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POUR Messire BERNARD DE FOIX, Marquis de Candale, Seigneur, Baron de Doazit & autres lieux, Appellant d’une Sentence rendue par le Sénéchal de Saint-Sever, le 26 Août 1778, & autrement Intimé.

 

CONTRE sieur JEAN-PIERRE DARCET, Bourgeois, tant en son nom que comme Syndic de certains Habitans & bien-tenans de la Paroisse de Doazit, dénommés dans l’acte de Syndicat du 24 Novembre 1776, Intimé.

 

ET les nommés Jean Lacassaigne, Pierre Poysegur, dit Pittou [Pillon] ; Bernard Dupreuilh [Duprouilh], dit Claverie ; Pierre Diris, Mora [ ; ] Capdeville [Capdeviolle], dit Prieuré [Picuré] ; Tailheuge [Lailheugue] Poutonne [Poutoune], Arnaud Laferrere, le nommé Larrezet, dit Chin ; Guirons Daubedout [Dubedout], dit Cazotte ; le nommé Fescaux Sallebert, [ ; ] le sieur Laferrere, Bourgeois ; le nommé Dutoya Garrias, [ ; ] Jean Ducos, dit Lacazebielle ; Jean de Meu [ ?], dit Barroilhet ; Joseph Daugoumau [Dangoumau], dit Matuchon [Matchou ?] : aussi Intimés.

 

ET Bernard Hontang, dit Daniel, Appellant incidemment de ladite Sentence, & demandeur en Lettres de restitution.

 

Des titres anciens & respectables assurent au Marquis de Candale, Baron de Doazit, le droit de laisser entrer le bétail étranger dans les landes de sa Juridiction, sur lesquelles les Habitans n’ont que celui de couper le soutrage. Pendans quatre siecles, le droit de ce Seigneur a été publiquement exercé sans réclamation de la part des Habitans. Une possession aussi longue, aussi paisible, vient d’être violemment troublée par une portion de ces

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mêmes Habitans : avertis par l’Exposant, plusieurs ont reconnu leur tort, & ont offert de le réparer. Un seul homme, qu’un ressentiment particulier animoit contre son Seigneur, s’est opposé à cet acte de justice de la part des autres, qui peut-être, sans lui, y auroient satisfait. Il s’est mis à leur tête, il a convoqué une espece d’assemblée, il a pris une délibération ; & se qualifiant de Syndic des Habitans & bien-tenans de la Paroisse de Doazit, (quoique cette qualité ait été judiciairement restreinte sur sa tête) cet homme s’est présenté pour réclamer au nom de tous les Habitans, & à l’appui de quelques titres déjà réprouvés, la propriété de ces landes, & contester au Seigneur son droit, auquel cette propriété même, quand elle seroit acquise aux Habitans, ne pourroit porter aucune atteinte. Quelqu’étonnante que soit cette prétention, elle a cependant été accueillie par le Sénéchal de Saint-Sever. C’est l’appel de cette décision que l’Exposant soumet aujourd’hui à la justice de la Cour.

 

FAIT.

 

     Depuis plus de trois siecles, la Baronnie de Doazit fait partie des domaines de la Maison de Foix Candale. Un des titres de propriété de cette Terre & des droits qui en dépendent, émane de la justice & de l’autorité suprême du Roi ; titre précieux, monument toujours durable de l’attachement du Comte de Candale pour Louis XI, & des grands sacrifices qu’il fit en quittant le parti de l’Angleterre, & l’immense fortune qu’il avoit dans ce Royaume ennemi, pour suivre le parti de Louis, après la réunion de la Guienne à la Couronne de France (1).

     Jean de Foix reçut un prix bien glorieux de ses sacrifices. Par un traité que Louis XI passa avec lui le 17 Mai 1462, il lui céda & aux siens, à perpétuité, tous les droits qu’il avoit dans toutes les Terres de Jean de Foix, dans lesquelles est celle de Doazit. Ce

   (1) La Terre de Doazit entra dans la Maison de Candale en 1439, par un échange que Gaston de Foix, premier du nom, fit avec Louis Despoys, sous le bon plaisir du Roi d’Angleterre, lors Duc de Guienne. Il acquit cette Terre avec tous les droits de Justice, haute, moyenne & basse, droits de pacage, d’herbage, forestage, & généralement tous les droits seigneuriaux quelconques. Louis XI ne fit que confirmer tous ces droits sur la tête de Gaston, en lui abandonnant de plus tous ceux qui auroient pu le regarder comme Seigneur souverain.

 

 

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titre est trop honorable & trop utile à l’Exposant, pour ne pas le rapporter en substance (1).

     « Nous, informés des louables vertus & commendable mérite de de notre cher & amé cousin Jehan de Foix, Comte de Candale, tenant le parti de l’Angleterre….. Considérant aussi la proximité de lignage en quoi il nous atteint….. le Roi donne, cede & transporte audit de Candale, pour lui & les siens, perpétuellement, tous les droits, noms, raisons & actions qu’il a & lui compétent & appartiennent en toutes les Terres & Seigneuries que feu M. le Captau & ledit de Candale tenoit & possédoit en ladite Duché de Guienne & Pays de Gascogne, avec leurs appartenances & dépendances, & toutes Jurisdictions haute, moyenne & basse, péages, forestages, pâturages, & autres droits quelconque (sauf la foi & hommage) ».

     Depuis cette époque, c’est-à-dire depuis 1439, les auteurs de l’Exposant ont constamment possédé cette Terre avec tous les droits caractéristiques de la Seigneurie.

     Dans le nombre de ces droits, est celui de permettre aux Etrangers, moyennant une redevance, de mener pacager leurs bestiaux dans toutes les landes de la Jurisdiction. C’est ce qu’on nomme bedat actif (2).

     Ce droit des Seigneurs de Doazit dérive sans doute de ce que, dans le principe, les Seigneurs de cette Terre ne donnerent qu’à cette condition l’usage des landes aux Habitans ; quoi qu’il en soit de l’origine de ce droit, il est certain qu’il existe depuis quatre cens ans (3).

     C’est relativement à ce droit du Seigneur, que les Habitans de Doazit ayant divisé ces landes entr’eux pour le soustrage, la portion de chaque part prenant ne lui a jamais été affectée d’une maniere exclusive à tous autres, que pour le droit de soustrage seulement, mais chaque portion de ces landes a toujours demeuré assujettie au pacage général, soit pour les bestiaux appartenans à cha-

    (1) Cote 16 Z du sac de l’Exposant.

    (2) Voyez le §.IV, où est expliqué la différence qu’il y a entre le bedat actif dont il s’agit au procès, & le bedat prohibitif dont jouissent les Seigneurs dans la Coutume de St.Sever.

    (3) Cette preuve est consacrée par plusieurs titres dont nous ne rendrons compte que dans la discussion, pour éviter une répétition fatigante & inutile.

 

 

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que Habitant, soit pour ceux des Etrangers auxquels le Seigneur a accordé le droit de pacage.

     Cette restriction, dans la division des landes, est très-importante dans cette cause ; il ne faut point oublier que les landes n’ont été divisées que pour le soustrage, & qu’elles ont été communes pour le pacage. Cette division ne présente ni héritages laissés par des ancêtres, ni des fonds à labourer & à cultiver.

     C’est aussi pour laisser au Seigneur l’exercice de ce droit, & afin que ceux auxquels il accordoit la permission du pacage eussent la liberté d’en user, que de tous les temps ces landes ont demeuré ouvertes, quoique (comme nous l’avons déjà observé) ces Habitans s’en fussent assigné une portion à chacun d’eux, pour y couper le soustrage, d’une manière exclusive à tous autres. Ce seroit en effet interdire au Seigneur la faculté d’accorder les permissions, que de clore & de fermer ces landes, puisqu’en ce cas ceux à qui il auroit accordé la faculté de pacager, ne pourroient en user, & refuseroient par conséquent de payer les redevances relatives : tel est le point de vue sous lequel cette cause doit être considérée : jamais les Habitans n’ont fermé ces landes ; de tous les temps le Seigneur a accordé aux Etrangers qui traitoient avec lui, la faculté d’y mener pacager leur bétail, & ce pacage a constamment été exercé, sans interruption, depuis quatre siecles.

     Cependant, au mépris de cette possession continue & paisible, quelques hommes inquiets & méchans, résolurent de clore la partie de lande qui leur avoit été affectée pour le soustrage, et de l’entourer de fossés.

     Le sieur Darbo fut le premier qui osa tenter cette entreprise dangereuse : il étoit dans des circonstances qui paroissoient favorables relativement à la nature de la lande qu’il fit entourer de fossés. Il avoit acquis cette portion de lande, il avoit en main son contrat d’achat ; ce contrat étoit à l’abri de toute suspicion ; mais cette espece de propriété ne lui donnoit que le droit de couper le soustrage, & ne l’affranchissoit point de l’obligation de tenir sa portion de lande ouverte : aussi par Arrêt de la Cour, rendu au rapport de M. l’Abbé Feger, le 18 Mars 1777, confirmatif d’une Sentence du Sénéchal de Saint-Sever, il fut condamné d’abattre, dans le délai de huitaine,

 

 

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les fossés qu’il avoit fait faire, avec inhibitions & défenses de récidiver, à telle peine que de droit (1)

     Si cet Arrêt eût été rendu un an plutôt, sa rigueur salutaire auroit infailliblement contenu ceux des Habitans qui se proposoient d’imiter le sieur Darbo ; mais pendant le cours de la procédure contre ce dernier, quarante Particuliers suivirent son exemple, ce qui détermina l’Exposant de les assigner dans le mois d’Août & de Septembre 1776, aux fins d’abattre les fossés par eux pratiqués sur diverses parties des landes.

     Ces instances étoient jointes, & le procès appointé en droit le 28 Juin 1777, lorsque le sieur Darcet, un des quarante, fit signifier à l’Exposant un acte par lequel ces Particuliers l’avoient nommé Syndic. Nous ne devons pas taire le motif qui engagea le sieur Darcet à mendier ce syndicat, ni les moyens qu’il employa pour placer sur sa tête cette qualité distinctive.

     Le sieur Darcet pere avoit exercé pendant plusieurs années la Judicature de Doazit ; il y avoit acquis l’estime de ses Concitoyens, & la bienveillance de son Seigneur. Le sieur Darcet, Partie adverse, aspiroit à cette place, quelque desir qu’eût l’Exposant de la voir se perpétuer dans une famille honnête ; des raisons puissantes l’obligerent de ne pas déférer aux vues du sieur Darcet fils : inde mali labes. Ainsi, la vengeance (2) est l’unique motif qui fait mouvoir le sieur Darcet, & lui fait oublier les égards, & même le respect qu’il doit à son Seigneur. Voici les moyens qu’il mit en œuvre pour être élu Syndic.

     Le 24 Novembre 1776, le sieur Darcet convoque chez lui, dans sa maison, une assemblée de Paroisse : les affaires de la Communauté en furent le prétexte : quelque irréguliere que fût cette convocation, près de cent personnes de tout rang, conduits par la curiosité, s’y rendirent après Vêprès Là le sieur Darcet leur fit part des exploits que quelques-uns des convoqués avoient reçus de la part de l’Exposant ; il leur présenta cette démarche comme un attentat à leur liberté, & l’Exposant comme un usurpateur qui vouloit mettre la faulx dans leurs maisons, violer leurs héritages pour

    (1) Vid. Le §. XI, où nous donnons des détails sur cet Arrêt.

    (2) Le fait est si vrai, que le sieur Darcet n’a qu’un journal & demi des landes qu’il a a clôturé : ce ne peut donc pas être par esprit d’intérêt qu’il a agi.

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les livrer aux étrangers, & pour s’établir un revenu sur les ruines des Habitans. (1) Le sieur Darcet finit par s’offrir pour Syndic.

     Un discours aussi violent, tenu par un simple Particulier contre son Seigneur, révolta le plus grand nombre des Convoqués, dont plusieurs étoient intéressés, comme le sieur Darcet, à trouver des torts à l’Exposant ; de sorte que sur cent qui étoient à cette assemblée, il n’y en eut que vingt-quatre du plus bas étage qui signerent l’acte de syndicat ; sur ces vingt-quatre, onze seulement sont de la Paroisse, & tous Paysans ; aussi plusieurs Habitans ont ils déclaré par acte à l’Exposant qu’ils ne lui contestoient point le droit dont il s’agit, qu’ils n’entendoient point entrer dans le procès actuel, & qu’ils étoient prêts à abattre les fossés (2). Ces actes qui prouvent la possession de l’Exposant sont produits. On verra bientôt qu’ils n’a pas tenu au sieur Darcet que ces Habitans se soient rétractés.

     Et à ce propos, nous ne devons pas laisser ignorer les manoeuvres pratiquées par le sieur Darcet pour séduire un nommé Bernard Hontang, qui, comme les autres, avoit fait faire des fossés sur la partie de lande où il coupoit le soustrage.

     Ce Particulier fut assigné le 14 Septembre 1776 à abattre ces fossés ; il eût réparé ses torts sur le champ, si le sieur Darcet ne l’en eût empeché ; ce ne fût qu’au mois de Décembre suivant que, secouant le joug qui l’accabloit, & rendant hommage à la justice, Hontang adressa un acte à l’Exposant, par lequel reconnoissant son droit, il offrit d’abattre les fossés, de payer les frais faits, & les dommages & intérêts.

     Cet acte de justice parut très-dangereux au sieur Darcet ; il résolut de le détruire, en conséquence, il capta l’esprit de ce Paysan, & l’obligea à donner, le 21 Janvier 1777, une Requête dans laquelle, désavouant ce qu’il avoit dit dans son acte, il contesta le droit de l’Exposant, attribua à ses Agens la surprise qu’il lui

    (1) Telles sont les expressions dont le sieur Darcet dut se servir dans son assemblée, du moins ce sont celles qu’il a employés en la Cour, page 13 de sa Requête.

    (2) Il n’est pas moins vrai que le sieur Darcet, pour augmenter le nombre des syndiqués, fut de porte en porte, dans la Ville de Saint-Sever, chez tous ceux qui avoient des domaines dans la Terre de Doazit, pour les engager de signer l’acte de syndicat ; mais il eut le désagrément d’être mal reçu de tous, & de s’entendre dire qu’on ne vouloit point entrer dans un procès aussi injuste de sa part..

 

 

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avoir été faite, & finit par annoncer qu’il se pourvoira, par Lettres en restitution, contre son acte du mois de Décembre précédent, si l’Exposant persiste à vouloir s’en servir.

     L’Exposant ne fut point intimidé de ces menaces ; il en connoissoit l’auteur, il demeura tranquille. Hontang ne prit point de Lettres en restitution, & il a été condamné par la Sentence de satisfaire aux engagemens qu’il avoit pris dans son acte.

     Ce n’est qu’après dix-sept mois de réflexion, & lorsque les Parties ont respectivement écrit dans ce procès sur l’appel de cette Sentence, que le sieur Darcet, sous le nom de Hontang, a imaginé de faire signifier, le 21 du mois de Janvier dernier, ces Lettres en restitution, & un appel de la Sentence dans le chef qui condamne Hontang envers l’Exposant. La conduite du sieur Darcet dans ce procès fixera la Cour sur l’idée qu’elle doit avoir de cette démarche tardive & inconsidérée ; en tout cas, nous établirons facilement la justice du chef de la Sentence qui concerne Hontang, en démontrant l’injustice de cette même Sentence dans le chef qui relaxe le sieur Darcet & les autres Particuliers, les mêmes moyens de l’Exposant sont communs à toutes ces Parties.

     Le sieur Darcet voyant la ligue qu’il espéroit former réduite à quelques individus, voulut en imposer extérieurement. Il présenta une Requête en intervention, dans laquelle il se qualifia Syndic des Habitans de la Paroisse de Doazit : à la faveur de cet artifice, il crut faire entendre qu’il s’agissoit d’une contestation générale ; mais sur l’opposition de l’Exposant, qui rapporta la preuve de la scission, le Sénéchal de Saint-Sever rendit un Appointement le 26 Août 1777, qui ne reçut l’intervention du sieur Darcet qu’en qualité de Syndic des Habitans dénommés dans la délibération du 24 Novembre précédent. Il faut que le sieur Darcet ait perdu de vue cet Appointement, puisqu’en la Cour même, il s’arroge encore la qualité générique de Syndic des Habitans, quoique la Sentence qu’il a obtenue, & dont il ne réclame point dans ce chef, la lui ait refusée.

     Cette restriction judiciaire, cet abandon inattendu des trois quarts des Convoqués, rendoient bien défavorable la cause du sieur Darcet ; (car c’est la sienne propre) mais son courage parut s’accroître en proportion des forces qu’il venoit de perdre ; & pour donner à

 

 

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ses moyens une apparence de vérité qui leur est si étrangere, il tira du néant des titres que la justice y avoit ensevelis. C’est à la faveur de ces titres, que changeant la question du procès, le sieur Darcet soutint que la propriété des landes appartenoit aux Habitans ; que ces landes étoient leurs héritages, qu’ils pouvoient labourer & cultiver, & sur lesquelles l’Exposant n’avoit aucune espece de droit. Le sieur Darcet prodigua à son Seigneur les mêmes outrages dont il avoit orné son discours dans l’assemblée ; les termes d’usurpation, d’exaction furent repétés avec une licence d’autant plus révoltante, que ce Particulier, dans l’exposé qu’il présentoit à la Justice, n’avoit d’autre but que d’embrouiller le procès, & faire perdre de vue la véritable question, qui n’est point du tout celle de la propriété des landes, mais du droit qu’a l’Exposant de permettre l’entrée de ces landes au bétail étranger ; droit très-compatible avec cette propriété, quand elle seroit acquise aux Habitans ; droit consacré par une foule de titres anciens, & par une possession continue & paisible de quatre cens ans ; droit auquel plusieurs Habitans ont rendu hommage par des reconnoissances authentiques ; droit établi, soit par l’énoncé de plusieurs titres, soit par les acquiescemens solemnels des Parties adverses à la véracité de ces titres, soit enfin par les vaines tentatives que ces Particuliers ont faites pour détruire ces mêmes acquiescemens.

     Cette possession, ces titres, ces reconnoissances géminées dont l’Exposant étaya sa défense, en affermissant son droit, ébranlerent le courage du sieur Darcet ; en conséquence, il prit des Lettres en restitution, tant contre les reconnoissances faites à l’Exposant de son droit par quelques Habitans étrangers, que contre celles que ceux de Doazit avoient données de ce même droit dans les actes qui l’établissent ; le sieur Darcet porta la foiblesse au point de demander que l’Exposant fût condamné de restituer à la Communauté de Doazit une lande appellée de Lanebusquet, & de rétablir une halle ; réclamations injustes, dans lesquelles le sieur Darcet ne pouvoit pas même être écouté, puisqu’il avoit déjà été déclaré n’être point Syndic de la Communauté, mais taxactivement des Particuliers dénommés dans l’acte du 24 Novembre 1776.

     Le sieur Darcet reconnut l’absurdité de cette prétention ; il ne tarda pas a s’en départir ; il eût bien voulu pouvoir, sans danger, se

 

 

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désister également des Lettres en restitution qu’il avoit prises contre les reconnoissances données par les Habitans de Doazit au droit de l’Exposant ; mais il voyoit que ces acquiescemens au droit de son Seigneur tiroient à de grandes conséquences ; aussi redoubla-t-il d’efforts pour établir la justice de ses Lettres en restitution, & en demander l’entérinement.

     L’Exposant s’éleva contre ce chef de conclusions ; il observa que ces reconnoissances étoient le fruit d’une volonté libre de la part de ses Habitans ; que jamais aucun Seigneur, ni lui-même, n’avoient employé la force pour les engager à lui reconnoître ce droit ; qu’ainsi ces reconnoissances devoient subsister, & produire leur effet en sa faveur, & le sieur Darcet être débouté de ses Lettres en restitution.

     C’est ici le lieu d’observer que les Habitans qui avoient adressé à l’Exposant des actes en reconnoissance de son droit, & au nom desquels le sieur Darcet avoit pris des Lettres en restitution, ont rendu cette manœuvre inutile. Le 4 Août 1778, ils notifierent à l’Exposant un acte (1) par lequel, en rappellant celui qu’ils lui avoient déjà fait, ils déclarent qu’ayant été instruits que le sieur Darcet avoit pris, à leur insu, des Lettres en restitution contre leurdit acte, & voulant que les reconnoissances qu’ils ont faites à l’Exposant de son droit, sortent leur plein & entier effet, ils protestent d’ors & déjà de tout ce qui pourroit être fait par le sieur Darcet à raison desdites Lettres en restitution.

     Cette fraude d’un nouveau genre, dont le sieur Darcet s’est rendu coupable vis-à-vis ces Particuliers, doit faire présumer qu’il l’a aussi employée vis-à-vis ce Hontang dans les Lettres en restitution, & dans l’appel dont nous avons déjà parlé.

     Tel est l’homme que l’Exposant a à combattre. Nous venons de présenter en substance les moyens qu’employerent les Parties devant le Sénéchal de Saint-Sever, & dont nous donnerons le développement lors de l’analyse des titres respectivement produits : de l’objet le plus simple dans son origine, le sieur Darcet est parvenu à faire un procès dont l’aspect seul effraye par son immense volume : aussi a-t-il atteint le but qu’il se proposoit ; il a tant parlé de pro-

     (1) Cote 18 Z du sac de l’Exposant.

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priété, il a si souvent répété que l’Exposant vouloit exproprier ses Tenanciers de leurs héritages, que le Sénéchal de Saint-Sever s’est laissé aveugler. Une contradiction frappante, qu’on voit dans la Sentence qu’il a rendue le 25 Août 1778, est une preuve de la préoccupation de ce Tribunal.

     « Sans avoir égard à chose dite ou alléguée par l’Exposant, le sieur Darcet est relaxé, tant en son nom que comme Syndic des Habitans & bien-tenans de Doazit dénommés dans l’acte de délibération du 24 Novembre 1776 ; seize Habitans dénommés dans la Sentence, sont aussi relaxés, sauf du nommé Hontang, qui est condamné d’abattre les fossés par lui élevés, conformément aux offres par lui faites dans son acte du 13 Décembre 1776 ».

     On doit être bien étonné sans doute de ne pas voir dans cette Sentence l’entérinement des Lettres en restitution impétrées par le sieur Darcet, relativement aux acquiescemens donnés par les Habitans de Doazit au droit de l’Exposant, entérinement qui devoit, de toute nécessité, précéder la relaxance de ce Particulier ; l’une étoit le fruit de l’autre : mais on le sera bien davantage lorsqu’on saura que le Sénéchal de Saint-Sever a méprisé ce chef essentiel des conclusions du sieur Darcet, en mettant hors de Cour généralement sur toutes les autres conclusions respectivement prises par les Parties ; en sorte que, par cette rejection, subsistent dans leur entier les acquiescemens & reconnoissances que le sieur Darcet avoit tant à cœur & tant d’intérêt de faire anéantir, parce qu’elles assurent le droit de l’Exposant. Ces acquiescemens & ces reconnoissances devoient donc nécessairement militer pour le maintenir dans ce droit.

     Ce vice dans la Sentence suffiroit seul pour la faire réformer. Que sera-ce lorsque nous aurons démontré l’existence de ce droit par des titres anciens, par l’exercice continu & public de ce droit pendant quatre siecles ; titres, possession auxquels ni les cris des Parties adverses, ni leurs prétendus titres ne pourront jamais porter atteinte ? La Cour balancera-t-elle à accueillir l’appel que l’Exposant a interjetté de cette Sentence, qui, en le privant d’une partie très-considérable des revenus de sa Terre, a anéanti dans un jour un droit que les Habitans de Doazit ont inviolablement respecté pendant quatre cens ans ?

 

 

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MOYENS, DISCUSSION.

 

§. Ier.

 

Qualité du sieur Darcet dans ce procès.

 

     Il est bien singulier que le sieur Darcet nous oblige de mettre en question un fait jugé contre lui, & qu’il s’obstine à s’arroger, même en la Cour, la qualité de Syndic des Habitans de la Paroisse de Doazit. Qu’il ait pris cette qualité dès l’origine de la contestation, cela n’est pas surprenant, il vouloit en imposer, & d’une querelle particuliere(1) faire une émeute générale ; mais il y a plus de deux ans que le sieur Darcet doit être irrévocablement fixé sur ce point. Ce titre pompeux dont il se décore si mal à propos, a été restreint à la mince qualité de Syndic des Habitans & bien-tenans dénommés dans l’acte du 24 Novembre 1776 ; on en voit la preuve dans l’Appointement contradictoire rendu par le Sénéchal de Saint-Sever le 2 Août 1771 (2) ; Appointement contre lequel le sieur Darcet n’a jamais réclamé ; il n’a qu’à se pourvoir contre cette décision, ou se contenter de la qualité qu’elle lui donne. Il faut être conséquent.

 

§. II.

 

Genre de l’action que l’Exposant a intentée contre les Particuliers qui ont fait faire des fossés sur les landes dont il s’agit.

 

     Pour être fixé sur ce point, il ne faut que lire les exploits donnés par l’Exposant, & les conclusions qu’il a prises dans tout le cours du procès.

     Ces Particuliers ont été assignés pour se voir condamner d’abattre

     (1) Les actes donnés à l’Exposant par certains Habitans qui ont reconnu leur tort, prouvent en effet que cette querelle n’est que particuliere. Ces actes sont rapportés au sac de l’Exposant, cote 18 M & 18 N.

     (2) Cote 17 O du sac de l’Exposant.

 

 

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les fossés qu’ils ont élevés sur les landes sur lesquelles l’Exposant a le droit de bedat actif, & aux dommages & intérêts soufferts à raison desdites fermetures. Les conclusions ne contiennent rien de différent.

     Jamais l’Exposant n’a formé d’action en désistat ou délaissement ; l’unique objet de sa demande a été le droit d’accorder aux Etrangers la permission de faire pacager leurs bestiaux dans ces landes, & c’est en conséquence, & en exécution de ce droit, qu’il a demandé que les fossés qu’on y a pratiqués fussent comblés, à l’effet de laisser à ces Concessionnaires la faculté d’y exercer le pacage. En un mot, cette action n’est autre chose que la réclamation faite par l’Exposant, de l’exercice d’un droit de servitude établie sur ces landes.

 

§. III.

 

L’action intentée par l’Exposant, exclut toute idée de propriété de sa part sur ces landes.

 

     L’Exposant n’a demandé ni désistat, ni délaissement ; donc il n’a jamais prétendu avoir la propriété des landes sujettes au bedat. La conséquence est juste ; si cette propriété lui eût été acquise, il n’auroit pas eu besoin de réclamer de droit de servitude ; l’exhibition de son titre eût suffi pour terminer le procès : ainsi l’action intentée par l’Exposant, prouve elle-même qu’il n’est pas propriétaire de ces landes. Il importe très-peu, que devant le Sénéchal de St. Sever, son Défenseur l’en ait dit propriétaire, puisque les conclusions prises dans tous ses écrits devant ce Tribunal, contredisent formellement ce systême de propriété.

     Mais de ce que l’Exposant n’est pas propriétaire de ces landes, il n’en résulte point que les Parties adverses en soient eux-mêmes tellement propriétaires, qu’ils puissent interdire à l’Exposant l’exercice du droit qu’il réclame : nous prouverons cette proposition.

     C’est donc mal à propos que le sieur Darcet a dit dans sa Requête (1) en la Cour, que l’Exposant attaque la propriété des Ha-

     (1) Page 4.

 

 

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bitans, & feint d’être occupé du soin de défendre lui-même sa propriété.

     L’Exposant proteste qu’il n’a jamais prétendu s’approprier les landes sujettes au bedat, ni quereller la division qu’en ont fait entr’eux les Habitans, lorsqu’ils ont assigné à chacun d’eux une portion de ces landes, où ils pouvoient couper le soustrage exclusivement à tous autres.

     Tout ce qu’il prétend & qu’il a droit de prétendre, c’est que ces Habitans doivent laisser aujourd’hui les landes ouvertes comme elles l’ont toujours été, afin qu’il ait la liberté d’user du droit qui lui appartient, de concéder aux Etrangers la permission d’y faire pacager leurs bestiaux (mais non d’y couper du soustrage) ainsi que cela a été pratiqué de temps immémorial, jusqu’aux premieres entreprises des Parties adverses ; telle est la question sur laquelle la Cour doit prononcer. Si le sieur Darcet peut se déprévenir, & veut lire, il conviendra que l’Exposant n’a jamais formé d’autre demande devant le Sénéchal de Saint-Sever. Ainsi il n’a point changé en la Cour de systême de défense, ainsi il n’y a point été réduit, comme l’observe le sieur Darcet (1), à supposer un procès tout différent à celui qui pend à juger. C’est uniquement & taxativement d’un droit de bedat actif qu’il s’agit, & non du simple bedat prohibitif. Examinons la différence qu’il y a entre l’un & l’autre.

 

§. IV.

 

Explication du droit de bedat ; différence entre le bedat actif & le bedat prohibitif.

 

     Le droit de bedat est celui d’empêcher ou de défendre que le bétail étranger n’entre d’une Jurisdiction dans une autre, à peine de carnal (2).

     Ce droit n’est connu que dans les Coutumes de Dax & de Saint-Sever. Celui dont ces Coutumes font mention est général à tous

     (2) Page 5 ibid.

     (1) Vid. La Coutume de Saint-Sever, tit. Des pâturages, art. 1 & 2.

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les Seigneurs des Terres du ressort de ces Sénéchaussées ; il est simplement prohibitif.

     Le bedat réclamé par l’Exposant, est tout à la fois actif & prohibitif ; c’est-à-dire, que l’Exposant peut permettre l’entrée du bétail étranger dans sa Terre, en lui payant une redevance, ou en interdire l’entrée à peine de carnal. Le sieur Darcet affecte dans sa Requête en la Cour, comme devant le Sénéchal, de confondre le droit de bedat qu’a l’Exposant sur les landes dont il s’agit au procès, avec le droit qu’ont les Seigneurs dans la Coutume de Saint-Sever, d’empêcher les Habitans d’une Jurisdiction étrangere d’introduire leur bétail dans sa Jurisdiction : nous avons observé que cette disposition générale de la Coutume en faveur des Seigneurs, est consacrée par les articles 1 & 2 de celle de Saint-Sever, titres 2, des pâturages.

     Suivant cette Coutume, les Seigneurs ont le droit de carnaler le bétail étranger qui est trouvé pâturant dans leur Jurisdiction (art. 2). Ce droit sembleroit les autoriser à introduire ce bétail étranger ; cependant ils n’ont point ce droit, à moins que les titres de la Seigneurie ne le leur donnent.

     Il est bien vrai que généralement les Seigneurs introduisent dans leurs Jurisdictions les Pasteurs de la montagne ; mais c’est un droit particulier qu’ils ne tiennent point de la Coutume, mais de leurs titres ou de la convention ; & l’on tient pour certain dans la Coutume de Saint-Sever, que les Seigneurs n’ont d’autre droit à cet égard, que d’empêcher l’entrée du bétail étranger dans leur Jurisdiction ; encore leur refuse t[-]elle ce droit, dans le cas où les Habitans d’une Jurisdiction voisine ont en leur faveur droit de pariage ou possession lointaine, (art. Ier. Ibid.)

     Mais le droit de l’Exposant est différent, il est hors de la regle générale établie par la Coutume. Suivant tous ses dénombremens (1), il peut permettre & défendre l’entrée du bétail étranger, même celui des Habitans de Doazit, dans les landes du Bailliage de Doazit, sans distinction, conséquemment dans celles dont il s’agit au procès, & c’est ce qu’on appelle le droit de bedat actif (2), très-différent,

     (1) Nous parlerons bientôt de ces dénombremens & des autres titres qui établissent le bedat actif en faveur de l’Exposant.

     (2) Vid. Les art. 17 & 18, même titre des pâturages. Ces articles établissent le bedat actif, & en font connoître l’étendue.

 

 

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comme l’on voit, du simple bedat prohibitif, tel que celui de défendre l’entrée du bétail étranger, sous peine de carnal.

     Le droit de l’Exposant a même une autre différence, c’est qu’il s’étend sur le bétail des Habitans de sa Jurisdiction ; & c’est par cette raison que l’on a dit devant le Sénéchal, que le bedat supposoit dans son origine un droit de propriété, & qu’il devoit être nécessairement la suite de quelque réserve faite dans la tradition du fonds.

     Le bedat actif n’est point sans exemple dans la Coutume de St. Sever. Le sieur Dumartin en jouit dans sa Terre de Benquet, M. le Duc de Bouillon en jouit également dans sa Terre de Maucor, & ces droits ont été confirmés sur la tête de ces deux Seigneurs par des Arrêts de la Cour.

     Il y a quelques années que certains Propriétaires de la Paroisse de Benquet, & entr’autres le sieur Dortés, voulurent fermer leurs landes ; le Seigneur s’y opposa ; cela donna lieu à une contestation très-sérieuse qui fut portée en la Cour. Le procès alloit être jugé, lorsque les Parties le compromirent à la décision de Mes. Dupont & Bernede, célebres Jurisconsultes à Saint-Sever. Par la Sentence arbitrale qu’ils rendirent, & qui fut homologuée en la Cour, les Habitans furent condamnés de tenir leurs landes ouvertes. On jugea que le Seigneur de Benquet ayant le bedat actif, c’est-à-dire, le droit de permettre & d’interdire l’entrée du bétail étranger dans les landes de la Jurisdiction, les Habitans ne pouvoient pas les fermer. L’Exposant soutient avoir le même droit, & il est fondé à le soutenir.

 

§. V.

 

Le bedat actif réclamé par l’Exposant existe ; titres qui établissent cette existence.

 

     Ce droit existe depuis quatre siecles : voici les titres qui consacrent cette existence.

     Par contrat du 9 Avril 1363 (1), Guilhelmine de Thoartigues ;

     (1) Cote 16 X du sac de l’Exposant.

 

 

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dame de Cabressat [Crabessat], vendit à Ogier de Doazit, « tous les droits, devoirs, raisons & actions personnelles & réelles, tant en propriété que possession, qu’elle avoit & devoit avoir dans la Seigneurie de Thoartigues, par héritages & successions dudit Seigneur, sur sa Caverie & Terres de Thoartigues, avec tous les droits & appartenances reconnus sur sadite Seigneurie, comme carnal, bois, prés, eaux, moulins, marais, padouens, servitudes, Justice haute, moyenne & basse, &c. le tout situé dans les Paroisses de Saint Jean d’Aulés & de Saint Jean de Larbey, de Saint Aubin, de Poujalles [poyaler], de Notre-Dame de Maylis, de Saint Martin Dumus ». Ce qui embrasse la généralité des landes actuellement comprises dans la Terre de Doazit, Ladite vente faite pour 282 écus d’or du vieux coin.

     « Ubi de hoc, s’écrie le sieur Darcet (2) ? Comment le Marquis de Candale prouve-t-il que les landes aujourd’hui possédées par les Habitans, & qui leur furent vendues en 1336 & en 1338, par Ogier de Doazit (3), étoient dépendantes de la Caverie de Thoartigues & en faisoient partie ? Le Marquis de Candale seroit bien embarrassé d’en fournir une preuve satisfaisante ».

     La réponse a précédé l’interpellation. Pour être convaincu que les landes en question sont dans la Caverie de Thoartigues, le sieur Darcet n’a qu’à lire ce même contrat de 1363, dont nous venons de rappeller les clauses, & il verra que les fonds qui en dépendent sont dans les Paroisses Dumus, Aulés, Maylis, Saint Aubin, Poujalles & Larbey. Or certainement les landes dont s’agit sont dans ces Paroisses énoncées dans ce contrat ; nous défions le sieur Darcet de prouver le contraire. S’il y en a quelqu’autres qui n’y soient pas, l’Exposant les lui abandonne.

     La distance des temps & des époques, ne permet pas à l’Exposant de rapporter dans son entier la filiation de tous les actes qui ont été passés au sujet de ces landes : cependant il est parvenu à s’en procurer quelques-uns qui établissent parfaitement son droit de bedat actif.

     (2) Page 31 de sa Requête en la Cour.

     (3) Vid. Le §. XII, où nous parlons de cette prétendue propriété, & de ces titres sur lesquels on l’a dit fondée.

 

 

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     Un acte principal & décisif dans ce procès, est un contrat du 8 Juin 1412 (1), passé entre Enjean de Doazit & les Habitans du lieu de Marquebieille, situé hors de la Jurisdiction de Doazit.

     Par cet acte, le Seigneur de Doazit accorda à ces Etrangers la faculté de faire pacager leur bétail, de nuit & de jour, sur le territoire de Camés, Sanguinet & Labanicau, sur toutes les landes dépendantes de la Seigneurie de Thoartigues, EN TOT LA SENHORIE ET CAVERIE de Thoartigues, & généralement dans tout le Bailliage de Doazit, PER TOT LOU BAYTLIAGE de Doazit. Les Habitans de Marquebieille se soumirent à payer pour cette concession, au Seigneur de Doazit, une rente qui y est spécifiée.

     Depuis l’époque de ce contrat, les Habitans de Marquebieille ont perpétuellement fait pacager leurs bestiaux dans toute la Terre de Doazit, sans que les Habitans de Doazit y aient jamais porté le moindre obstacle. Nous en rapportons la preuve.

     Quand l’Exposant n’auroit à présenter à la Cour que ce titre & cette possession, ils suffiroient sans doute pour faire maintenir sur sa tête le droit qu’il réclame. Le sieur Darcet en redoute les effets ; pour s’en convaincre, il ne faut que voir comment il a essayé de combattre cet acte de 1412.

     « C’est une chose vraiment singuliere (2), que le Marquis de Candale veuille prouver sa possession par un acte qui peut bien prouver une convention, mais qui certainement ne peut prouver les actes possessoires qui l’ont suivi. Si le Seigneur de Doazit avoit, en 1412, le droit de concéder l’héritage & le pacage aux Etrangers sur les héritages propres & particuliers des Habitans de sa Terre, un acte de 1412 pourroit prouver que ce Seigneur auroit transporté ce droit aux Habitans de Marquebieille ; mais cet acte ne sauroit prouver que les Habitans de Marquebieille aient profité de la concession, & joui réellement de l’herbage & du pacage qui qui leur étoit concédé. Rien n’a pu empêcher le Seigneur de Doazit & les Habitans de Marquebieille, d’insérer dans un acte tout ce qu’ils ont voulu, en l’absence & à l’insu des Habitans de

     (1) Ce contrat est rapporté en original, sous cote 20 M du sac de l’Exposant ; & en collationné, sous cote 16 Y.

     (2) Page 111 & suiv. de sa Requête en la Cour.

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Doazit. Mais qu’ont-ils fait en vertu & en exécution de cet acte ? VOILA LE POINT : or jamais les Habitans de Marquebieille n’ont mis leurs bestiaux dans les héritages particuliers des Habitans de Doazit, ceux-ci ne l’auroient pas souffert. Le Marquis de Candale n’en rapporte ni ne sauroit en rapporter aucune preuve. Mais quand cet acte porteroit ce que le Marquis de Candale dit qu’il porte, il seroit très-inutile, comme ayant été fait sans le concours des Habitans de Doazit. »

     C’est bien sans le vouloir, que le sieur Darcet est convenu du point de la question qu’il a toujours éludé depuis le commencement du procès. Qu’ont fait les Habitans de Marquebieille, en vertu & en exécution de l’acte de 1412 ? Véritablement le procès se réduit à ce mot : quelqu’impatience que nous ayons de donner à cet égard satisfaction au sieur Partie adverse, nous devons nous arrêter un moment sur cet acte, & présenter les autres titres qui établissent l’existence du droit de l’Exposant.

     L’Exposant n’a jamais dit que le contrat de 1412 prouve sa possession : il ne faut point prêter des ridicules aux autres pour justifier son injustice. Le contrat de 1412, établit le droit de l’Exposant ; d’autres titres consacrent l’exercice de ce même droit.

     « Il s’en faut bien, continue le sieur Darcet (1), que cet acte de 1412 favorise le systême du Marquis de Candale ; on voit bien qu’il y accorde aux Habitans de Marquebieille, l’usage indéfini de certaines landes de sa Terre ; mais on voit aussi que les clauses de l’acte, & la nature de la faculté concédée, supposent nécessairement la propriété absolue des landes dont il s’agit dans cet acte, dans la main du Seigneur qui concede ; les expressions qui prouvent la propriété ne sont point équivoques. Hetbatge, trencadis, de dents, de bestiars, & tailh & dailh, & feugar dessus, terre & dejus terre. Il n’y a qu’un propriétaire qui puisse accorder cet usage indéfini. Or le Marquis de Candale n’avoit point cette propriété sur nos landes. C’est donc des siennes que les Habitans de Marquebieille ont l’usage, &c. .... »

     Les clauses du contrat de 1412, & la nature de la faculté con-

     (1) Page 16 & suiv.

 

 

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cédée aux Habitans de Marquebieille, ne supposent point la propriété absolue des landes dont s’agit dans la main de l’Exposant ; les expressions tailh & dailh, &c. ne prouvent point non plus cette propriété. Tout ce qui résulte de cet acte, c’est que l’Exposant a accordé aux Habitans de Marquebieille la faculté d »herbager & pacager dans la Jurisdiction de Doazit & territoires en dépendans. Une observation à faire, c’est ce que dans cet acte, il est fait mention de quelques landes appartenantes à l’Exposant ; mais le droit d’herbage, sur celles de la Jurisdiction de Doazit, y est clairement exprimé. Cette distinction est essentielle & décisive ; nous en donnerons bientôt les détails.

     « Cet acte a été fait sans le concours des Habitans ; donc il est inutile, quand il seroit favorable au Marquis de Candale ».

     Mauvaise conséquence. Enjean de Doazit n’étoit point tenu d’appeller les Habitans de sa Jurisdiction pour user d’un droit qui lui appartenoit. Si leur suffrage lui avoit été nécessaire, vraisemblablement il n’auroit pas traité avec les Habitans de Marquebieille ; mais, quoi qu’il en soit, si l’exercice de ce droit fatiguoit ceux de Doazit, ils devoient se plaindre, s’opposer à cet exercice, & faire valoir la prétendue immunité des landes ; bien loin de là, ils n’ont jamais rien dit, ils ont souffert ce qu’ils ne pouvoient pas éviter ; ce silence de leur part, est un moyen bien puissant contre les efforts du sieur Darcet.

     « Tout ce que j’ai dit jusqu’à présent est oiseux, ajoute-t-il (1) ; une clause de cet acte tranche la question : il y est dit expressément, que le Seigneur de Doazit accorde cette faculté aux Habitans de Marquebieille, sur les landes de Camés, de Sanguinet ou Labanicau ; & au besoin, la Caverie de Thoartigues, appartenantes au Seigneur, qui a bien été le maître de faire chez lui ce qu’il a voulu, mais qui n’a pas le même pouvoir sur nos propriétés ».

     Que tout ce qu’a dit le sieur Darcet, avant cette nouvelle découverte, soit oiseux, nous en convenons avec lui, puisqu’il l’avoue ; & il conviendra bientôt avec nous, que les conséquences qu’il tire

     (1) Page 121

 

 

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de cette clause, qui lui paroît si décisive, ne doivent point être distinguées de tout ce qu’il a dit jusques à présent. Nous nous contenterons d’observer dans ce moment, ce que nous avons déjà dit ; c’est que le contrat de 1412 embrasse toutes les landes du Bailliage de Doazit ; que cet acte est l’expression du droit du Seigneur, & qu’il est inutile de vouloir restreindre le droit de bedat aux landes de Camés, Sanguinet, Labanicau & Caverie de Thoartigues.

     Le second titre que l’Exposant produit pour établir son droit, est un contrat d’achat de la moitié de la Terre de Doazit, daté du 8 Mai 1562 (1), dans lequel le droit d’herbage, pâturage, droit de carnal, &c. y sont clairement exprimés.

     En 1598, le 9 Août (2), Jeanne de Belcier & Françoise de Bassillon, passerent une transaction, dans laquelle est insérée la donation de la maison & bien de Labeyrie. Cette donation est en latin, les caractères sont un peu difficiles à déchiffrer : cependant on voit à la page 8, que le donateur s’est réservé la Justice, le droit de carnage & d’herbage.

     En 1608, le 1er Mai (3), le Seigneur de Doazit permit à un particulier Daudignon, de faire paître, pâturer, pacager & herbager son bétail dans les herbatges de la Jurisdiction de Doazit. Cette permission donnée sans opposition, & suivie de l’exercice sans interruption, prouve le droit de l’Exposant.

     En 1648, le 15 Décembre (4), le Seigneur de Doazit passa, avec le sieur Decés, son Juge, une transaction, par laquelle ce Seigneur donne à ce Juge la permission de faire paître & herbager en tout temps ses bestiaux, de quelle nature qu’ils soient, dans toute l’étendue de la Jurisdiction de Doazit, pendant douze ans.

     En 1662, le 5 Septembre (5), Sarran de Candale passa une transaction avec les Habitans de Marquebieille, les mêmes qui, deux siecles & demi auparavant, avoient traité avec Enjean de Doazit, au sujet du droit d’herbage dans les landes de la Jurisdiction. Il est

     (1) Cote 21 C du sac de l’Exposant.

     (2) Cote 21 D du sac de l’Exposant.

     (3) Cote 20 O du sac de l’Exposant.

     (4) Cote 21 F du sac de l’Exposant.

     (5) Cote 20 P du sac de l’Exposant.

 

 

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important de rappeller les motifs qui déterminerent ce dernier acte ; ils serviront à dissiper les nuages dont le sieur Darcet a essayé de couvrir le contrat de 1412, relativement à la propriété des landes dont s’agit.

     On a vu que par cet acte, Enjean de Doazit avoit accordé aux Habitans de Marquebieille la faculté de faire pacager leur bétail, de nuit & de jour, tant sur le territoire de Camés, Sanguinet & Labanicau, que sur toutes les landes dépendantes de la Seigneurie de Thoartigues, & généralement dans tout le Bailliage de Doazit.

« De padiber pertot lou Baytliage de Doazit, per herbatgar, pasturar, de noctys & de jours, ab tots mouede, de pers de bestiars, & tailh & dailh, & feugar dessus terre & dejus terre, & mettre los bestiars en Camés, & en Seguinet, & en Labanicau, en lou tems de bedat, si lo Senhor de Doazit y met sous bestiars, o si la bene en autre part ; & plus voulo lod. Senhor, que los padevenses posquen padevir en tot la Senhorie & Caverie de Thoartigues, aixi propiment cum los besins, &c. .... »

     Les mots tailh & dailh contenus dans cet acte, firent croire aux Habitans de Marquebieille, qu’à la faculté d’herbager dans toutes les landes de la Jurisdiction, ils joignoient le droit de couper le soustrage dans les lieux de Sanguinet & Labanicau, appartenans au Seigneur. Ce n’avoit point de tout été l’intention de ce dernier, qui en conséquence, & pour faire cesser, ces coupes fréquentes, fit entourer de fossés les landes de Sanguinet & Labanicau. Les Habitans de Marquebieille se mutinerent & refuserent de payer la redevance spécifiée dans l’acte ; ce qui détermina le Seigneur à les faire saisir. Ils se pourvurent contre cette saisie. Procès en la Cour, sur lequel fut passée, ledit jour 5 Septembre 1662, la transaction dont est question dans ce moment,

« par laquelle les Habitans de Marquebieille se soumirent de payer les rentes convenues en 1412 ; de son côté, le Seigneur promet de les faire jouir, moyennant ce, de la concession à eux faite par le même contrat, pour le droit d’herbage & de pacage ; & pour faire cesser toutes questions à l’avenir, pour ledit droit de coupe & soutrage prétendu, a été convenu & accordé, qu’iceux dits Habitans de Marquebieille auront ledit droit de coupe, seulement, sur la lande appellée Coucsec & Banicau, audit Seigneur appartenant, & dans la conte-

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nance de quarante-quatre arpens, suivans les bornes & limites qui ont été mises & posées ; dans laquelledite contenance ils pourront couper tuie & fougere, en tout temps ; promettant ledit Seigneur ne vendre ni concéder à autres personnes le droit de coupe dans ladite lande, au préjudice desdits Habitans de Marquebieille, sous la réserve toutefois du droit d’herbage, qui demeurera franc & libre, & commun, tant pour les Habitans de Doazit que autres voisins qui payent droit d’herbage audit Seigneur, comme fera aussi celui du reste de la Jurisdiction de Doazit, pour lesdits Habitans de Marquebieille ».

     Deux observations à faire sur cet acte. 1°. Les Habitans de Marquebieille ont eu l’exercice du droit de pacage depuis 1412 jusqu’aux approches de 1662, c’est-à-dire, pendant deux cens cinquante ans ou environ ; exercice dans lequel ils ne furent jamais troublés, & qu’ils ne suspendirent que par un fait particulier entr’eux & leur Seigneur ; exercice enfin qu’ils ont repris depuis 1662, sans aucune contestation de la part des Habitans de Doazit, Voilà en partie ce qu’ont fait ceux de Marquebieille.

     2°. La distinction des landes appartenant au Seigneur d’avec celles de toute la Jurisdiction de Doazit, est parfaitement énoncée dans cet acte, & cette distinction détruit absolument la nouvelle découverte du sieur Darcet, puisque ce n’est point sur ses propres landes que ce Seigneur restreint la faculté d’herbager qu’il a donnée aux Habitans de Marquebieille, & qu’au contraire cette faculté leur est accordée sur toutes les landes de la Jurisdiction ; le droit de couper le soutrage, est donné seulement sur les landes de Coucsecq & Banicau ; le Seigneur pouvoit le permettre, puisque ces landes lui appartenoient, ce qu’il ne permet pas sur les autres landes, où les Habitans n’ont que la faculté d’herbager. Mais en consédant le droit de couper le soutrage, Sarran de Candale ne perd pas de vue son droit de bedat ; sous la réserve toutefois du droit d’herbage, qui demeurera franc & libre & commun, tant pour les Habitans de Doazit que autres voisins qui paient droit d’herbage audit Seigneur ; comme fera aussi celui du reste de la Jurisdiction de Doazit, pour lesdits Habitans de Marquebieille.

     Ainsi cette transaction de 1662 ajoute un nouveau degré de force au contrat de 1412 ; elle confirme tout à la fois l’existence du droit de l’exposant, & l’exercice de ce même droit. Nous

 

 

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pourrions donc, sans aucun danger, nous reposer sur ces deux actes ; mais ceux dont nous allons parler, établissent plus parfaitement encore (s’il est possible) la juste réclamation de l’Exposant.

     Ces titres sont trois dénombremens des années 1680, 1727, 1765 (1).

     Ces dénombremens ont été rendus au Roi par le Seigneur de Candale, ils ont été duement publiés & vérifiés, ils n’ont jamais éprouvé aucune contradiction de la part des Habitans de Doazit.

     Dans ces actes, le Seigneur de Doazit dénombre le droit de bedat & de carnal dans lesdites landes.

     Ces dénombremens ont paru au sieur Darcet, décisifs dans l’intérêt de l’Exposant : aussi, que de mauvaises chicanes n’a-t-il pas soulevé devant le Sénéchal, pour soutenir qu’ils ne pouvoient être d’aucun avantage à l’Exposant ! systême de défense, qu’on a abandonné en la Cour, parce qu’il contrastoit absolument avec les Lettres en restitution que le sieur Darcet a impétrées contre les acquiescemens contenus dans ces mêmes dénombremens.

     Aujourd’hui c’est tout autre chose ; le sieur Darcet s’est replié dans cette propriété dont il parle toujours, & dont il ne peut jamais être question.

     « Quand les Seigneurs de Doazit, dit-il (2), auroient compris dans leurs dénombremens des choses contraires à la propriété, liberté & immunité des Habitans, dès que ceux-ci se sont constamment maintenus dans dans la possession des landes & héritages qui leur appartiennent, le Marquis de Candale ne peut point tirer avantage de cette circonstance ».

     Le sieur Darcet a dit en quelqu’endroit de sa Requête, que les suppositions de l’Exposant sont des réalités. Nous lui répondons qu’il n’en est pas de même de l’allégation qu’il se permet relativement à la prétendue possession des Habitans, de la franchise & immunité de leurs landes. Il est étrange que le sieur Darcet s’obstine à soutenir que les landes dont s’agit ont toujours été exemptes du droit de bedat, lorsque la preuve contraire résulte de tous les actes du procès, lorsque la voix de presque tous ses Concitoyens s’élevroit pour le dé-

     (1) Cotes 17 A, 17.B, 17 C du sac de l’Exposant.

     (2) Page 88 de sa Requête en la Cour.

 

 

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mentir sur ce point, lorsqu’enfin les Particuliers intéressés, comme lui, ont authentiquement reconnu la sujettion de ces mêmes landes au bedat.

     Il n’est pas moins étonnant que le sieur Darcet affecte de se servir continuellement des termes, nos héritages, pour désigner les landes sujettes au bedat. L’Exposant ne prétend rien aux biens ni aux domaines des Parties adverses ; tout ce qu’il leur demande, & ce que ses titres lui assurent, c’est que chacun d’eux en particulier laisse ouverte la portion de lande qui lui a été assignée uniquement pour y couper le soutrage, & non pour la cultiver & la labourer. Cette propriété qu’ils font sonner si haut, ne leur donne que le droit de couper ce soutrage, faculté qui ne leur a jamais été interdite : il y a trois ans qu’on ne cesse de leur répéter ce fait ; ils feignent de ne pas entendre, pour avoir le prétexte de parler & reparler de leurs héritages, croyant par ce petit moyen émouvoir la pitié de la Cour, n’ayant rien à espérer de sa justice.

     « Je conviens, ajoute le sieur Darcet (1), que ces dénombremens parlent du droit de bedat, mais c’est du bedat prohibitif ; pour de droit de bedat actif, jamais les auteurs du Marquis de Candale n’ont songé à en prétendre. Ce qui le prouve, c’est qu’ils font confronter le territoire de Camés aux padouens que les Habitans de Doazit occupent pour le présent. On connoît la maxime qui de uno dicit, de altero negat : dès que les Seigneurs de Doazit ont déclaré n’avoir ce droit de bedat que sur un territoire circonscrit, borné par nos possessions, ils ont donc déclaré n’avoir point ce droit sur les possessions placées hors de ce territoire ».

     Le sieur Darcet perd de vue la clause des dénombremens. Cette clause n’a rien de limité, elle embrasse toutes les landes du Bailliage de Doazit.

     Le droit de bedat actif est clairement énoncé dans les dénombremens de 1680 & 1727 ; mais celui de 1765 (2) ne laisse aucune équivoque : on y lit, page 9, le Seigneur a de plus le droit, depuis mil quatre cent douze, de prendre annuellement dans tout le lieu de Marquebielle, sur chaque maison d’icelle, six liards, une poule, & deux mesures d’avoine combles ; & s’ils nourrissent des agneaux,

     (1) Pag. 90.

     (2) Cote 17 C du sac de l’Exposant.

 

 

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chevreaux, pourceaux, jusques au nombre de trois, ils sont tenus de lui en donner un à son choix.

     L’époque à laquelle remonte ce droit, est précisément celle du contrat passé entre Enjean de Doazit & les Habitans de Marquebieille. La redevance est exactement celle qu’ils se soumirent de payer, elle est rappellée dans la transaction passée en 1662 entre Sarran de Candale & les mêmes Habitans de Marquebieille. Cette redevance est le prix du bedat actif, exercé depuis 1412. Ainsi ce contrat de 1412 forme le titre principal & fondamental du droit de bedat actif.

     Après cette preuve, si l’on pouvoit douter encore que les dénombremens produits par l’Exposant énoncent ce droit, qu’on se rappelle les Lettres en restitution que le sieur Darcet a impétrées contre les acquiescemens & reconnoissances données par les Habitans de Doazit dans ces mêmes dénombremens. Le sieur Darcet se seroit-il donné tant de soins, si ces actes avoient été muets sur ce droit de bedat actif ?

     Tels sont les titres qui établissent l’existence du droit réclamé par l’Exposant. A ces titres se joint l’exercice paisible, continu & public de ce droit pendant quatre siecles, possession dont le sieur Darcet conteste la légitimité. Voyons qui, de lui ou de l’Exposant, est le mieux fondé dans la prétention qu’il oppose.

 

§. VI.

 

L’Exposant a la possession immémoriale, dont il excipe.

 

     Les différens titres que l’Exposant a produits, & dont nous avons fait l’analyse, prouvent tout à la fois, & son droit, & sa possession.

     A compter du jour du contrat de 1412 jusqu’à l’époque de l’entreprise des Parties adverses, il s’est écoulé trois cent soixante-cinq années, qui suffisent sans doute pour établir la possession.

     «  Mille ans ne vous suffiroient pas, dit le sieur Darcet (1), non-seulement par cette raison générale qu’il n’y a point de prescription du Seigneur au Vassal, mais plus particuliérement encore, par cette raison supérieure, que tenant nos héritages du Seigneur

     (1) Pages 102 & 103 de sa Requête en la Cour.

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de Doazit, & le droit de bedat actif n’ayant pas été établi par ce titre, les possesseurs n’ont pu souffrir de surcharge ».

     Il n’est pas temps encore d’examiner ce titre prétendu de propriété des Parties adverses, & d’en prouver tout au moins l’inutilité ; en attendant, nous observerons qu’à supposer ce titre aussi puissant qu’il est invalide, il seroit toujours anéanti par l’exercice constant & paisible de ce droit, dont les Habitans de Doazit ont laissé jouir leurs Seigneurs depuis 1412.

     Quant à cette raison générale qu’il n’y a point de prescription du Seigneur au Vassal, notre réponse est bien simple, & le sieur Darcet a dû la prévoir ; elle résulte de la nature même du droit réclamé par l’Exposant.

     Le droit de bedat actif est celui de laisser entrer le bétail étranger dans les landes de toute la Jurisdiction. Ce droit ne peut être exercé si ces landes sont fermées. L’Exposant, qui a ce droit de bedat, a, par une conséquence bien juste, celui d’empêcher que les Habitans ne ferment leurs landes, parce qu’autrement il n’auroit pas l’usage de son droit. Or le droit d’empêcher de clore est une servitude ; on peut donc l’acquérir. La qualité de Seigneur n’y a jamais mis d’obstacle. Nous allons en donner un exemple qui n’est pas étranger au Sr. Darcet, c’est la Loi de son Pays qui nous le fournit.

     Dans la Coutume de St. Sever, le Seigneur peut si bien prescrire contre ses Vassaaux, que suivant l’art. 1er du titre des Pâturages, les Habitans d’une Jurisdiction peuvent introduire leur bétail dans une Jurisdiction voisine, sans être exposés au carnal, s’ils ont possession lointaine. Or si les Seigneurs peuvent laisser prescrire par la possession, ils peuvent donc prescrire eux-mêmes par le même moyen. La Loi est parfaitement égale.

 

§. VII.

 

L’Exposant a exercé sa possession.

 

     C’est le moment à répondre à l’interpellation que le sieur Darcet nous a faite (1), & que nous avons rappellée plus haut. Qu’ont fait les Habitans de Marquebieille en vertu & en exécution du contrat de 1412 ? A quoi le sieur Darcet a ajouté, voilà le point.

     (1) Page 113 de sa Requête en la Cour.

 

 

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     Si l’Exposant prouve non-seulement que les Habitans de Marquebieille, mais encore d’autres Habitans voisins, ont usé de la faculté qui leur a été donnée de mener leurs bestiaux dans les landes de la Jurisdiction de Doazit, ce point sera décidé en faveur de l’Exposant.

     Et d’abord nous avons déjà observé que les Habitans de Marquebieille en avoient usé depuis 1412, date du contrat, jusques en 1662 ou environ, époque où ils transigerent avec Sarran de Candale sur le procès qu’ils avoient en la Cour, les expressions dont ils se servent dans cet acte, prouvent clairement l’usage de cette faculté, puisqu’en parlant du coupement du soutrage qu’ils disoient être en droit de faire dans les landes particulieres du Seigneur, en même temps qu’ils y menoient paître leurs bestiaux, ils se servent de ces mots : Cette longue jouissance & possession servoit d’explication suffisante aux termes du contrat ; jouissance & possession qui se rapportent conséquemment à l’action de mener leur bétail dans les landes de la Jurisdiction de Doazit ; jouissance & possession auxquelles Sarran de Candale ne voulut point attenter, puisque par cette transaction il permit aux Habitans de Marquebieille de couper le soutrage dans les landes de Coucsecq & Banicau seulement, appartenantes au Seigneur, quoiqu’il soutînt que par les mots tailh & dailh contenus dans l’acte de 1412, Enjean de Doazit ne leur avoit pas donné cette faculté.

     A cette première preuve se joint celle prise des paiemens faits en différens temps, par les Habitans de Marquebieille, des redevances relatives à la faculté qui leur a été accordée. Nous rapportons cette preuve.

     Ces Habitans ne sont pas les seuls étrangers auxquels les Seigneurs de Doazit aient accordé ces permissions, & qui en aient fait usage.

     A cet égard, la possession & l’exercice des Seigneurs de Doazit sont prouvés par une foule de titres passés avec des Particuliers qui ne sont point de la Jurisdiction de Doazit, mais des Paroisses voisines, Saint-Aubin, Banos, Audignon, Caupene, Saint-Cricq, &c. Soixante-six actes, dont vingt-deux passés devant Notaires, attestent cette vérité. Ces actes portent concession, de la part du Seigneur, de la faculté de pacager dans les landes de la Jurisdic-

 

 

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tion de Doazit : la majeure partie de ces actes remontent à l’année 1607, & comprennent quelques années subséquentes (1).

     Depuis plus d’un siecle on n’a point passé d’acte public pour le droit de pacage & d’herbage ; le Seigneur s’est contenté de tenir des catalogues où se faisoient inscrire ceux qui étoient venus demander la permission de mener le bétail dans les landes, & à qui le Seigneur l’avoit accordée (2). S’il est besoin d’une enquête pour prouver l’existence de ce droit, l’Exposant est en état de la faire.

     Ces états ou catalogues établissent les paiemens des redevances relatives au droit de bedat ; paiemens faits, tant par les Habitans de Marquebieille, que par ceux des Paroisses dont nous venons de rappeller le nom. Ces catalogues, faits par les Agens du Seigneur, doivent faire en Justice la même foi que des actes publics ; on n’est pas toujours à portée d’un Notaire, & on évite des frais. Il fut jugé au mois de Juillet de l’année derniere, à l’Audience de la Grand’Chambre, qu’un livre de raison tenu par un Propriétaire, devoit produire le même effet vis-à-vis de son Métayer qu’un acte public (3).

     Lorsque quelqu’un de ces Particuliers qui s’étoient faits inscrire sur ces catalogues, vouloit ensuite cesser de participer au pacage, il adressoit un acte au Seigneur de Doazit, afin qu’il eût à ôter ou rayer son nom ; l’Exposant a recouvré des actes de cette espece, notifiés par le ministere d’un Notaire (4).

     L’Exposant produit en outre un contrat de ferme de la Terre de Doazit, en date du 6 Juillet 1741 (5), passé entre Dame Romaine de Lafaisse, veuve de Messire Léon de Candale de Foix & Pierre Detcheverri, sieur de Laxalde, Habitant de Saint-Sever, moyennant la somme de 6060 livres par année, dans laquelle ferme est compris le droit d’herbage dans Doazit.

     Enfin la possession & l’usage du Seigneur d’accorder ces permissions, & d’en percevoir une redevance, est établie sans aucune

     (1) Vid. un cahier in-4°. couvert en parchemin, où sont rapportés ces soixante-six actes, cote 21 E du sac de l’Exposant.

     (2) Vid. ces catalogues, cote 21 N, ibid.

     (3) C’étoit dans la cause de Me. Andrieu, Avocat à Levignac, Plaidans Mes. Feuilhe & Jaubert.

     (4) Vid. les cotes 20 Q, 20 R, 20 S, 20 T, du sac de l’Exposant.

     (5) Cote 21 J du sac de l’Exposant.

 

 

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équivoque sur la généralité des landes situées dans la Terre de Doazit ; les propres Métayers du sieur Darcet, qui sont Habitans de la Paroisse Daudignon, Jurisdiction étrangere, ont toujours mené leur bétail sur les landes de Mouscardon & du Tresqué, en vertu de la possession que leur en accordoit le Seigneur de Doazit, & ils ont toujours payé la redevance ordinaire.

     Cette foule de titres qui établissent démonstrativement l’exercice du droit de l’Exposant, détruisent bien formellement cette assertion peu réfléchie du sieur Darcet, lorsqu’il a dit que jamais l’Exposant n’a joui de ce droit ; que jamais les Habitans de Marquebieille n’avoient mis leurs bestiaux dans les héritages de ceux de Doazit, que ceux ci ne l’auroient pas souffert.

     Que ces Habitans n’eussent pas souffert que ceux de Marquebieille, de Banos, de Saint-Aubin, de Caupene, de Saint-Cricq ravagassent leurs héritages, ils eussent été très-bien fondés. Mais nous le répétons encore, ce n’est point des héritages des Habitans de Doazit qu’il est question, il s’agit des landes qui ne produisent que le soutrage, & sur lesquelles les titres de l’Exposant & sa possession lui assurent une servitude ; l’Exposant en a usé librement, les Parties adverses l’ont souffert, parce qu’ils ne pouvoient pas l’éviter. Le point fixé par le sieur Darcet est donc jugé en faveur de l’Exposant.

 

§. VIII.

 

Publicité de l’exercice du droit de bedat.

 

     On a vu par les actes que nous venons de rappeller, que l’exercice que l’Exposant a eu de son droit, a dû nécessairement être public ; des Etrangers ne se transportent pas avec leurs bestiaux dans une autre Jurisdiction, sans que les Habitans s’en apperçoivent ; ces Etrangers ne viennent pas furtivement au Château payer les redevances relatives à la faculté qui leur a été concédée ; enfin ces Etrangers ne se maintiennent pas dans cet usage pendant trois cent soixante-cinq années par une possession furtive.

     C’est en vertu du contrat de 1412 que les Habitans de Marquebieille sont dans l’usage de mener paître leurs bestiaux dans la Jurisdiction de Doazit, & l’Exposant en possession de son droit.

H

 

 

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Depuis cette époque, ce droit a toujours été exercé ; jamais les Habitans de Doazit qui connoissoient le droit, qui étoient les témoins de l’usage qu’on en faisoit, jamais ces Habitans n’ont osé contester l’un ni s’opposer à l’autre.

     Le sieur Darcet a eu raison de dire que rien n’a pu empêcher le Seigneur de Doazit & les Habitans de Marquebieille d’insérer dans un acte tout ce qu’ils ont voulu.

     Mais si les Habitans de Doazit avoient eu quelque pouvoir, quelque droit de s’affranchir de ce qui leur auroit été onereux dans cet acte, rien n’auroit pu les empêcher de réclamer contre cet acte, ils pouvoient l’attaquer dans son principe, contester au Seigneur un droit qu’il eût concédé mal à propos ; ils pouvoient au moins s’opposer à l’exercice de ce droit ; en un mot, faire tout ce qui étoit en eux pour empêcher les Habitans de Marquebieille, ceux de Saint-Aubin, de Banos, Daudignon, de Caupene, de Saint-Cricq & autres, d’en user aussi librement, aussi publiquement. Mais, encore une fois, les Habitans de Doazit n’ont jamais osé s’élever contre ce droit du Seigneur, parce qu’ils étoient sûrs de succomber dans les tentatives qu’ils hasarderoient.

     « Mais ce contrat fut passé à l’insu & en l’absence des Habitans de Doazit ; comment donc pouvoient-ils se plaindre d’un acte duquel le Seigneur eut grand soin de les écarter » ?

     Le sieur Darcet & ses Consorts ont-ils appellé l’Exposant lorsqu’ils ont fait clore de fossés les portions de landes qui leur ont été affectées ? Cependant il a agi. Dès l’instant qu’il a vu ces fossés, que les Parties adverses ne devoient pas faire, il a réclamé contre cette entreprise qui pouvoit compromettre son droit, à la différence des Parties adverses, qui ont vu tranquillement les Habitans des Jurisdictions voisines user d’une faculté accordée par le Seigneur, sans y former la moindre opposition, sans y mettre le plus petit obstacle.

     Que les Habitans de Doazit n’aient pas concouru à la passation du contrat de 1412, cette circonstance est aussi indifférente au procès que leur présence à l’acte eût été inutile. Nous avons dit plus haut que le Seigneur n’étoit pas tenu de les appeller pour user d’un droit qui lui appartenoit. Il suffit à l’Exposant que l’exercice de son droit ait été public. Or nul doute à cet égard,

 

 

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le contrat de 1412, la transaction de 1662, les différens paiemens faits aux aïeuls de l’Exposant, & à l’Exposant lui-même, les redevances relatives à ce droit, le contrat de ferme de la Terre de Doazit, tous ces titres sont autant de preuves qui consacrent la publicité de ce droit.

     Les conséquences qui réultent de ces actes, & l’exécution qu’ils ont reçue, au vu & sçu des Habitans de Doazit, se présentent d’elles-mêmes. Il n’est personne en effet qui ne sente combien ces Habitans eussent été intéressés à empêcher l’exercice de ce droit, s’ils eussent été fondés à s’y opposer. Ils ne l’ont cependant jamais entrepris, quoiqu’il ait presque toujours existé des procès très-sérieux entr’eux & le Seigneur au sujet d’autres droits.

     On doit singulierement faire attention à une circonstance que nous avons présentée en commençant, & qui est d’une grande importance dans ce procès ; c’est que les Habitans de Doazit se diviserent entr’eux les landes, c’est-à-dire, qu’ils assignerent à chacun d’eux une portion particuliere pour y couper le soutrage exclusivement à tous autres. (Voilà en quoi consiste la propriété des Habitans sur ces landes, ils n’ont que le soutrage exclusivement à tous autres). Or, lors de cette division, les Habitans ne crurent point pouvoir fermer ces portions qui leur étoient assignées, ils en laisserent au contraire l’entrée libre comme auparavant. Cette ouverture constante & perpétuelle des landes, malgré leur partage, relativement au soutrage, n’avoit & ne pouvoit avoir d’autre cause que le droit appartenant au Seigneur d’accorder à des étrangers la permission d’y envoyer paître le bétail ; sans cela chaque Habitant n’eût pas manqué de clore sa portion de landes, soit pour se réserver à lui seul le pacage, soit pour rendre le soutrage plus abondant ; car il est de fait constant & notoire dans le Pays, qu’un journal de lande ouverte ne se vend pas au delà de 50 livres, tandis qu’il en vaut au moins 150 lorsqu’il est fermé.

     Cette ouverture constante & perpétuelle des landes, malgré le partage qu’en firent entr’eux les Habitans de Doazit, est un hommage solemnel que ces Habitans rendirent au droit de leur Seigneur. Quelle que fut l’idée ou la volonté de quelques-uns, & peut-être du sieur Darcet, s’il existoit alors, qui sans doute auroient voulu fermer leurs portions de landes, ce droit du Seigneur veilloit pour

 

 

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lui ; il défendoit ses intérêts contre les entreprises que les Habitans auroient tenté pour augmenter leur fortune. Ainsi ces Habitans ont été non-seulement les témoins de l’exercice du droit de l’Exposant, ils en ont été encore les coopérateurs. Ce respect, cette soumission qu’ils montrerent alors, pourquoi s’en sont-ils écartés ? Comment sur-tout ont-ils osé dire que la possession de l’Exposant est clandestine, lorsque cette possession est leur ouvrage, lorsqu’il dépendoit d’eux d’y mettre obstacle dans le temps le plus favorable pour eux, lors du partage de ces landes.

 

§. IX.

 

Force & effets de la possession immémoriale.

 

     Tous les Auteurs nous apprennent que la possession centenaire & immémoriale ne forme pas une simple prescription, qu’elle est par elle-même un titre auguste formé par la nature, & qui ne peut être abrogé que par une loi spéciale.

     Ces principes sont renfermés dans l’idée générale que Dumoulin nous a donné de la possession centenaire, sur l’article 12 de la Coutume de Paris : prœscriptio centum annorum habet vim constituti, undè nunquam censetur exclusa per legem prohibitivam, & per universalia, negativa, & geminata verba omnem quamcumque prœscriptionem excludentia. C’est aussi ce nous enseigne Faber, sur la Loi 7, cod. de prœscript. 30 vel 40 annorum. Il seroit inutile de citer davantage, pour étayer un principe dont on ne contestera certainement pas la vérité.

     « Si la prescription de dix ou vingt ans, de trente ou quarante ans, disoit le célebre Cochin (1), l’emporte souvent sur les titres de propriété les plus authentiques & les plus décisifs, que doit-on penser de la possession centenaire & immémoriale ? Il n’y a rien qui ne cede à son autorité, si par une disposition textuelle on n’y a expressément dérogé ; cette possession n’opere pas une simple prescription, elle ne fait pas seulement présumer des titres, elle opere

     (1) Tom. 4, pag. 572 & 575.

 

 

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par elle-même le titre le plus puissant, le plus solemnel & le plus efficace ; titre à la vue duquel tout doit se soumettre.

     Les prescriptions les plus longues, qui sont celles de trente ou quarante ans, longissimi temporis, sont purement de droit civil & politique ; la Loi les a établies & les soutient par son autorité. Il n’en est pas de même de la possession centenaire & immémoriale, elle est de droit naturel, elle tire toute sa force de la convention formée entre tous les hommes & entre toutes les nations, qui ont reconnu que tout ce qui avoit subsisté dans le même état pendant plus d’un siecle, étoit inébranlable. C’est la raison même qui a imprimé cette vérité dans le cœur de tous les peuples ; il faudroit effacer ces premieres vérités que nous puisons dans la nature, pour pouvoir affoiblir l’autorité de la possession centenaire & immémoriale. Il est de l’intérêt de toutes les familles de la raffermir par une Jurisprudence constante. Car enfin, quel est le Citoyen qui puisse compter sur le patrimoine de ses peres, si après une possession de de plus d’un siecle, il ignoroit encore si sa propriété est chancelante ou inébranlable ? »

     Ce discours éloquent, tenu par Cochin, & qui fit rejetter un codicille que le Marquis de Nisas produisoit pour dépouiller le Comte Duluc, après une possession plus que centenaire, fondée sur le testament, le Marquis de Candale l’emploie aujourd’hui pour défendre le droit qu’on lui conteste après une possession de près de quatre siecles. Si une possession centenaire a paru suffisante, si elle a tenu lieu de titre au Comte Duluc, quelle faveur ne doit pas mériter celle dont l’Exposant excipe, lorsqu’elle est appuyée d’ailleurs sur des titres aussi anciens ? Toutes les Nations ont reconnu que tout ce qui avoit subsisté dans le même état pendant cent ans, étoit inébranlable ; & les Habitans de Doazit viendront contester à leur Seigneur, un droit qu’il exerce depuis trois cens soixante-cinq années, un droit qui fait partie de ses propriétés, un droit qu’ils ont respecté eux-mêmes, dans un temps où il sembloit que leur esprit litigieux devoit les exciter à l’attaquer ? Quand l’Exposant n’auroit point à présenter à la Justice le contrat de 1412, ce titre contre lequel tous les efforts du sieur Darcet viendront toujours se briser, la possession immémoriale dont il a joui, seroit pour l’Exposant un titre qui assureroit son droit. Tels sont les effets salutaires de cette possession ;

I

 

 

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la Loi a décidé qu’un objet quelconque, possédé sans titre pendant cent ans, appartient aux possesseurs, & que personne n’a le droit de le réclamer. Le motif qui a déterminé la Loi est bien sensible, c’est que si cet objet n’eût pas appartenu au possesseur, il seroit venu quelqu’un dans un aussi long espace de temps, pour interrompre cette possession ; & ce motif s’applique bien naturellement aux Habitans de Doazit : pourquoi souffrirent-ils, en 1412, sans la plus petite réclamation, qu’Enjean de Doazit introduisît dans la Jurisdiction ceux de Marquebieille ? Pourquoi l’ont-ils souffert depuis, à ceux de Banos, Daudignon, de Saint Aubin, de Caupene, de Saint Cricq ? Pourquoi ont-ils laissé le Seigneur de Doazit, jouir paisiblement de ce droit pendant trois cent soixante-cinq ans ? Pourquoi, lorsqu’ils partagèrent entr’eux les landes dont s’agit, ne pas les clore de fossés ? Pourquoi les laisserent-ils ouvertes au détriment de leur fortune ? C’est qu’ils n’avoient pas le droit de s’y oposer ; c’est que les titres de propriété de la Terre de Doazit, attribuoient ce droit au Seigneur ; c’est que les Habitans eux-mêmes avoient reconnu formellement la Justice de ce droit, en laissant tranquillement vérifier les dénombremens de la Terre de Doazit, qui exprimoient ce même droit.

     Cette derniere circonstance nous ramene naturellement à la contradiction dans laquelle a tombé le Sénéchal de Saint-Sever, en relaxant, tant le sieur Darcet, en qualité de Syndic des Habitans dénommés dans l’acte de délibération, que les autres Particuliers, sans préalablement avoir entériné les Lettres en restitution que le sieur Darcet avoit impétrées, en sadite qualité, contre les reconnoissances au droit de l’Exposant, données par les Habitans de Doazit, dans les dénombremens dont nous avons parlé.

 

§. X.

 

Le mépris qu’a fait le Sénéchal de Saint-Sever de ces Lettres en restitution, est contradictoire avec la relaxance prononcée dans cette Sentence.

 

     Une premiere observation à faire, c’est que le sieur Darcet, au nom qu’il agit, a compris, in eâdem cartâ, deux objets qu’il

 

 

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est essentiel de distinguer ; c’est-à-dire, qu’il s’est pourvu, dans les Lettres en restitution qu’il a prises, tant contre les reconnoissances données à l’Exposant de son droit, par les Particuliers dont nous avons parlé, que contre les acquiescemens donnés à ce même droit par les Habitans de Doazit, dans les dénombremens de cette Terre.

     Nous ne parlons point de l’objet qui regarde les premiers Particuliers ; on a déjà vu qu’ils ont déclaré que ces Lettres en restitution étoient l’ouvrage du sieur Darcet, qu’ils les désavouoient, qu’ils étoient prêts deffectuer ce qu’ils avoient promis à l’Exposant dans leur acte, & qu’ils protestoient contre tout ce que feroit le sieur Darcet au préjudice de ce désaveu. Il n’est pas étonnant qu’après cette rétractation, le Sénéchal de Saint-Sever n’ait pas statué sur cet objet inféré dans ces Lettres en restitution, puisque ces Particuliers, au nom desquels elles avoient été prises, s’en sont authentiquement départis.

     Ainsi nous n’entendons parler que du second objet compris dans ces mêmes Lettres en restitution (1), objet qui concerne les reconnoissances & acquiescemens donnés par les Habitans de Doazit au droit de l’Exposant, dans les dénombremens de la Terre de Doazit.

     Et à cet égard, n’est-il pas bien étrange que le Sénéchal de St. Sever ait relaxé le sieur Darcet en sadite qualité, sans préalablement avoir entériné ces Lettres en restitution ?

     Quel étoit l’objet du sieur Darcet, dans l’impétration de ces Lettres, sur ce point ? C’étoit de détruire les acquiescemens donnés au droit de l’Exposant : ces acquiescemens étoient décisifs dans son intérêt ; le sieur Darcet en étoit lui-même tellement convaincu, qu’il crut, avec raison, devoir les faire anéantir, pour obtenir la relaxance qu’il demandoit ; & cependant le Sénéchal de Saint-Sever laisse subsister ces acquiescemens & relaxe le sieur Darcet.

     Ce n’est pas même ici une omission de prononcer de la part de ce Tribunal, (moyen toutefois qui devroit opérer la réformation de la Sentence, puisque c’en est un de Requête civile contre un Arrêt de Cour Souveraine) il méprise formellement ces Lettres en

     (1) Elles sont produites sous cote 17 R du sac des Parties adverses. Il est essentiel de les lire.

 

 

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restitution, en mettant hors de Cour généralemant sur toutes les autres conclusions prises par les Parties. Ainsi le Sénéchal de Saint-Sever, en méprisant ces Lettres en restitution, a clairement jugé que les Habitans de Doazit ont parfaitement reconnu le droit de l’Exposant ; & par une conséquence bien juste, que ce droit existoit, & en même temps il a détruit ce même droit, en relaxant le sieur Darcet. Jamais peut-être on n’a vu de contradiction plus frappante.

     Et qu’on ne dise point que le sieur Darcet avoit retiré ces Lettres, qu’il ne vouloit plus s’en servir ; on voit le contraire dans ses Requêtes devant le Sénéchal, dans la derniere, où il demande l’admission de toutes ses précédentes conclusions. Il y a quelque chose de mieux, & qui rend inexcusable sur ce point le Sénéchal de St. Sever, c’est que les Lettres en restitution sont visées dans la Sentence. Pourquoi ce Tribunal les visoit-il ? Etoit-ce pour les mépriser comme il a fait ? A la bonne heure ; mais en les rejettant, pourquoi a-t-il relaxé le sieur Darcet ?

     Nous l’avons déjà dit ; ce vice, dans cette Sentence, devroit seul la faire réformer ; mais combien l’injustice qu’elle renferme, & qui résulte des titres dont nous venons de parler, rend cette réformation indispensable ! Combien la relaxance prononcée en faveur du sieur Darcet & des autres Particuliers, contraste avec la Sentence rendue par ce même Sénéchal contre le sieur Darbo, & avec l’Arrêt de la Cour qui la confirmée !

 

§. XI.

 

L’Arrêt de la Cour rendu contre le sieur Darbo, préjuge celui que l’Exposant sollicite.

 

     On se rapelle que le sieur Darbo fut le premier qui, au mépris des titres & de la possession qui assuroient le droit de l’Exposant, entreprit de clore la portion de landes qui lui avoit été affectée pour le soutrage. Cette portion étoit sur un territoire nommé Camés.

     L’Exposant réclama contre cette entreprise ; il excepta de son droit de bedat actif ; il produisit les mêmes titres qu’il présente aujourd’hui, titres qui en consacrent l’existence & l’exercice ; il soutint que la

 

 

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nature de ce droit étoit d’imposer aux Habitans de Doazit l’obligation de laisser les landes ouvertes, car autrement son droit de bedat deviendroit illusoire & chimérique ; que cette premiere obligation faisoit conséquemment au sieur Darbo, une Loi d’abattre les fossés qu’il avoit pratiqués pour clore ces mêmes landes, & dépouiller l’Exposant de son droit.

     Le sieur Darbo se défendoit comme se défendent aujourd’hui les Parties adverses. Il disoit : cette lande m’appartient ; il produisoit le contrat d’achat du fonds sur lequel il avoit pratiqué les fossés ; ce contrat étoit authentique & très-bon ; (bien différent en cela de ceux dont les Parties adverses excipent, comme nous l’établirons tout à l’heure) muni de ce contrat, qui lui donnoit cette espece de propriété, le sieur Darbo soutenoit avoit été en droit de faire tout ce qu’il avoit voulu sur le territoire de Camés, puisqu’il l’avoit acheté ; mais connoissant bien le vuide de cette défense, le sieur Darbo introduisit sa garantie contre son vendeur.

     L’Exposant répondit que le droit de bedat s’étendoit sur toutes les landes de la Terre, réponse puisée dans tous ses titres ; que le contrat d’acquisition du sieur Darbo ne lui donnoit point la faculté de clore les landes qui dépendoient du fonds qu’il avoit acquis ; que la nature de ces landes étoit de demeurer toujours ouvertes, & que la propriété du sieur Darbo ne s’étendoit qu’au coupement du soutrage, exclusivement à tous autres.

     C’est sur ce motif que le Sénéchal de Saint-Sever rendit, le 26 Mars 1774 (1), Sentence par laquelle « le sieur Darbo fut condamné d’abattre, dans le délai de huitaine, les fossés qu’il avoit fait faire, avec inhibitions & défenses de récidiver, à telle peine que de droit, & il fut débouté de la garantie qu’il avoit instruite contre son vendeur ».

     Sur l’appel interjetté par le sieur Darbo de cette Sentence, intervint Arrêt le 18 Mars 1777 (2), au rapport de M. l’Abbé Feger, par lequel la Cour confirma, dans toutes ses dispositions, la Sentence du Sénéchal de Saint-Sever.

     D’après cet Arrêt, il paroîtra bien inconcevable que le Sénéchal de Saint-Sever, qui avoit reconnu le droit de l’Exposant contre

     (1) Cote 17 D du sac de l’Exposant.

     (2) Cote 17 E ibid.

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le sieur Darbo, l’ait méconnu vis-à-vis les Parties adverses ; les motifs qui déterminerent le Sénéchal en 1774, sont cependant les mêmes qui devoient le guider dans la Sentence attaquée.

     « Vous vous trompez, dit le sieur Darcet, la lande Camés appartient au Marquis de Candale ; lande sur laquelle les Habitans de Marquebieille ont le droit d’aller pacager ; au lieu que celles que nous avons entourées de fossés nous appartiennent, elles sont dans un autre quartier ; donc nous ne sommes pas dans les mêmes circonstances ; donc il n’est pas bien étonnant que d’un côté, le Sénéchal ait condamné le sieur Darbo envers le Marquis de Candale ; & que de l’autre, il ait condamné le Marquis de Candale envers nous ».

     C’est le sieur Darcet qui se trompe. On vient de voir que le sieur Darbo se disoit propriétaire de la lande Camés, parce qu’il avoit acheté le fonds dont cette lande dépend. La lande de Camés n’est pas plus à l’Exposant que les autres landes. Dix à douze particuliers, tant de Doazit que de Saint Criq, en ont différens morceaux où ils coupent leur soutrage. Ce n’est donc point sur cette prétendue propriété, qu’on soutenoit dans l’intérêt de l’Exposant, que la Cour fonda son Arrêt ; c’est sur le droit de bedat, & ce droit s’étend sur toutes les landes de la Terre, puisque les Habitans de Marquebieille eux-mêmes, ont non-seulement le pacage sur Camés, mais même sur toutes les landes qui sont dans le Bailliage de Doazit ; l’acte de 1412 en fait foi, ainsi que les autres actes. Les Parties adverses sont donc dans les mêmes circonstances que le sieur Darbo. Encore une fois, cet Arrêt fut déterminé par le seul motif du bedat ; M. l’Abbé Feger, Rapporteur dans ce procès, la certifié au Défenseur de l’Exposant devant le Sénéchal de Saint-Sever.

     Or l’Exposant a le même droit de bedat sur les landes dont il s’agit aujourd’hui, que sur la lande de Camés, que le sieur Darbo avoit fermée ; de tous les titres rapportés, il n’en est pas un qui fasse aucune distinction à cet égard ; les Parties adverses n’ont donc pas été plus en droit que le sieur Darbo, à faire des fossés sur les landes.

     Il est vrai que dans tous les dénombremens, les Seigneurs de Doazit avoient dénombré la propriété du territoire de Camés ; mais la Cour regarda cette propriété comme une chimere, du moment

 

 

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que les Habitans y coupoient du soutrage, & y faisoient pacager leur bétail, parce que les landes ne donnent pas d’autre revenu ; la Cour ne s’arrêta qu’au droit de bedat, qui est également dénombré. (nous l’avons établi plus haut) La Cour crut, avec raison, ce droit incompatible avec la fermeture des landes, & c’est par cette raison qu’elle condamna le sieur Darbo d’abattre les fossés.

     En voilà bien assez, sans doute, pour justifier l’appel que l’Exposant a interjetté de la Sentence du Sénéchal de Saint-Sever, qui, au mépris des titres que nous venons de présenter, & de la possession immémoriale que l’Exposant avoit de son droit, & oubliant la Sentence qu’il avoit rendu lui-même quatre ans auparavant, & l’Arrêt de la Cour qui l’a confirmée, a relaxé le sieur Darcet, & les autres Particuliers, de la demande formée contr’eux, en abattement de fossés, dont ils ont fermé les landes sur lesquelles ce droit est établi. L’Exposant pourroit, sans compromettre ses intérêts, terminer ici sa défense, & laisser absolument sans réponse ce qu’a dit le sieur Darcet, au sujet de la propriété prétendue qu’ont les Habitans de Doazit des landes dont s’agit. Tout cela est véritablement étranger à ce procès, Nous allons cependant analyser les titres produits par le sieur Darcet, moins dans l’objet de les combattre, que pour en démontrer l’invalidité.

 

§. XII.

 

Titres des Parties adverses ; invalidité de ces titres.

 

     Il est bon de dire d’abord, que ce n’est pas la premiere fois que ces titres ont été produits, parce que ce n’est pas la premiere mauvaise contestation que les Habitans de Doazit ont soulevée contre leur Seigneur. Ils le furent dans le dix-septieme siecle par un sieur Desessart [Dedezest ?], partisan, qui se mit à la tête de certains Habitans de Doazit, pour contester à Henri de Foix-Candale, quelques droits de la Seigneurie. Mais menacé d’une inscription de faux, le sieur Desessart n’osa point soutenir ces titres, qui furent rejettés par un Jugement d’un Commissaire nommé par le Roi pour terminer cette contestation.

     L’idée générale que nous venons de donner de ces titres, doit fixer la Cour sur la confiance qu’ils méritent. Voyons les en détail.

 

 

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     Le premier, est un prétendu contrat d’achat des landes dont s’agit, daté du 6 Juillet 1336 (1), par lequel il paroît qu’un Seigneur de Doazit, nommé Auger, vendit des landes de la Communauté de Doazit. Cet acte est retenu par Gratias Bretinis, Notaire en Guienne.

     Deux ans après, en 1338 (2), second contrat de vente d’autres landes.

     A la suite de cet acte, on en voit un autre en date du 26 Juin 1434, retenu par Jean de Lipossa, par lequel il paroît qu’Enjean de Doazit (celui qui en 1412 avoit passé le contrat avec les Habitans de Marquebieille) petit fils du vendeur, a ratifié la vente faite par son grand’pere en 1338 : voici ce que ce dernier acte contient. « Ledit Auger de Doazit vend aux Habitans de Doazit, pour la somme de vingt-cinq livres de bon morlans, qu’il déclare avoir reçue pour droit d’entrée, toutes les pieces de terre, landes, afforêts, basta, heuguera, appellées de Lamenas, Feseaux [Fescaux], Lannedebout, Bos de Gourgue, Massey, Lanne, Gaxies, &c. » & leur ratifie en même temps la vente qu’ils disoient avoir été faite des landes & padouens de Thoartigues, par le Seigneur dudit Thoartigues, avec pouvoir à eux de vendre, bailler à fief, ou autrement de disposer desdits padouens à leur volonté ; renonce en faveur des mêmes, à tous les droits des eaux, pierrieres, marnieres, herbages, arbres antés ou sauvages, servitude qu’il pourroit prétendre, & à tout autre droit de fief, & d’obliger au guet, hommage, que les Jurats de Doazit auroient dû ou devroient faire, tant à lui qu’à ses dévanciers ; se réservant ledit Seigneur toute Seigneurie majeure, comme ban, clam sang & meurtre, péage, cens & carnal.

     En premier lieu, il y a une contradiction frappante dans les clauses de cet acte.

     On fait vendre au Seigneur purement & simplement ; on le fait renoncer à tous les droits qu’il avoit sur les objets vendus, & cependant il paroît que dans le même temps, ce Seigneur se reserve la Justice majeure, le péage, les rentes & le droit de carnal, conséquemment celui de bedat, car il ne sauroit avoir l’un sans l’autre.

     (1) Cote 18 G du sac de la Partie adverse.

     (2) Cote 18 H ibid.

 

 

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     En second lieu, on fait vendre ces fonds par quelqu’un qui ne les possédoit pas, puisqu’il ne les a acquis lui-même que vingt-cinq ans après, ainsi que cela résulte de l’acte de 1363 (1), dont nous avons parlé, & on fait vendre pour vingt-cinq francs, près de deux mille journaux de fonds, tandis qu’il paroît par cet acte de 1363, que toute la Caverie de Thoartigues, qui renferme ces fonds, a été payée par l’acquéreur 282 écus d’or du vieux coin ; & certainement les domaines en clôture de cette Caverie ne faisoient pas, à beaucoup près, la centieme partie de cette Seigneurie.

     En troisieme lieu, on fait ratifier cette vente, non par le fils du vendeur, quoique vivant, mais par le petit-fils, c’est-à-dire, quatre-vingt-seize ans après la prétendue vente.

     En quatrieme lieu, & cette circonstance est très-singuliere ; cet Enjean de Doazit, petit-fils du vendeur, qu’on prétend avoir ratifié cette vente en 1434, étoit mort en 1430. Cela est justifié par un acte d’association, entre les Habitans de Doazit ; Horssarieu & Brassempoy, dans lequel ils déclarent qu’Enjean, leur Seigneur, est mort sans héritier de sa race. Cet acte est de 1430 (2).

     La mort d’Enjean de Doazit (3) est confirmée dans un Arrêt du Grand Conseil, produit par l’Exposant : on lit, à la page 15 de cet Arrêt, ces mots : testament de feu Messire Jean, Seigneur de Doazit, du 17 Février 1430 (4).

     On lit encore à la même page, qu’en 1431, 1432 & 1433, Bertrand Duviella étoit Seigneur de Doazit ; qu’il rendit hommage au Roi en cette qualité, & que les Habitans lui avoient prêté le serment de fidélité.

     L’Exposant avoit dit que Jean de Doazit étant mort en 1430, ne pouvoit point avoir ratifié d’acte en 1434 ; le sieur Darcet nous répond (5) que cette objection méritera quelqu’attention, lorsque l’Exposant aura prouvé qu’il n’a pu y avoir deux Jean de Doazit l’un après l’autre, ou lorsqu’il aura prouvé qu’un Jean de Doazit n’étoit pas Seigneur de Doazit en 1434.

     (1) Vide sup. §. 5, où ce contrat est rapporté.

     (2) Cote 18 G, avec l’original, au sac de l’Exposant.

     (3) Cote 18 H du sac de l’Exposant.

     (4) Vid. ce testament en original cote 21 A, & en collationné, cote 18 F ibid.

     (5) Page 44 de sa Requête en la Cour.

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     Hé bien, l’Exposant le prouve, puisqu’il paroît par les actes dont nous venons de parler, que Jean de Doazit mourut en 1430 sans héritier de sa race, & qu’en 1431, 1432 & 1433, c’étoit Bertrand Duviella qui étoit Seigneur de Doazit ; donc il n’y a pas eu deux Jean de Doazit l’un après l’autre ; donc un Jean de Doazit n’étoit pas Seigneur de Doazit en 1434 ; donc Jean de Doazit n’a pu ratifier en 1434 cette prétendue vente ; donc l’objection de l’Exposant mérite toute l’attention de la Cour.

     En cinquieme lieu, dans cet acte de 1338, on fait réserver au Seigneur le péage, & il est prouvé qu’il n’y en avoit pas à cette époque dans Doazit, puisqu’il ne fut établi qu’en 1440, c’est-à-dire, cent deux ans après la date de l’acte produit par les Parties adverses. Le titre d’érection du péage est rapporté (1).

     En sixieme lieu, à supposer que Jean de Doazit, que nous avons prouvé être mort en 1430, eût été vivant en 1434, paroît-il vraisemblable qu’il eût ratifié une pareille vente, tandis qu’en 1412 il avoit donné aux Habitans de Marquebieille la faculté de mener leur bétail dans tout le Bailliage de Doazit ? Et ici revient cette question que nous avons faite si souvent aux Parties adverses : pourquoi, si ces landes vous appartiennent depuis 1338, avez-vous souffert patiemment que les Habitans de Marquebieille, ceux de Banos, Daudignon, de Caupene, de Saint-Cricq, soient venus constamment sur vos fonds, avec leurs bestiaux, depuis 1412 (2) ?

     Le faux de ces actes étoit trop éclatant pour que le sieur Darcet, quelque aveuglé qu’il soit, n’en fût pas frappé : aussi les a-t-il bientôt abandonnés, pour se saisir avec transport d’un Arrêt du Parlement de Toulouse, rendu le 9 Décembre 1625, qui, suivant lui, a jugé nettement notre question. Le sieur Darcet a consacré une grande partie de son ouvrage à l’apologie de cet Arrêt, qui n’a aucun rapport, aucune analogie avec le droit que l’Exposant réclame aujourd’hui ; Arrêt dans lequel on ne voit visé aucun des titres des Seigneurs de Doazit, parce qu’il n’en fournit aucun ; ce qui dément l’assertion que le sieur Darcet s’est permise à cet égard,

     (1) Sous la cote 17 T du sac de l’Exposant.

     (2) On doit remarquer que le Notaire qui a fait l’extraction de ces actes, déclare qu’elle a été faite à la requisition des Habitans de Doazit, & qu’il ne paroît point que le Seigneur y ait été appellé, & cette extraction est sans date.

 

 

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page 68 de sa Requête en la Cour, où il dit que Sarran de Candale produisit ses titres ; Arrêt enfin, qui fut cassé deux ans après, & duquel conséquemment les Habitans de Doazit n’ont jamais poursuivi l’exécution.

     De quoi s’agissoit-il dans la contestation qui détermina l’Arrêt de 1625 ? Les Habitans de Doazit réclamoient-ils alors l’immunité des landes ? c’est-à-dire, demandoient-ils la permission de les clôre dans l’objet d’empêcher le Seigneur de jouir du droit d’y laisser paître le bétail étranger, droit dont l’existence est authentiquement établie par le contrat de 1412, qui n’a jamais été attaqué ; droit que les Seigneurs de Doazit exercent paisiblement depuis trois cent soixante-cinq ans ? Les Habitans de Doazit se pourvurent-ils alors contre ce contrat de 1412 ? L’Arrêt de 1625 a-t-il jugé que ces Habitans pouvoient fermer leurs landes ? a-t-il conséquemment privé le Seigneur de son droit ? Voilà ce que cet Arrêt devroit juger pour justifier l’application que le sieur Darcet en veut faire à la question qui nous divise aujourd’hui.

     Qu’on lise cet Arrêt avec l’attention la plus scrupuleuse, on n’y verra rien de semblable. Il ne s’agissoit alors que du droit de propriété des landes, du taux des fiefs, & de quelques autres droits seigneuriaux.

     Les Habitans produisoient des titres de 1326, 1332, 1336 & 1338 ; ils oublierent la fameuse ratification prétendue faite en 1434 par Jean de Doazit, mort en 1430, ou plutôt cette ratification n’étoit pas encore fabriquée en 1625.

     L’Arrêt maintint les Habitans en la possession & jouissance des padouens communaux dont mention est faite auxdits titres.

     On le demande, quelle analogie y a-t-il entre cet Arrêt & la question sur laquelle la Cour doit prononcer ?

     «  Les Habitans sont maintenus dans la propriété des landes, donc ils peuvent les fermer ».

     Eh ! que fait à l’Exposant cette propriété à laquelle vous mettez un si grand prix, & qu’il vous abandonne ? Quel tort peut-elle faire au droit qu’il réclame, droit qui a été publiquement & paisiblement exercé pendant près de quatre siecles ? Possedez ces landes, aliénez-les, vendez-les ; ni vos acquéreurs, ni vous, n’aurez jamais le droit de les fermer, jamais vous n’en aurez d’autre que d’y couper le

 

 

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soutrage exclusivement à vos voisins ; c’est là le seul fruit que vous pouvez en retirer. Telles sont les bornes de votre propriété, vous ne devez point les franchir. Le droit de votre Seigneur réclamera toujours l’ouverture de ces landes. En vain amoncelerez-vous contrats sur contrats ; en vain direz-vous, ces landes nous ont été données par un Arrêt du Parlement de Toulouse, ces landes sont nos héritages, nous les avons acquises. Et le sieur Darbo n’avoit-il pas acquis celles qu’il fit fermer ? ne présenta-t-il pas ce titre à la Justice ? Attaqué par l’Exposant, n’avoit-il pas appellé son vendeur à sa garantie ? Tous ses efforts furent inutiles, il fut condamné, par Arrêt de la Cour, d’abattre les fossés qu’il avoit fait faire ; il fut décidé qu’il ne pouvoit pas avoir de recours contre son vendeur.

     Il est donc évident que la propriété accordée aux Habitans de Doazit par l’Arrêt de 1625, ne peut nuire en rien à l’Exposant, & que cet Arrêt est inapplicable à notre question, puisqu’il n’y est fait aucune mention du droit de bedat. Ainsi, quand cet Arrêt conserveroit aujourd’hui son autorité, le sieur Darcet ne pourroit point l’opposer avec succès ; mais il n’existe plus ; il fut cassé deux ans après par Arrêt du Conseil, le 13 Juillet 1627, rendu en contradictoire défense entre Pierre Camescasse & Jean Larezet, Syndic de la Communauté de Doazit, & le sieur Sarran de Candale. Voici à quelle occasion.

     En l’année 1619, les Habitans avoient obtenu des Lettres d’évocation au Parlement de Toulouse ; le sieur de Candale continua au contraire de plaider en la Cour, devant laquelle il se pourvut ; il y eut à ce sujet un conflit de jurisdiction entre ces deux Parlemens, & ce fut durant ce conflit que le Parlement de Toulouse avoit rendu l’Arrêt de 1625 ; c’est cet Arrêt que Sa Majesté cassa par l’Arrêt dont nous avons parlé. « Cassant & évoquant les procédures faites (y est-il dit) tant au Parlement de Toulouse qu’à celui de Bordeaux, depuis les Lettres d’évocation de 1619 ; & pour faire droit aux Parties au principal, Sa Majesté renvoya tous leurs procès & différentes circonstances & dépendences au Parlement de Pau, auquel fut attribué toute Cour & Jurisdiction, &c. ».

     Cet Arrêt du Conseil est produit (1) : dans l’impossibilité de

     (1) Cote 17 V du sac de l’Exposant.

 

 

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recouvrer l’original de cette piece, l’Exposant en rapporte deux collationnés, un du 9 Mars 1629, & l’autre du 19 Avril 1638. Ces collationnés sont dans la forme ordinaire, & il y a lieu de croire que malgré les efforts du sieur Darcet, qui a employé au moins douze pages d’écritures pour critiquer cette forme, ces collationnés auront en Justice la même foi que le sieur Darcet voudroit que la Cour eût en ceux qu’il produit.

     A cette critique, le sieur Darcet joint quelques observations sur cet Arrêt : ce n’est point l’Arrêt de Toulouse de 1625 (dit-il) que le Conseil a cassé, c’est une procédure entre Camescasse & Sarran de Candale.

     Il ne faut que lire l’Arrêt du Conseil pour être convaincu de la frivolité de cette observation. En effet, cet Arrêt casse tout ce que le Parlement de Toulouse avoit ordonné dans les affaires d’entre Sarran de Candale & les Habitans de Doazit depuis 1619 jusques en 1627 ; conséquemment l’Arrêt de 1625, intermédiaire à ces deux époques, est compris dans cette cassation ; le sieur Darcet en est si fortement persuadé lui-même, qu’il a soutenu (non que c’étoit une autre instance sur qui portoit la cassation, comme il le dit aujourd’hui), mais que l’Arrêt du Conseil ne fait simplement que casser les procédures, sans prononcer la cassation de l’Arrêt de 1625. Le Défenseur du sieur Darcet en la Cour a senti l’absurdité de cette objection, & il a trop de lumieres pour l’avoir reproduite. En effet, dès que les procédures sont cassées, il s’ensuit nécessairement que l’Arrêt qui en faisoit partie, qui en a été la suite & le complément, l’est aussi, car il seroit ridicule de concevoir un Arrêt subsistant par lui-même, sans être fondé sur aucune procédure. On peut bien casser un Arrêt sans casser la procédure, mais on ne sauroit jamais casser une procédure sans casser en même temps l’Arrêt qui est assis sur cette procédure ; & d’ailleurs, comment le sieur Darcet peut-il prétendre que l’Arrêt de 1625, rendu par le Parlement de Toulouse, peut subsister, tandis que les Parties sont renvoyées au Parlement de Pau pour y ^tre jugées définitivement ?

     Il y a quelque chose de plus fort encore qui rendroit infructueuse la citation de cet Arrêt quand il n’auroit pas été cassé, mais qui prouve bien qu’il l’a été ; c’est qu’il n’a jamais eu d’exécution, & que les fiefs ont toujours été payés sur le même taux ; le seul

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usage que les Habitans en ont fait, c’est de les produire de temps en temps pour corroborer leur prétendue propriété des landes. Mais encore une fois, jamais cet Arrêt n’a été exécuté. Cette vérité résulte d’une transaction passée à Bordeaux le 23 Avril 1714 (1) entre Léon de Candale, fils d’Henri, & Bernard Juste, fils d’Etienne, qui avoit soulevé une contestation à Henri de Candale au sujet des exporles & reconnoissances que ce dernier exigeoit, devoir auquel Etienne Juste ne vouloit pas satisfaire.

     Il est dit dans cette transaction, que l’Arrêt du Parlement de Toulouse n’a jamais reçu d’exécution. Cet aveu de la part du sieur Juste (qui étoit un des principaux membres de la Communauté, & son plus zélé Défenseur) doit paroître d’autant moins suspect, qu’il s’étayoit principalement sur cet Arrêt. Si, comme le prétend aujourd’hui le sieur Darcet, cet Arrêt avoit fait loi dans la Terre de Doazit, le sieur Juste n’étoit pas homme à renoncer à un titre qui lui auroit été si avantageux ; mais il savoit que cet Arrêt ne seroit pour lui d’aucun secours, puisqu’il n’avoit pas interrompu un seul instant la possession des Seigneurs de Doazit.

     Pour faire revivre cet Arrêt, le sieur Darcet reproduit un comparant prétendu fait en 1675 par Henri de Candale, petit-fils de Sarran, au Greffe de Doazit, par lequel il paroît qu’Henri auroit, de son pur mouvement, déclaré aux Habitans renoncer à certaines reconnoissances, comme condamnées en 1625, par Arrêt du Parlement de Toulouse. Les Parties adverses disent que ce comparant a été extrait du dépôt du Greffe de Doazit.

     Cet acte est faux, il n’a jamais existé dans le Greffe de Doazit. Voici la preuve, ou du moins une terrible présomption de la fausseté de cet acte.

     En 1680, la Communauté rendit un dénombrement, & elle ne dit rien de cet acte prétendu : il eût été bien essentiel de le rappeller, puisque le Seigneur de Doazit forma opposition à ce dénombrement.

     « Le Seigneur ne fit aucune suite de cette opposition ; donc il en reconnut le vice, comment osez-vous en parler aujourd’hui ? »

     Si le sieur Darcet eût été moins préoccupé, il n’auroit pas fait

     (1) Cote 17 Z du sac de l’Exposant.

 

 

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cette objection, il se seroit rappellé que dans la même année 1680 le Seigneur de Doazit rendit son dénombrement ; que ce dénombrement fut vérifié sans opposition de la part des Habitans, quoiqu’il portât expressément le droit de bedat dont il s’agit. Cette vérification sans opposition est, sans contredit, la suite la plus salutaire que ce Seigneur eût pu faire de l’opposition qu’il avoit formée au dénombrement rendu la même année par les Habitans.

     Quant au comparant, l’Exposant le répete, il est faux, il n’a jamais existé dans le Greffe de Doazit. Il est de fait qu’il n’y a jamais eu à Doazit d’autre Greffier que celui de la Jurisdiction ; par conséquent ce prétendu comparant n’a pu être fait devant lui. Sur le tout, quand cet acte seroit aussi vrai qu’il est faux, il ne porteroit jamais sur le droit de bedat, par cette raison sans replique, qu’il n’étoit pas question de ce droit dans le procès jugé à Toulouse en 1625. Voilà le point.

     Cette réflexion, qui a déjà été présentée, nous fait regretter le temps que nous avons employé à combattre cet Arrêt ; mais le sieur Darcet l’a produit avec tant d’ostentation, que nous avons cru indispensable de détruire les effets qui auroient pu résulter de l’usage séduisant qu’on en a fait en la Cour. Qu’il se rappelle donc que cet Arrêt n’accorde aux Habitans que la propriété des landes, propriété que l’Exposant ne lui conteste point ; & qu’il n’oublie jamais que cet Arrêt ne fait aucune mention du droit de bedat, que ce droit n’étoit point alors contesté au Seigneur, qu’il ne l’a jamais été ; que depuis 1412, époque où le Seigneur a concédé cette faculté, il a été exercé au vu & su des Habitans de Doazit, sans aucune réclamation, sans aucun trouble de leur part.

     Qu’il replonge sur-tout dans le néant d’où il les a tirés, ces actes dont nous avons démontré l’inutilité & le faux : qu’il imite l’exemple du sieur Desessart, qui eut bien le courage de les produire en 1680 contre Henri de Foix, mais qui sur la menace qui lui fut faite par écrit d’une inscription de faux, fut assez prudent pour ne pas en soutenir la validité. Le sort que ces actes ont subi auroit dû servir de leçon au sieur Darcet. Par deux Jugemens (1) rendus par Mr. de Faucon, Intendant en Guienne, Commissaire nommé

     (1) Cote 21 G & 21 H du sac de l’Exposant.

 

 

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par le Roi pour décider la contestation, ces actes furent rejettés, ainsi que l’Arrêt du Parlement de Toulouse ; ils sont visés dans le Dictum du Jugement.

     Mais si le sieur Darcet, plus intrépide que le sieur Desessart, s’obstine à s’étayer de ces titres judiciairement réprouvés ; si contre toute vraisemblance & contre la justice, il parvenoit à les ressusciter, quel avantage pourroit-il s’en promettre ? Quels effets produiroient-ils contre le droit de l’Exposant ? Aucun, puisqu’encore une fois, ces titres ne feroient qu’établir la propriété des landes en faveur des Habitans, propriété que l’Exposant ne leur conteste pas.

     Cet abandon fait aux Habitans de Doazit, de la prétendue propriété des landes, ne peut tirer à aucune conséquence contre le droit de l’Exposant ; il est essentiel cependant d’observer qu’il faut toujours distinguer cette espece de propriété d’avec les termes nos héritages, dont le sieur Darcet a sans cesse affecté de se servir pour désigner ces landes. Il ne s’agit ici ni de champ fertilisés, ni des domaines que les Parties adverses peuvent avoir joints à ceux qu’ils tiennent de leurs peres, il n’est absolument question que des landes de la Jurisdiction de Doazit. Or la propriété de ces landes est une chimere, puisque cette proprieté n’est sujette à aucun droit envers le Seigneur (1), & qu’elle se réduit à couper le soutrage exclusivement à tous autres.

     (1) Le sieur Darcet n’ignore pas qu’il est dit dans tous les dénombremens de la Terre de Doazit, que nul dans cette Terre ne possede des fonds, de quelque nature qu’ils puissent être, qui soient exempts de la féodalité & directité du Seigneur dudit lieu, ni de payer quatre lierds & demi de rente pour chaque arpent de fonds qu’il possede. Or la Communauté ni les Propriétaires ne payent aucune rente au Seigneur pour raison de ces fonds ; ils ne sont donc propriétaires que de la superficie, c’est-à-dire, du soutrage. Le paiement du franc-fief que le sieur Darcet dit avoir été fait par les Habitans, ne détruit point cette vérité. Les Parties adverses avoient formé le projet d’anéantir ce droit du Seigneur ; croyant y parvenir, ils ont payé le franc-fief. Que le Traitant ait reçu ces tributs volontaires, il n’y a en cela rien d’étonnant ; mais ces tributs, fussent-ils encore plus considérables & plus multipliés, ils ne nuiroient en rien au droit de l’Exposant, parce que le Domaine n’a rien à prétendre dans la Terre de Doazit. Pour s’en convaincre, il ne faut que lire le traité dont nous avons parlé en commençant, passé le 17 Mai 1462, entre le Roi Louis XI & Jean de Foix, Comte de Candale. (cote 16 Z du sac de l’Exposant) Le Roi y donne, cede & transporte à Jean de Foix, pour lui & pour les siens à perpétuité, tous droits, noms, raisons & actions qu’il a & lui compétent dans toutes les Terres & Seigneuries que le Captal de Buch & lui de Candale tenoient & possédoient dans le Duché de Guienne & de Gascogne, avec leurs appartenances & dépendances, toute Jurisdiction haute, moyenne & basse, péages forestages, pâturages & autres droits quelconques, hors l’hommage de la part du Comte de Candale, que le Roi se réserve.

     Le sieur Darcet n’ignore pas non plus, puisqu’il a été Jurat-Collecteur de la Paroisse, que depuis 1672 les Jurats de Doazit, conjointement avec les principaux Habitans, sont obligés de déclarer ceux qui possedent des fonds nobles dans leur district, & qu’ils déclarent chaque année, au bas des rôles des impositions royales, que personne ne possede des fonds nobles dans la Terre de Doazit que le Seigneur du lieu & le sieur Dabadie de Saint-Germain, en vertu d’une concession qui fut autrefois accordée par un Seigneur de Doazit à un possesseur de la maison & biens de Labeyrie. Il faut remarquer que ces fonds sont censés nobles, ou pour mieux dire, jouissent des privileges des fonds nobles tant que le pacage en est acquis au Public ; mais dès que les Particuliers qui en possedent ont obtenu du Seigneur la permission de le clore, dès lors ils deviennent roturiers, & ils payent la taille au Roi, & la rente annuelle au Seigneur, ainsi que tous les autres droits seigneuriaux. Telle est la Loi généralement reçue & exactement observée dans toute cette contrée.

 

 

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     C’est sur ces mêmes landes qu’est assis le droit dans lequel l’Exposant demande à être maintenu. Quelles que soient les ressources du sieur Darcet (& ce procès prouve qu’il en a beaucoup) il ne parviendra jamais à détruire les titres que l’Exposant a produits, & à renverser la possession constante, paisible & publique de ses auteurs pendant près de quatre siecles.

     Sans rappeller ici cette foule de titres qui démontrent l’existence & l’exercice de ce droit, qu’on veuille s’arrêter seulement à cet acte de 1412, titre fondamental, & qui doit seul juger ce procès.

     A cette époque, le Seigneur de Doazit concede par cet acte public, aux Habitans de Marquebieille, d’une Jurisdiction étrangere, la faculté d’herbager & pacager dans toute la Jurisdiction de Doazit.

     Si les Habitans de cette Jurisdiction avoient eu alors (comme le sieur Darcet le prétend aujourd’hui) un usage pur, simple & absolu des landes, un usage exclusif à tous autres droits, n’auroient-ils pas fait valoir tous ces titres qu’ils présentent aujourd’hui ? Seroit-ce donc que les Habitans n’auroient pas connu ces titres, ou que ces titres n’auroient pas encore été fabriqués ? Cependant jamais ils n’ont été produits, malgré les contestations des Habitans avec leur Seigneur ; jamais ils n’ont porté aucun trouble, aucun obstacle à l’exercice de ce pacage de la part des étrangers concessionnaires du Seigneur, tant ils ont respecté le contrat de 1412.

     Deux siecles & demi après, en 1662, le Seigneur de Doazit renouvelle par acte public, en faveur des Habitans de Marque-

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bieille, cette même faculté. Même inaction, même silence de la part de ceux de Doazit ; nouvel hommage au droit du Seigneur.

     En 1680, le Seigneur rend un dénombrement où le droit de bedat est porté. Ce dénombrement est vérifié sans opposition de la part des Habitans.

     En 1727, second dénombrement vérifié, comprenant le même droit. Point d’opposition.

     En 1765, troisieme dénombrement vérifié, dans lequel ce droit est dénombré. Point d’opposition encore de la part des Habitans.

     De tous les temps les Habitans de Marquebieille, ceux Daudignon, Banos, Saint-Aubin, Caupene, Saint-Cricq, &c. ont joui de la faculté concédée par le Seigneur, & jamais les Habitans de Doazit n’y ont mis le plus petit obstacle.

     Les Seigneurs de Doazit ont affermé la Terre. Dans cette ferme, ils ont compris le droit d’herbage ; ce droit a été exercé sous les yeux des Habitans, & jamais ils ne s’y sont opposés.

     Ces Habitans divisent les landes, ils s’en attribuent à chacun une portion, & ils laissent leur portion ouverte.

     L’exercice de ce droit, aussi long-temps & aussi formellement reconnu de la part de ceux qui avoient tant d’intérêt d’y mettre obstacle, suffiroit seul pour établir en faveur de l’Exposant ce même droit, qu’il n’est plus au pouvoir du sieur Darcet, ni de ses Adhérens de quereller ; il ne peut point se dissimuler combien cette possession milite contre lui : aussi tous les efforts qu’il a faits ne tendent-ils qu’à dénaturer la question du procès ; il défere l’Exposant à la Justice comme un homme qui prétend usurper les héritages des Habitans, tandis que c’est une petite portion de ces Habitans, qui excités par le sieur Darcet, veulent dépouiller l’Exposant d’un droit que ses ancêtres lui ont transmis après en avoir joui paisiblement pendant quatre siecles, droit qu’il exerce lui-même en vertu des mêmes titres, en présence de ces Habitans, sans qu’ils aient jamais osé réclamer contre le droit & la possession.

     Il ne falloit que cette derniere circonstance, que même le sieur Darcet n’a jamais osé désavouer, pour déterminer le Sénéchal de Saint-Sever à maintenir l’Exposant dans l’exercice d’un droit aussi inviolablement respecté ; cependant séduit par des titres judiciairement réprouvés, & couronnant un systême de défense que le sieur

 

 

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Darcet n’avoit présenté que pour faire perdre de vue la véritable question du procès, ce Tribunal dépouille l’Exposant de ce droit malgré tout ce qu’il avoit pu dire pour dissiper l’illusion, & faire valoir les moyens employés pour être maintenu dans l’exercice de ce même droit.

     Ces moyens sont communs au nommé Hontang, qui après avoir reconnu sa faute & offert de la réparer, vient, après dix-sept mois de silence, réclamer contre le chef de la Sentence qui, sur les offres par lui faites, l’a condamné d’abattre les fossés qu’il avoit élevés sur la partie de lande qui lui a été affectée.

     Hontang est dans le cas de tous les Habitans ; cette lande qu’il possede dans le tenement de Tresqué, & qu’il dit avoir achetée, est, comme toutes les autres, sujette au droit de bedat ; la propriété qu’il en a ne lui donne que le droit de couper du soutrage exclusivement à ses voisins, sans l’affranchir du bedat, acquis à l’Exposant sur toutes les landes de la Jurisdiction de Doazit : cela est si vrai, que c’est sur cette même lande de Tresqué que les Métayers du pere du sieur Darcet ont toujours mené leur bétail. Nous avons déjà fait cette observation : ainsi l’appel qui a été interjetté par le sieur Darcet, sous le nom de Hontang, du chef de la Sentence qui le condamne, & les Lettres en restitution qui en font la suite, ne peuvent décemment se soutenir.

     Nous disons que c’est le sieur Darcet qui se cache sous le nom de Hontang. Eh ! peut-on en douter, lorsqu’on se rappelle la conduite qu’il a tenue vis-à-vis des autres Particuliers ? Si la réclamation de Hontang étoit vraie ; si excité par le sieur Darcet, ce Particulier avoit fait cet appel, le sieur Darcet joindroit l’inhumanité à l’injustice, en exposant à des frais immenses un pauvre Laboureur, heureux d’avoir réparé la faute qu’il a faite. Mais qui ne voit que ce Hontang n’est ici qu’une arme de plus que le sieur Darcet emploie pour se défendre ? Oui, nous pouvons assurer que Hontang ignore cette tentative qu’on a osé faire pour lui ; s’il en étoit instruit, il viendroit bientôt désavouer cet appel, & à l’exemple des autres Particuliers, rendre le sieur Darcet lui-même responsable d’une démarche à laquelle il n’auroit jamais consenti.

     Aux titres qui assurent l’existence & l’exercice du droit de l’Exposant, nous ajoutons encore les moyens dont on se sert pour le

 

 

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détruire. Qui pourra maintenant révoquer en doute la légitimité de ce droit ? Quel est l’homme honnête qui ne sera indigné de le voir contester aujourd’hui, & des manœuvres qu’on a employées pour pallier l’injustice de cette contestation ? Eh quoi ! tandis que ces Habitans intéressés à soutenir le systême du sieur Darcet, après avoir eu le malheur de suivre ses conseils, reconnoissent le droit de l’Exposant, & que brisant les fers dont il les tenoit enchaînés, ils sortent enfin de leur esclavage pour rendre hommage à la vérité & à la justice, le sieur Darcet, entraîné par la vengeance, prend sur lui de leur faire violer les engagemens qu’ils ont contractés ! A leur insu, contre leur volonté, il abuse de sa qualité de Syndic partiel, pour impétrer, en leur nom, des Lettres en restitution contre les actes qu’ils avoient librement adressés à l’Exposant ! Ce moyen honteux a détruit l’empire que le sieur Darcet avoit su prendre sur l’esprit de ces Habitans ; ils ont solemnellement désavoué ces Lettres en restitution, & protesté contre tout ce que feroit le sieur Darcet au préjudice de ce désaveu (1). Quel contraste ! Ainsi, en rendant hommage à l’Exposant, ces Particuliers ont consacré dans cet acte la preuve authentique de leur faute, de leur repentir & des trames que le sieur Darcet a ourdies dans cette cause.

 

§. XIII.

 

Il est dû des dommages & intérêts à l’Exposant.

 

     Ce ne seroit pas assez de maintenir l’Exposant dans l’exercice du droit de bedat que ses titres & sa possession lui assurent, il est juste encore de l’indemniser des pertes qu’il a faites depuis l’entreprise des Parties adverses. Du moment qu’ils ont fermé leurs portions de landes, l’Exposant n’a point usé de son droit, les Habitans de Marquebieille ni aucun autre Etranger n’y ont mené leurs bestiaux, conséquemment n’ont point payé de redevance : c’est une perte réelle pour l’Exposant, & les Parties adverses, auteurs du mal, doivent le réparer ; rien ne peut les soustraire à l’obligation que la Loi leur impose à cet égard.

     (1) Cet acte est produit sous cote 18 Z du sac de l’Exposant.

 

 

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§. XIV.

 

Impression & affiche de l’Arrêt.

 

     L’Exposant réclame l’impression & l’affiche de l’Arrêt qu’il attend de la justice de la Cour. Cette publicité sera désormais pour l’Exposant une sauve-garde contre de nouvelles tentatives que certains Habitans pourroient faire au préjudice de son droit ; ils auront sous les yeux les défenses de récidiver, que la Cour insérera dans son Arrêt ; ce frein respectable les contiendra dans les bornes de leur devoir, qu’ils oseroient peut-être franchir encore, s’ils n’étoient arrêtés par la peine dont ils sont menacés. Nous l’avons dit en commençant, si l’Arrêt que l’Exposant a obtenu contre le sieur Darbo fût intervenu un an plutôt, s’il eût été rendu public, la Cour n’auroit point à exercer aujourd’hui contre les Parties adverses la même rigueur qu’elle fit éprouver au sieur Darbo. L’Exposant réclame également cette impression & ces affiches, comme une satisfaction des propos licentieux & idécens dont les Parties adverses ont rempli leurs Ecrits, sur-tout devant le Sénéchal ; il n’en demande point d’autre contre ses Vassaux.

 

§. XV.

 

CONCLUSIONS.

 

     L’appel interjetté, & les Lettres en restitution récemment impêtrées par Bertrand Hontang, ainsi que la demande en cassation de la Sentence formée par erreur dans l’intérêt de l’Exposant, dans sa Requête en griefs, le mettent dans le cas de rectifier & rédiger ses conclusions relativement à l’état actuel du procès.

 

     PARTANT il plaira à la Cour, sur l’appel incident interjetté par Bertrand Hontang, dit Daniel, de la Sentence rendue par le Sénéchal de Saint-Sever le 26 Août 1778, que sur les Lettres en restitution par lui impétrées contre l’acte du 13 Septembre 1776, mettre les Parties hors de Cour & de procès ; ordonner que dans

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l’intérêt dudit Hontang, ladite Sentence sortira son plein & entier effet ; le condamner en douze livres d’amende envers le Roi, à raison de son appel, & aux dépens le concernant envers l’Exposant ; & faisant droit de l’appel principal interjetté par l’Exposant de la susdite Sentence, mettre ledit appel & ce dont a été appellé au néant ; émendant, condamner ledit Darcet, en sadite qualité, & les autres Parties intimées, chacun en droit soi, d’abattre ou faire abattre, dans le délai de trois jours, tous les fossés qu’ils ont fait élever sur les landes désignées & confrontées dans les exploits introductifs de l’instance, & à remettre & rétablir toutes les choses dans le même & semblable état qu’elles étoient auparavant : à défaut de ce, ledit délai passé, permettre à l’Exposant de le faire faire à leurs frais & dépens, dont il lui sera contr’eux délivré exécutoire, sur les quittances des Ouvriers qui seront employés audit rétablissement ; faire inhibition & défenses aux Parties adverses de récidiver à l’avenir, à telle peine que de droit. Au surplus, attendu que depuis plusieurs années les clôtures pratiquées par les Parties adverses, ont privé l’Exposant d’exercer son droit de bedat, les condamner solidairement aux dommages & intérêts, qu’il mettra par état & déclaration, si mieux la Cour n’aime les fixer à la somme de cinq mille livres : les condamner aussi solidairement envers l’Exposant, en tous les dépens faits, tant au Sénéchal de Saint-Sever qu’en la Cour ; & afin que l’Arrêt qui interviendra soit notoire sur les lieux, permettre à l’Exposant de le faire imprimer & afficher aux portes des Eglises de la Terre de Doazit, ainsi que des celles des Jurisdictions limitrophes, & par-tout où besoin sera, jusqu’à concurrence de cinquante exemplaires qui seront alloués en taxe : à quoi conclut.

 

Monsieur DUVAL, Rapporteur.

 

Me. DESLIX,

     Avocat.

Me. DESLIX,

Procureur.     

 

De l’Imprimerie de SIMON DE LA COURT, Imprimeur du Roi,

rue du Cahernan, à Bordeaux. 1780.

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