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  • LA TOUR DU PIGEONNIER

    Ph. DUBEDOUT

    [Sommaire DOAZIT] - [Table des articles de Ph. D.]
     

    La Tour du Pigeonnier, ainsi nommée car son dernier étage avait eu cette destination, se dressait au dessus de la rue principale du bourg de Doazit. Elle avait pour fonction principale de contrôler l'accès à la bastide en venant de l'est*1. C'était une de ces portes que l'on peut encore voir à Montaut, "dont le seigneur, suivant l'usage du temps, avait charge de la construction, de l'entretien, et de la surveillance par un personnel de garde, fourni à tour de rôle par les habitants. (...) Les étages des portes de ville étaient utilisées généralement comme maison commune, pour lieu de réunion des jurats, la conservation des archives, le dépôt des armes de la milice, la prison, et la salle d'école. Pour l'entretien des portes et pour le service de garde, le seigneur recevait le produit des amendes et des taxes sur les ventes du vin, du pain et de la viande."*2

    Les ensembles défensifs protégeant les bourgs, ou, comme à Doazit, le bourg Lui-même, furent construits sous la poussée économique et démographique des XIIIe ou XIVe siècle. Mais à l'origine, outre leur position topographique avantageuse, ils ne sont formés que par des claies de bois; ce n'est que plus tard que l'on élèvera des murailles percées de portes fortifiées*3.

     

    La tour est mentionnée dans le dénombrement de Léon de Candale du 27 janvier 1624 : "au bourg de Doazit, un pigeonnier sur l'entrée du bourg qui est venant de Hagetmau", ainsi que dans le dénombrement de dame Marie d'Essenault, du 10 février 1687 : "il y a aussi dans le bourg un pigeonnier, sur l'entrée du bourg qui est venant de Hagetmau".*4

    On voit que déjà à cette époque, elle n'a plus de fonction défensive: elle n'est appelée ni porte ni tour, mais simplement pigeonnier. Doazit avait par ailleurs sa maison commune, salle d'école et prison. Toutefois, la tour servira effectivement de salle d'école à la fin du XVIIIe siècle, et de prison après 1819.

  • "Il est incontestable que Doazit fut dans un temps reculé une fortification dont les traces sont encore évidentes; que la tour dont s'agit faisant un arceau sur la voie publique, indique qu'au dessous il devait y avoir un portail qui renfermait la cité; que si jamais ces fortifications furent féodales, la loi de 1790 en attribua la propriété à la commune qui en a joui depuis cette époque sans interruption.

    Plus tard (en 1847) la demoiselle Foix de Candalle (Euphrosine), héritière des anciens seigneurs de ce nom ayant vendu le restant de ses domaines voulut aliéner cette tour, qu'elle croyait lui appartenir par voie de dépendance féodale.

    Mr (Victor) Broca-Perras, maire de la commune à cette époque et déjà acquéreur du résidu du domaine de la dite Dlle Foix de Candalle, lui opposa résistance prétendant que cette tour était propriété communale.

    A cet effet on délégua deux membres du conseil municipal de Doazit pour consulter cette affaire. Et d'après l'avis donné par Mr Capdeville jurisconsulte à St-Sever, ainsi qu'il résulte de la quittance donnée par celui-ci le onze décembre 1847, le conseil était décidé à résister à la prétention émise par la dite demoiselle. Celle-ci ayant eu connaissance de la consultation, renonça à cette prétention

    Mais quelque temps après qu'elle fut morte*5, Mr Broca-Perras, s'empressa de faire changer la serrure de la dite tour, et c'est par là qu'il prétend avoir fait sa prise de possession.."*6

  • Le 12 juillet 1857, le Conseil Municipal se réunit extraordinairement sous la présidence de Laurent Lafargue, (adjoint délégué par M. le maire, empêché).

  • Il expose au conseil "qu'une pétition avait été adressée à Mr le sous-Préfet concernant la tour qui se trouve à l'une extrémité de la rue principale du bourg de Doazit, dans le but de maintenir les droits de la commune sur cet édifice, droits contestés par Mr Broca-Perras, membre du conseil, qui en a déjà fait prise de possession depuis quelques mois et qui s'en prétend propriétaire comme faisant partie des domaines féodaux des héritiers des Foix de Candalle, de qui il a acheté le château et quelques dépendances.

    On a exposé que depuis mil sept cent quatre vingt dix la commune a joui de cet édifice soit en y faisant tenir l'école, soit en y enfermant des malfaiteurs; que la clef a toujours resté entre les mains de Messieurs les maires de la commune; et que l'entretien a constamment été supporté par la commune."

    La consultation contre la Dlle de Candalle "a été payée par la commune de Doazit une somme de quinze francs quarante centimes, ainsi qu'il résulte et de la quittance de Mr Capdeville sus énoncée et de la teneur des livres de compte de Mr Canton adjoint au maire qui était alors Mr Broca-Perras, à la date du 19 décembre 1847.

    Cela dit, Monsieur le président a mis aux voix pour savoir s'il y avait lieu à intenter une action en délaissement de la tour dont s'agit contre Mr Broca-Perras. Et à la majorité de huit voix contre cinq le conseil:

    Considérant que la commune de Doazit a joui depuis 1790 de l'édifice sus-nommé; qu'elle en a disposé à son gré sans aucune interruption jusqu'à ce jour;

    Considérant que toutes les réparations qui ont été faites sur cet immeuble ont été payées par la commune;

    Attendu que depuis dix sept cent quatre vingt dix la commune a eu la jouissance et la propriété de cet édifice; que quand bien même il ne lui eut pas appartenu, elle en a eu la jouissance pendant un temps plus que suffisant pour en prescrire la propriété.

    En conséquence le conseil supplie Monsieur le Sous-préfet d'autoriser la commune à intenter une action contre Mr Broca-Perras pour lui demander le délaissement de cet immeuble.

    Fait et délibéré à la mairie de Doazit" le 12 juillet 1857.

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    La tour du Pigeonnier - plan de 1619 Plan cadastral de 1810

    Va-t-on enfin trouver un moyen de mettre fin à toutes ces tracasseries ?

  • Le 13 février 1881, "un membre du Conseil a exposé, que la tour, dite du Pigeonnier, au sud de la rue, et en entier bâtie sur la voie qu'elle rétrécit considérablement occasionne des dérangements aux voyageurs et aux habitants; que par ailleurs elle n'est d'aucune utilité pour la commune, que sa démolition permettrait de faire une montée plus douce et une largeur très suffisante, et de plus on retirerait un grand profit du produit des matériaux qui seraient produits par la démolition; ce membre propose au conseil de procéder à la démolition de cette tour au plus vite.

    Le conseil considérant que l'exposé ci-dessus est l'exposé de la vérité, prie l'administration supérieure, d'autoriser l'autorité locale à procéder à bref délai."

  • La tour du Pigeonnier restera debout encore quelques années, mais à l'annonce de sa destruction prochaine, la famille Lacaze*7, par la voix de M. Maurice Lacaze, s'opposa à la démolition de la tour, en revendiquant la propriété, dans une lettre adressée au maire le 6 janvier 1887. Dans la séance du conseil municipal du 17 avril 1887, le maire, Alexandre Dagès, rapporte:

  • "Conformément à votre désir, messieurs les membres du conseil, j'ai écrit à M. Maurice Lacaze, paraissant dans la correspondance, représenter les membres de sa famille. Dans cette lettre, je lui renouvelais l'offre déjà faite à Mme Lacaze sa mère de mettre sous ses yeux, les pièces que je détenais et qui prouvaient d'une façon irréfutable les droits de la commune sur la tour du Pigeonnier; que j'agissais ainsi parce que je voulais éviter, si l'affaire se portait devant les tribunaux, que la considération dont jouissait Mr Broca-Perras, subit une atteinte quelconque.

    Mr Maurice Lacaze me répondit le vingt quatre mars, qu'il se rendrait chez moi le trente du même mois, accompagné de Mr Houdas, qui voulait bien se charger de la défense de leurs intérêts.

    Au reçu de cette lettre je vous convoquais pour le vingt cinq, afin de vous en donner connaissance, et vous demander l'autorisation de me faire assister dans cette entrevue d'un jurisconsulte, attendu que la famille Lacaze, se faisait elle-même représenter par un homme d'affaires.

    Vous fûtes unanimes à m'autoriser, et Mr Testemale avocat, fut chargé de m'assister.

    Le trente mars vers dix heures du matin, Mr Houdas se présenta seul chez moi.

    Après les politesses d'usage, je fis observer à M. Houdas, que dans l'énergique protestation qui m'avait été notifiée par huissier, la famille Lacaze, basant ses droits sur un acte public, passé vers 1838 avait commis une erreur. Ce n'était pas un acte public, mais bien un sous-seing privé qui contenait la vente faite par Dlle de Candale, à Mr Broca-Perras. Je mis sous ses yeux ce contrat privé, dans lequel les immeubles vendus étaient parfaitement désignés.

    J'exhibais ensuite le relevé de la matrice cadastrale, indiquant d'une manière précise, les articles qui faisaient appartenances et dépendances des trois immeubles vendus, et spécifiés*8. La contenance était conforme à celle portée dans le contrat, sauf un hectare en plus, dont Mr Broca-Perras a bénéficié. Mais la tour, ne faisait pas partie de ces appartenances et dépendances.

    Le représentant de la famille Lacaze, qui du reste, ne présente aucune pièce justificative des droits de ses mandants, déclara que Mr Broca-Perras ayant joui de la tour en était propriétaire;

    Je répondis que Mr Broca-Perras, n'avait eu la jouissance de la tour que comme Maire, et de la même façon que l'avaient eue les maires qui s'étaient succédés depuis 1847, jusqu'à ce jour. Et que cela était tellement vrai qu'en 1847 Mlle de Candale habitant à Hagetmau, ayant adressé à Mr le Préfet d'alors, une requête tendant à être autorisée à attaquer la commune en délaissement de la tour, Mr Broca-Perras alors maire, résista avec le conseil municipal à ses prétentions; à cet effet il délégua près de M. Capdeville avocat à St-Sever, MM. Laurent Lafargue et Julien Sansoube, qui rapportèrent une consultation tellement favorable aux droits de la Commune que Mlle de Candale se désista.

    A ce moment, Mr Houdas nous dit que si je pouvais justifier les allégations que je venais de faire, c'est à dire que Mr Broca-Perras eût délégué auprès de M. Capdeville en 1847, deux membres du conseil, il considérait l'affaire comme vidée, et reconnaissait la tour comme propriété communale.

    Cette pièce, je la mis immédiatement sous ses yeux. C'était une déclaration faite en 1869 par Mr Julien Sansoube*9, et annexée au dossier par laquelle il reconnait avoir été en 1847 délégué par Mr Broca-Perras, alors maire, avec Mr Lafargue Laurent auprès de M. Capdeville avocat; que le résultat de cette consultation fut le désistement de Mlle de Candale; que cette consultation fut payée quinze francs quarante centimes avec deux timbre-poste, avec les deniers de la commune.

    Mr Houdas constata l'exactitude de cette déclaration, par la présentation qui lui fut faite du compte des maires de cette époque, où se trouvaient consignées, et la somme payée et la quittance de M. Capdeville.

    Le représentant de la famille Lacaze, nous déclara qu'il était convaincu des droits bien établis de la commune sur la porte du bourg, et m'annonça qu'il m'enverrait sans tarder le désistement de la famille Lacaze sur la tour du Pigeonnier.

    Tel a été, Messieurs le résultat de notre entrevue dans la matinée du trente mars, en présence de M. Testemale, avocat.

    Mr le Maire donne ensuite lecture de la lettre de désistement, datée du 11 avril et dont la teneur suit:

  • Mont-de-Marsan le 11 avril 1887.

    Monsieur le Maire de Doazit,

    Monsieur Houdas, notre conseil, qui a bien voulu se rendre près de vous à Doazit, pour prendre communication des pièces que vous disiez tenir à notre disposition concernant la tour du Pigeonnier de Doazit, dont nous revendiquons la propriété, nous a fait part du résultat de cette communication.

    Dans un esprit de conciliation, et quoique nos titres et la possession plus que trentenaire que nous avons eu de cette tour, nous en assurent la propriété, c'est du moins ce que nous avons toujours cru, il suffit qu'il y eut doute sur cette propriété pour que nous nous empressions de renoncer à tous nos droits sur cette tour.

    En faisant cette renonciation aujourd'hui, nous ne faisons du reste que devancer de quelques jours, celle que nous aurions voulu avec le plaisir de faire, dans le cas où il nous aurait été bien démontré qu'aucun doute ne pouvait s'élever sur notre propriété; parce que jamais nous n'aurions souffert que la commune s'engageat dans un procès toujours trop dispendieux, et dont le résultat était incertain.

    Nous sommes donc heureux, Monsieur le Maire, de vous déclarer que nous renonçons au profit de la commune de Doazit à tous les droits quels qu'ils soient, que nous pouvions prétendre sur la tour du Pigeonnier dont il s'agit. Nous nous désistons par suite de l'acte extrajudiciaire que nous vous avons fait notifier, pour nous opposer à la démolition de ce bâtiment, acte que vous devez considérer comme non avenu.

    Vous voudrez bien je vous prie communiquer cette lettre au conseil municipal et au besoin la transcrire dans la délibération qui sera prise par lui, pour accepter cette renonciation.

    Nous vous serons obligé, Monsieur le Maire, de vouloir bien nous accuser réception de la présente, et lorsque la délibération du conseil aura été prise, de vouloir nous en délivrer une expédition.

    Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'assurance de notre parfaite considération, Maurice Lacaze, Gaston Lacaze, Marie Lacaze née Broca-Perras.

  • Après la lecture de cette lettre, le conseil a délibéré ce qui suit:

    Le Conseil proteste contre les doutes sur la propriété de la tour, allégués par la famille Lacaze, il prend acte de leur désistement pur et simple et ordonne à M. le Maire de joindre la lettre au dossier de la commune dont l'indication sera mentionnée sur le présent registre.

    Fait et délibéré les jours, mois et an que dessus."

  • Si on s'en tient aux cadastres de la commune, rien n'y reflète les péripéties qui viennent d'être relatées quant à la propriété de ce bâtiment.

    Sur le plan cadastral de 1810, la tour porte le no59 de la section F, et dans l'état des sections de 1810, le no61 de la section F, avec une superficie de 32 ca, le propriétaire étant Mr de Candalle maire.

    De 1813 à 1840, la tour est propriété de la Demoiselle Candalle.*10

    En 1840, elle passe aux héritiers de Broca-Perras juge à Mont-de-Marsan, puis en 1841 à Jean-Jacques-Victor Broca Perras.*11

    Le cadastre est refait en 1847, et la tour porte le no351 de la section H, surface de 39 ca, appartenant toujours à J.-Jacques-Victor Broca Perras jusqu'en 1866.*12

    Elle passe alors à Félix-Fabien Lacaze, avocat, au château de Candale, jusqu'en 1888, où elle est alors propriété communale, et est portée démolie en 1889.*13

    On a du mal à comprendre pourquoi les prétendants successifs à la propriété n'ont jamais avancé pour leur défense qu'ils payaient les impôts sur cette possession puisqu'ils en étaient propriétaires d'après le cadastre, et d'autre part, pourquoi les registres du cadastre n'ont-ils pas été rectifiés après chacun de ces conflits de propriété puisque à chaque fois la Commune de Doazit a démontré que la tour lui appartenait ?

     

    La tour du Pigeonnier, ancienne porte d'entrée du bourg, prison, salle d'école, est rasée en 1887.

    Elle couvrait la rue sur une longueur de 6,50 m, et la largeur du passage était de 2,275 m.*14

    Les matériaux provenant de la démolition (moellons, pierres de taille) seront réutilisés en 1888 dans la construction de loges pour les arènes.

     

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    1- Cette tour gardait le seul passage probable pour accéder au bourg. J.F. Massie (Les origines du bourg de Doazit; extrait du bulletin de la société de Borda 1975, pp. 19 à 24), suppose l'existence d'une autre porte du côté ouest, mais il ne donne pas d'arguments convaincants.

    2- Les origines du bourg de Doazit; J. F. Massie; extrait du bulletin de la société de Borda 1975, p. 20.

    3- Voisinage et solidarité; Pierre Toulgouat, p.174.

    4- ibidem, page 20, note 35., d'après Archives Nationales P 538, et Archives départementales de la Gironde C 4181 liasse no251.

    5- Mlle Hyppolite Euphrosine de Foix Candale, est décédée à St-Girons de Hagetmau, le 19 juillet 1856.

    6- Délibération du conseil municipal du 12 juillet 1857.

    7- La famille Lacaze était héritière de Victor Broca-Perras décédé le 15 août 1883. M. Fabien Lacaze épousa la fille aînée de Victor Broca-Perras, qui lui céda le château de Candale en 1864.

    8- Euphrosine de Foix Candale, vendit à Victor Broca-Perras, le château de Candale avec les métairies de Laplante et du Guerre, le 4 décembre 1838.

    9- Le dossier comporte aussi une déclaration de M. Jean-Baptiste Sansoube, portant que son père avait placé les barreaux en fer, et que lui-même avait fait les trous à la pierre, et que la commune avait payé ces travaux.

    10- Matrice des propriétés foncières 1813-1819, articles 32, 363 et 624. Matrice des propriétés foncières 1823-1847 article 79.

    11- Matrice des propriétés foncières 1823-1847, article 16 folio 42, et article 352.

    12- Etat des sections de 1847 section H no351; Registre des propriétés non bâties II, 1847-1913, folio 63.

    13- matrice des propriétés non bâties II, 1847-1913, articles 156 et 98. (Les années de mutation de propriétés portées sur ces registres sont souvent en retard d'une ou deux années)

    14- D'après les relevés faits en 1812 par deux conseillers sur "l'état des rues dans le bourg"; J. Dessis, Doazit aux trois clochers.