus nombreuses.

(3) Sans vouloir diminuer personne, ni établir des rangs, nous mettrions parmi ces privilégiés : 1, Poudenx ; 2, Lataulade ; 3, Foix-Candale ; 4, Caupenne ; 5, Darzac-Léaumont ; 6, Melet Labarthe ; 7, Gramont ; etc., etc.

 

[47]

« Voyez, dit-il, ou qu’on me rosse,
Tous les nobles de la Chalosse.
Le
s autres treize en vérité
Ne peuvent pas se débiter
- Ou jamais je n’aille à Grenoble -,
Tout au plus que façon de noble ».
Puis les jugeant chacun à part
Selon les règles de son art,
Par leur nom et par leur histoire
Il chaffra chacun d’un grimoire.

 

               1
Lorsqu’Argant vante quelque action
Des héros de son extraction,
Qu’il les relève, qu’il les prise,
Soit dans l’Etat, soit dans l’Eglise,
Il ne compte pas sur ses doigts
Celuy quy fit le plus d’exploits.

 

               2
C’est un bon livre de raison
Forbets, qui fit votre maison.
Quoy ! pour être vêtu de panne
D’un père vous brûlez la canne.
Vous l’empruntez, il la prêtoit :
Qu’êtes-vous donc plus qu’il n’étoit ?

 

               3
Lambert, vous êtes le droguiste
Et l’on vous connoît à la piste, (1).

 

               4
Vous avez tort, M. Rapas
De disputer aux gens le pas.
La devise de votre père
Etoit : « Par devant moy, notaire ».

 

               5
C’est par un pieux sentiment
Que le petit-fils de Seymant

---

(1) :        Lambert, vous sentés au droguiste
               Et l’on vous couroit à la piste. (MSS Léon DUF.).
               Lambert prend à tous le devant
               Et prétend la place première.
               Son ayeul faisoit autrement :
               Il les prenoit tous par derrière. (MSS. Du PONT).

 

[48]

A pris le verd pour sa livrée :
Son grand père l’avoit portée.

 

               6
Le pauvre M. de Lanté
Sur très-noble maison enté
Change de nom ; il luit, il brille
Des honneurs de cette famille ;
Mais cette greffe toutefois
Sent son sauvageon et son bois.

 

               7
Quel entre les gens de Chalosse
Fut plus habile que Delpa ?
S’il courut après un carrosse,
Ou tôt ou tard il l’attrapa.

 

               8
Cher Harpalot, en vérité,
Votre rang pèche en qualité :
C’est l’effet de quelque débauche ;
Votre mal est du côté gauche ;
Le médecin le croit fatal,
Il en accuse l’air natal.
Vous le portez, sans vous déplaire,
Du ventre de la grande mère.

 

               9
Votre noblesse, cher Dorique,
Est dure encore et fort rustique.
Votre grand père fut un sot
De n’en passer par son rabot

 

               10
C’est y regarder de trop près,
Avoir l’âme trop ménagère :
Launé, pour sa porte cochère,
Pour épargner cent francs de fraix
A fait servir la même brique
Qui servoit naguère en boutique.

 

               11
Danniran, noble de Chalosse,
Sa noblesse n’est pas trop rosse,

 

[49]

Et plus jeune que son mulet,
Elle a plus d’une dent de lait.

 

               12
Quel moyen qu’Arbos (1) se deffende
De payer en rigueur l’amande :
Son ayeul encore aujourd’huy
Paroît procureur contre luy.

 

               13
Lendin (2) avec votre perruque
Vous ne tromperez pas le huque.
Quoyqu’elle donne de grands airs,
Je n’ay pas les yeux de travers.
En vain vous en passez le peigne,
J’aperçois dessous votre teigne (3).

 

               14
Ce sont les sobriquets en bref
Dont huque refusa la clef.
Mais un baron dans un emblême
Dépité de se voir lui-même
Menaça huque du bâton
Qui de peur de ce fanfaron
Sans prendre congé du faux noble
Reprit le chemin de Grenoble.

---

(1) Dans cette séance de projections fumeuses nous n’osons pas trop avancer. Toutefois il nous paraît bien que noble Fortanier Darbo, seigneur de Pédepeyran, petit-fils de Maître Jehan Darbo, procureur à Saint-Sever n’aurait pas grand peine à se reconnaître et à s’identifier avec le personnage en question.

(2) Laudin (MSS. Léon DUF.).

(3) Ici finissent tous les manuscrits consultés par nous, seul le mss. Du Pont contient la strophe suivante qui peut bien avoir été la dernière de l’original. Il a été ensuite ajouté une autre strophe, qui devait continuer la série des « chaffres » des faux-nobles.

               Segas d’un opulent seigneur
               Ayant été le procureur,
               Plus matois qu’une vieille chatte,
               Il y graissa si bien sa patte,
               Qu’ayant rendu son maître gueux
               Il devint lui-même un Créseux,
               Et lui vola par son adresse
               Jusqu’à son nom et sa noblesse.

 

[50]

APPENDICE

[Début de page]
[Préface]
[Satire « Le Huque des faux nobles »]

_______

 

Généalogie des Busquet

_______

 

     Nous donnons ici la généalogie de la famille des Busquet ; elle complètera quelques renseignements trop sommaires dont nous avons dû nous contenter dans notre préface, elle fera mieux connaître l’origine de notre poète chanoine et l’ascension graduelle d’une famille de petits laboureurs landais.

Armes : D’argent à une fasce d’azur chargée de trois étoiles d’or (1).

 

I. – Bernard du Busquet, laboureur, ht Horsarrieu, 1431, fut père de :

          A) Peyrot, qui suit ;
          B) Johannot ;
          C) Me Gaxie ; prêtre, licensié ès-lois, vicaire général de Pierre II de Foix, évêque d’Aire, 1475-1484 ;
          D) Colombe, mariée à Arnaud de Lalheugue ;
          E) N..., mariée à Arnauton de Lespiaub.

 

II. – Peyrot du Busquet, dit Chicorret, laboureur, ht Horsarrieu, fondateur de la prébende de Busquet, testa le 24 mars 1477 et demanda à être inhumé dans l’église S. Martin de l’Aulhe-morte, église matrice de Horsarrieu. Il codicila le 27 mars.
          Il épousa : 1° Marie-Anne de Larrezet ; 2° Catherine de Dezest, morte avant son mari après avoir testé ;

     D’où : du 1er lit :
          A) Hélène, mariée à Johanot de Guilhem-Lane ;
          B) Arnaudine, mariée à Guilhem de Samadet ;
          C) Jacmet, il testa et mourut avant son père ;

     Du 2e lit :
          D) Arnauton, qui suit ;
          E) Graciane ;
          F) Estebenine ;
          G) Probablement Me Antoine, prêtre, prébendier de Busquet depuis le 4 décembre 1478 ;

 

[51]

          H) Arnaud-Guilhem ; il testa et mourut avant son père.

 

III. – Arnauton du Busquet, laboureur, ht Horsarrieu, épousa, en 1487, Jeanne de Bordes, delle ;

     D’où :
          A) Jean, qui suit ;
          B) Probablement Me Jean, prêtre, prébendier de Busquet jusqu’à sa résignation du 28 décembre 1536.

 

IV. – Jean du Busquet, laboureur, ht Horsarrieu, épousa en 1519, Louise de Marreing, delle ;

     D’où :
          A) André, qui suit ;
          B) Frère Martin, bénédictin de S. Sever qui perdit la vie pour la religion, et fut massacré par les Huguenots (1) ;
          C) Probablement Me Martin, clerc tonsuré, ht Horsarrieu en 1536 ; prébendier de Busquet depuis le 20 décembre 1536 ; mort en 1538 ;
          D) Probablement Me Jean, prêtre, prébendier de Busquet depuis le 12 juillet 1538.

 

V. – André du Busquet, laboureur, ht Horsarrieu, marié en 1548, à Catherine de Candau ;

     Eut :
          A) Bernard, qui suit ;
          B) Frère Pierre, bénédictin de S. Sever, sacristain de l’abbaye, 1584-1600, eut, sans doute avant l’entrée en religion, un rejeton d’Estebenne. Il refusait en 1586 d’aller étudier à Bordeaux (2) ;
          C) Denis, avocat, capitoul de Toulouse. Mais je n’admets ce Denis, et surtout ses titres que sous bénéfice d’inventaire, les derniers de Busquet ayant fabriqué une généalogie plus ou moins fabuleuse et frauduleuse.

 

VI. – Bernard du Busquet, laboureur, ht Horsarrieu, porta dans sa maison par mariage la métairie plus tard anoblie du Couloumat. Il épousa Odette du Pruret, delle :

---

(1) Rev. de Gasc. 1860, 464.

(2) Arch. des Land. H 15.

 

[52]

     D’où :
          A) Jean, qui suit ;
          B) Me Arnaud, prêtre, prébendier de Busquet depuis le 18 août 1604 jusqu’au 20 janvier 1626 ; curé de Casalis, 1626-1661 ; acquit par échange, le 11 juillet la métairie du Couloumat, plus tard anoblie.

 

VII. – Jean du Busquet, dit de Laborde de l’Arriù, laboureur, ht Horsarrieu, testa le 27 juillet 1647 et voulut être enseveli dans le cimetière de l’église de Horsarrieu. La généalogie fabuleuse des de Busquet le décore pompeusement du titre de capitaine d’infanterie. Il épousa Antonine Dupoy, 1614-1648.

     D’où :
          A) André, qui suit ;
          B) Catherine, mariée à Pierre de Lamarque ;
          C) Marguerite, mariée à Bernard Dubroca, marchand, 1647 ;
          D) Guironde, mariée à Jean Dangoumau, dit du Sartou ;
          E) Mathibe.

 

VIII. – Me André de Busquet, avocat en parlement, juge civil et criminel de Horsarrieu depuis 1635, épousa Jeanne d’Abadie d’Espaunic, delle :

     D’où :
          A) Pierre, qui suit ;
          B) Me Arnaud, notre poète satirique
          C) Antonine ;
          D) Me Ogier, prêtre, prébendier de Lamarque et de Busquet, en Horsarrieu ; curé de Pouillon en 1650 ; permuta le 8 mai 1650 sa prébende de Busquet pour le diaconé et le sous-diaconé de Pouy qu’il occupe jusqu’en 1676 ; curé de Horsarrieu depuis le 14 septembre 1650 jusqu’à sa mort ; résigne son diaconé, le 6 août 1676 ; de nouveau prébendier de Busquet depuis le même jour ; testa le 19 mai 1693 et voulut être enseveli dans le presbytère de S. Martin de Horsarrieu.

 

IX. – Me Pierre de Busquet, conseiller du Roi, juge de Horsarrieu, dont il fut maire perpétuel depuis le 5 juillet 1694 ; possesseur par acquisition de la métairie noble du Couloumat dont on lui réclama les droits de franc-fief en 1670. La généalogie fabuleuse en fait un capitaine d’infanterie, titre qui était alors bien porté. Il a son blason dans l’Armorial général de France de 1696. Il...

 

[53]

... épousa, le 27 septembre 1660, à S. Sever, Madeleine de Cabannes, delle, dotée de 7000 livres tournoises :

     Il eut :
          A) Jean, né à Horsarrieu, le 7 avril 1662, qui suit ;
          B) Jeanne, delle, mariée le 1er février 1688, à noble Christophe Durou, mousquetaire de la garde du Roi, ht S. Sever ; elle fut dotée de 8500l.

 

X. – Me Jean de Busquet, avocat en la cour, conseiller au sénéchal de Saint-Sever, testa le 17 juin 1754 et mourut le 6 janvier 1755, à 92 ans et 9 mois. Il fut enseveli chez les Bénédictins de Saint-Sever. Il épousa : 1° le 25 février 1692, Isabeau de Touzents, delle, morte après 3 ans de mariage ;
2° le 6 octobre 1697, Anne Dandieu de Labarrère, delle, sa parente au 4e degré, après dispence de Rome. Elle mourut en avril 1742.

     Du 1er lit vinrent :
          A) N..., mort en bas âge ;
          B) N..., mort en bas âge, après 1694 ;

     Du 2e lit :
          C) Pierre, né le 24 octobre 1698 ; mort à Paris le 17 mars 1712, enseveli chez les jésuites ;
          D) Madeleine, delle, née le 29 novembre 1699, morte à Saint-Sever, le 21 mai 1742 ;
          E) Me Arnaud, né le 1er février 1702 ; avocat en parlement, mort le 15 novembre 1772 à Horsarrieu ; propriétaire de la terre noble du Tresqué, en Doazit ;
          F) Jeanne, delle, née le 1er août 1703 ; mariée le 26 novembre 1726, à Pierre de Beyries, sieur de Moignartigue, avec 6.000 livres de dot ;
          G) Marguerite, née le 7 octobre 1704, Ursuline de Saint-Sever ; prit l’habit le 23 août 1733 et mourut le 3 mars 1785 (1) ;

          H) Pierre, né le 10 janvier 1706, à Horsarrieu, mort le 15 mars 1787 ;
          I) Isabeau, née le 9 décembre 1709, Ursuline de Saint-Sever sous le...

---

(1) Arch. des Land. H.201.

 

[54]

... nom de sœur Saint-Charles ; prit l’habit le 16 janvier 1735 ; morte le 4 mars 1763 (1) ;
          J) Bernard, né le 8 octobre 1715, qui suit ;
          K) Madeleine, née le 9 juillet 1717 ; Ursuline de Saint-Sever sous le nom de sœur de la Visitation ; prit l’habit le 4 septembre 1740 ; morte le 25 novembre 1742 (2).

 

XI. – Noble Bernard de Busquet, seigneur d’Arrimbles et du Couloumat, patron des prébendes de Dané et Nautin, en Montaut, conseiller du Roi au sénéchal de Saint-Sever ; fut cité à l’assemblée de la noblesse de 1789 à Dax, comme seigneur d’Arrimbles, en Horsarrieu, seigneurie qu’il avait acquise le 22 avril 1764.
     Il fut maire de Saint-Sever. On lui doit une généalogie fabuleuse de sa maison.
     Il rendit hommage pour la coseigneurie d’Arrimbles le 30 décembre 1777.
     Il avait fait ses études à l’Université de Bordeaux où il conquit, le 27 août 1740, son diplôme de licencié en droit.
     Il n’eut qu’une fille baptisée au Leuy.

 

V. Foix.

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(1) Arch. des Land. H. 201.

(2) Les données généalogiques sont en général extraites des papiers de famille (non classés) qui font actuellement partie des Archives des Landes.

 

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[Satire « Le Huque des faux nobles »]
[Généalogie de la famille de Busquet]

 

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